Journal Le vote électronique validé par le conseil constitutionnel

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39
15
fév.
2013

Bonjour,

vous n'êtes sans doute pas sans savoir que 11 députés de l'assemblée nationale sont élus depuis l'an dernier par les « français établis hors de France ». Ces élections ont la particularité de se dérouler en grande partie via un vote par Internet. Vous pourrez d'ailleur trouver des journaux DLFP en parlant.

Ce vote par Internet a fait l'objet de contestations, que le conseil constitutionnel a mis un certain temps à juger. Aujourd'hui, le couperet est tombé : les élections ont été validées.

Les décisions concernées sont pour la sixième circonscription (à partir du paragraphe 8), pour la quatrième (la plus intéressante, à partir du point 3) et la seconde (uniquement sur la lenteur et la difficulté d'obtenir les identifiants).

Les décisions globalement disent que pour la difficulté de vote (obligation d'un logicieil propriétaire java, même pas à jour), il n'y a pas de preuves apportées par les plaignants. J'ai eu du mal à comprendre celle-là :

  1. Considérant que les griefs soulevés par Mme MONTCHAMP tirés de ce que l'ensemble du dispositif de vote par correspondance électronique aurait été placé sous la responsabilité d'un prestataire privé et installé en dehors du territoire français, en tout état de cause, manquent en fait ;

Que ce soit placé sous la responsabilité d'un prestataire privé ne fait aucun doute. Mais ne gêne pas le CC.

J'adore celui-là :

il résulte de l'instruction, en particulier du procès-verbal du bureau du vote électronique, que le dépouillement automatique des suffrages exprimés dans la 4ème circonscription a été initialement interrompu par la présence d'un vote ne correspondant pas aux paramètres retenus par le système, avant d'être recommencé, après que le bulletin en cause a été déclaré nul, dans des conditions de sécurité et de fiabilité conformes aux dispositions des articles R. 176-3 et suivants du code électoral ; que, par suite, le grief tiré de l'irrégularité des opérations de dépouillement des bulletins exprimés par voie électronique pourra être écarté ;

Circulez, y'a rien à voir. Le logiciel a eu un bug, mais on vous assure que tout était sécurisé.

Celle-là est magique aussi :

Considérant qu'aucune disposition n'imposait que fussent communiquées aux délégués des candidats des informations relatives au nombre d'identifiants non remis à leurs destinataires, au nombre d'authentifiants délivrés pour le premier tour ou encore au nombre et à l'identité des électeurs ayant opté pour le vote par correspondance électronique ;

Certes c'est la loi apparemment. Mais il doit manquer un truc dans la loi…

Je n'attendais pas grand chose de cette décision, même tardive. À la rigueur un petit espoir dans la quatrième circonscription, ou clairement il s'est passé des choses étranges. Mais voilà, on en revient toujours au même problème : si le vote électronique a été manipulé, il n'y a aucun moyen de le savoir. Et donc aucune raison d'annuler une élection pour le conseil constitutionnel. Et pas besoin non plus de faire d'expertises supplémentaires :

  1. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de faire droit aux demandes d'expertise et d'instruction supplémentaire présentées par les requérants, les requêtes de Mme MONTCHAMP et de MM. MARTIN et GUILLARD doivent être rejetées ;

Triste jour pour la démocratie française. Pas de discussions sur le fond du vote électronique. Du détail technique et juridique. Pour comparaison, la cour constitutionnelle allemande a déclaré le vote électronique incompatible avec la démocratie.

  • # Toujours un peu la même incompréhension

    Posté par  . Évalué à 8.

    Ça se réduit toujours à "vous n'avez pas de preuve qu'il y a eu fraude, donc il y a non-lieu" (qu'on pourrait résumer à présomption d'innocence).

    Alors là où on veut en venir c'est de que le problème fondamental est qu'en cas de fraude, par nature, on ne pourrait pas la prouver, et que, donc, par précaution, un tel système ne devrait pas être utilisé pour commencer.

    Peut-être que la saisine a été mal formulée ou adressée à la mauvaise autorité, ou bien peut-être que non et le CC fait mine de ne pas la comprendre. Peut-être que tout simplement leur mode de fonctionnement est inadapté, car pour prouver qu'un système est fraudable, ils attendent qu'une fraude prouvée ait eu lieu.

    • [^] # Re: Toujours un peu la même incompréhension

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 6. Dernière modification le 15 février 2013 à 12:32.

      « Peut-être que tout simplement leur mode de fonctionnement est inadapté, car pour prouver qu'un système est fraudable, ils attendent qu'une fraude prouvée ait eu lieu. »

      Est-ce bien au scénario où un bienveillant hacker frauderait le système, et apporterait la preuve flagrante que ça ne marche pas au prix de quelques années de prisons que vous faites allusion  ? Ou bien plutôt à celui dans lequel des politiciens vrais tricheurs saisis de remords battent leur coulpe et renoncent d'eux même à un mandat frauduleusement accaparé ?

      En tout cas je vous rejoins sur la saisine « adressée à la mauvaise autorité ». De toutes évidence c'est bien le cas. Il eût fallu attendre environ cinquante ans après la fin de l'hégémonie des logiciels privateurs. D'ici là, toutes les instances gouvernementales supérieures (moyenne d'âge aux environs de soixante-dix ans) sont et resteront noyautées par des mal-comprenant, et autre non-appréhendant de l'outil informatique.

