Sommaire
Introduction
Le livre électronique anglais open advice a posé la question suivante à différents acteurs de la communauté (développeurs, admin sys, community manager…) : qu’auriez-vous voulu savoir lorsque vous avez commencé dans le libre ? Chacun répond de manière succincte sur son sujet de prédilection. Cela a permis de rassembler les expériences les plus pertinentes, au regard des différents domaines couverts. Ce partage d'expérience est particulièrement enrichissant, car il met à jour des aspects qui bien que mis en pratique quotidiennement, ne sont pas encore conceptualisés. C'est une sorte de conceptualisation d'un champ de l'impensé collectif de la communauté. Un article m'a semblé réellement intéressant dans le domaine juridique. Dès lors, je l'ai traduit en français (via l'approche jurisculturelle) pour vous en faire partager son contenu. Si vous souhaitez des fichiers bien formatés, le PDF, et sa source TeXmacs sont aussi disponibles. À noter que le livre original offre une version pdf, epub et mobi, ainsi que ses sources en fichiers Latex sur github. Régalez-vous :)
Traduction
Quelques considérations sur le fait d’être un juriste exerçant dans la matière du logiciel libre et open source.
Docteur Till Jaeger est collaborateur au JBB Rechtsanwaelte depuis 2001. Avocat reconnu dans le domaine du droit d'auteur et du droit des médias, il conseille autant les grandes et moyennes entreprises du secteur des technologies de l'information que les institutions gouvernementales et les développeurs. Ses sujets de prédilection sont les contrats de licences et l'usage en ligne. Son travail est orienté vers le contentieux relatif aux logiciels libres et open source. Il est aussi le co-fondateur de l'institut pour l'étude juridique du logiciel libre et open source (ifrOSS). En outre, il aide développeurs et éditeurs de logiciels dans le processus de mise en compatibilité et en conformité de leurs licences libres. Till a représenté le projet gpl-violations.org dans plusieurs procès (ndt : devant les juridictions allemandes) dont l'objet portait sur le respect de la GPL. Il a aussi publié divers articles et livres à ce propos. Il a finalement été membre du comité C lors de l'élaboration de la GPLv3.
Pour commencer, clarifions une chose : je ne suis pas un geek. Je ne l'ai jamais été, et je n'ai aucune intention de le devenir.
En revanche, je suis juriste. La plupart des lecteurs auront probablement tendance à éprouver une plus grande sympathie à l'égard des geeks qu'envers les juristes. Cependant, je ne souhaite pas éluder ce fait : la communauté du logiciel libre et open source n'est pas nécessairement passionnée par les juristes, elle l'est davantage par son activité de programmation. Cela, je le savais dès l'avènement de l'année 1999, lorsque nos chemins se sont croisés pour la première fois. Néanmoins, d'autres éléments m'étaient, à ce moment-là, encore inconnus. En 1999, tandis que je terminais ma thèse de doctorat sur un sujet portant sur le droit d'auteur classique, j'ai évalué l'étendue des droits moraux. Dans ce contexte, j'ai passé un certain temps à réfléchir à la question suivante : Comment les droits moraux des développeurs sont-ils protégés par la licence GPL, étant donné que celle-ci confère aux utilisateurs un droit de modification sur leurs logiciels ? C'est ainsi que j'ai entrouvert la porte du logiciel libre et open source pour la première fois.
À cette époque, les qualificatifs « libre » et « ouvert » avaient évidemment des significations différentes. Mais dans le monde dans lequel je vivais, cette distinction ne méritait pas d'être débattue. Cependant, vu que j'étais libre d'étudier ce qui m'intéressait et ouvert à l'exploration de nouvelles questions sur le droit d'auteur, j'ai commencé mes pérégrinations. J'ai alors découvert l'élément commun de ces deux mots : bien qu'ils soient effectivement différents, ils sont bien mieux utilisés lorsqu'ils sont ensemble…
Durant cette période, il y a aussi trois autres choses que j'aurais souhaité savoir. Tout d'abord, que mes connaissances techniques, en particulier dans le domaine du logiciel, étaient insuffisantes. Ensuite, que je ne comprenais pas véritablement la communauté et j'ignorais ce qui importait aux yeux de ses membres. Last but not least, que mes connaissances sur les juridictions étrangères souffraient de lacunes.
Ces notions m'auraient été précieuses si j'avais pu les aborder dès le départ.
Depuis, j’ai appris suffisamment et à l'instar de la communauté qui se réjouit de partager ses réalisations, je suis heureux de partager mes leçons*.
Connaissances techniques. Quel type d'architecture sous-tend un programme ? À quoi ressemble la structure d'un logiciel ? Quelles sont les licences compatibles ou incompatibles entre elles ? Comment et pourquoi ? Quelle est la structure du noyau Linux ? Toutes ces questions appellent des réponses techniquement pointues. Pour citer un exemple, la question essentielle des éléments constitutifs de "l'œuvre dérivée" selon la GPL détermine la manière dont un autre logiciel pourra être licencié. Par conséquent, tous éléments rentrant dans le champ de l'œuvre dérivée d'un logiciel originaire sous licence GPL doivent être redistribués selon les termes de cette dernière. Pour évaluer si un programme constitue une œuvre dérivée, il est nécessaire d'avoir au préalable une compétence technique approfondie.
Ainsi, les interactions entres les modules , les linkings, les IPC , les plug-ins , les frameworks technologiques, les fichiers headers, etc. déterminent au niveau formel (parmi d'autres critères) le degré de connexité d'un logiciel par rapport à un autre (jusqu'à quel point sont-ils inséparables ?). Cela nous aide à apprécier la possibilité de retenir ou de rejeter la qualification d'œuvre dérivée .
Connaissance de l'industrie et de la communauté. Au-delà de ces questions fonctionnelles, l'étendue de mes connaissances des principes régissant le libre était limitée. Tant au regard de la motivation des développeurs que des entreprises utilisant du logiciel libre. En outre, je ne connaissais pas son arrière-plan philosophique, et n'étais pas plus familier avec les modalités pratiques d'interactions sociologiques de la communauté. Ainsi, les questions : « Qui est mainteneur ? » ou « Quel est le fonctionnement d'un système de contrôle de version ? » ne trouvaient pas écho à mes oreilles. Or, pour servir au mieux possible vos clients, ces questions sont toutes aussi importantes que la maitrise des aspects d'ordre purement technique. Par exemple, nos clients nous demandent de nous occuper du côté juridique des business models construits sur une double licence de type « open core ». Ceci inclut la gestion des contrats de supports, de services, de développements ainsi que les conventions applicables aux codes sources venant des contributions. Ce faisant, nous guidons entreprises et institutions dans la grande réserve du logiciel libre lors de la mise en place de ces modèles.
D'autre part, nous conseillons aussi les développeurs sur la manière de régler les litiges nés des violations de leurs droits d'auteur, notamment via l'élaboration et la négociation de contrats en leur nom et pour leur compte. Ceci étant, pour répondre à tous ces besoins de manière complète, il est fondamental de s'être familiarisé avec cette multiplicité de points de vue.
Connaissance en droit comparé.
La troisième chose utile dont un juriste libriste a besoin c'est de connaissances à propos des juridictions étrangères, au moins quelques-une et, au plus il en acquiert, au mieux il se porte.
Pour pouvoir interpréter les différentes licences correctement, il est vital d'appréhender l'état d'esprit dans lequel s'inscrivaient les personnes qui les ont architecturées.
Dans la plupart des cas, le système juridique américain est d'une importance capitale. Par exemple, lors de l'élaboration de la GPL, celle-ci a été écrite avec à l'esprit des notions issues de la common law américaine. Aux États-Unis le terme "distribution" inclut la distribution en ligne. Or, le droit d'auteur allemand fait un distinguo entre la distribution en ligne et hors-ligne. Dès lors que la licence a été rédigée par des juristes de la common law américaine, elle peut être interprétée comme incluant la distribution en ligne. Au cours d'un procès, cet argument peut devenir particulièrement pertinent**.
Un apprentissage permanent:
Toutes ces connaissances sont sans nul doute d'une grande utilité. Aussi, j'espère qu'à l'image du processus d'évolution d'un logiciel, qui apporte son lot de solutions aux besoins de tous les jours, mon esprit continuera à répondre aux défis que la vibrante communauté du logiciel libre et open source pose constamment à l'attention du juriste.
(*) L'institut pour l'étude juridique du logiciel libre et open source offre à ce sujet , entre autre, une collection de littéraire dédiée aux logiciels libres et open source ainsi que de la jurisprudence. Plus de détails : voir www.ifross.org
(**) http://www.ifross.org/Fremdartikel/LGMuenchenUrteil.pdf, Cf. Welte v. Skype, 2007
# yep
Posté par coïn . Évalué à 5.
Probablement, mais la communauté libriste est aussi la communauté qui a sensibilisé beaucoup de personnes sur les histoires de licences, de compatibilité de licence, de brevet, de droit moraux, voisin…
belle article en tout cas.
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