      « IRAFURORBREVISESTANIMUMREGEQUINISIPARETIMPERAT » — Odes — Horace

    • [^] # Re: Toujours un peu la même incompréhension

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 4.

      Il y a aussi des (présumés) fraudeurs au CC, ça explique des choses (présumées).

      Le post ci-dessus est une grosse connerie, ne le lisez pas sérieusement.

  • # Piège Numérique

    Posté par  . Évalué à 2.

    Il y a un bouquin (un peu épais, au style… bon, voilà, faut un peu faire abstraction, mais assez bien documenté et à la construction très scénarisable) dont l'intrigue, complètement actuelle, tourne autour de ce sujet (et d'autres auxquels les visiteurs de ce site seront sensibles) : Piège Numérique de Christian Olivaux.

  • # Invalidation de deux élections

    Posté par  . Évalué à 10.

    À noter également l'invalidation de l'élection de deux députées PS (Corinne Narassiguin et Daphna Poznanski-Benhamou) des Français de l'étranger : http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/02/15/le-conseil-constituionnel-annule-l-election-de-deux-deputees-ps-des-francais-de-l-etranger_1833158_823448.html.

    Dans les deux cas, l'élection a été annulée suite à des "maladresses" financières dans les comptes de campagne.

    Le drame, c'est qu'on risque de récupérer Frédéric Lefebvre …

    • [^] # Re: Invalidation de deux élections

      Posté par  . Évalué à 7.

      À noter que pour la seconde les charges sont tout de même lourdes, et que ses comptes de campagnes avaient déjà été rejetés par la Commission nationale des comptes de campagne.

      Pour Corinne Narassiguin, je suis plus mitigé. Le plus gros reproche c'est l'ouverture de deux comptes (un aux USA, l'autre en France), alors qu'un seul compte en France est autorisé. Je peux comprendre qu'il ne soit pas très pratique d'utiliser un compte français pour faire campagne aux USA et au Canada (et apparemment, ses comptes de campagne étaient tout de même en règle). Le conseil a fait son boulot de juge, mais je pense que le législateur a un peu fait de la merde.

  • # Sans surprise ni déception

    Posté par  . Évalué à 10.

    Le CC n'a pas pour but de décider ce qui est juste ou bien mais si le vote a respecté les lois et la Constitution.
    Il n'y a effectivement pas de preuve qu'il y ait eu fraude, et l'appareil législatif, tout comme la Constitution ne sont tout simplement pas adaptés à un vote électronique, le concept étant beaucoup trop récent.

    L'espoir viendrait effectivement soit d'un gentil pirate, soit d'un politique véreux plein de remords… ou plus simplement d'une initiative du législateur qui comprendrait enfin la nature du problème avec une volonté farouche de le résoudre.

    La démocratie est effectivement en danger, non pas à cause des fraudes, qu'on peut toujours considérer comme "rares" voire sans grande influence sur la destinée du pays, mais bel et bien à cause d'une crise de confiance dont l'ampleur pourrait dépasser tout ce que la démocratie ait jamais connu!

    • [^] # Re: Sans surprise ni déception

      Posté par  . Évalué à 9.

      Il n'y a pas forcément besoin de textes récents pour régler des problèmes de l'électronique, c'est un argument que j'ai du mal à comprendre. La transparence du vote, c'est tout de même pas un concept nouveau. Apparemment mal défendu dans notre constitution, mais que ce soit par Internet ou par papier le problème est le même (d'ailleurs ça a été retoqué par les allemands sans avoir besoin de quelque chose de neuf).

      • [^] # Re: Sans surprise ni déception

        Posté par  . Évalué à 3.

        La transparence n'est pas un concept nouveau, mais sa définition peut tout-à-fait avoir évolué:
        Quand on parle d'assister à un évènement, à une époque, ça signifiait être sur place et voir de ses propres yeux. Aujourd'hui, ça pourrait dire: écouter au téléphone et/ou voir via une caméra, et/ou obtenir des données intermédiaires indirectes retranscrites (ex: supposons un vote non anonyme, le comptage en direct des voix).

        Suivant la manière dont ça a été formulé à l'époque, ça colle plus ou moins bien avec les possibilités d'aujourd'hui. Si l'Allemagne n'a au besoin de rien d'autre, c'est peut-être finalement un coup de génie ultravisonnaire… ou juste un coup de bol!!

  • # Mauvaise formulation

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 10.

    Le vote électronique n'a pas été « validé par le conseil constitutionnel ». Je dirais plutôt qu'il n'a pas été invalidé par le ConsCons (avec la réponse habituelle combo « vous n'avez pas prouvé l'improuvable » + « ça n'affecte en rien le résultat du scrutin »).

    Par ailleurs il s'agissait de la sous-partie vote par internet. L'autre sous-partie vote par ordinateurs de vote a malheureusement déjà été non-invalidé par le ConsCons précédemment, parfois au prix de circonvolutions acrobatiques.

    nb: j'ai participé à la requête dans le cadre de mon rôle d'observateur du candidat (et de son suppléant) du Parti Pirate dans la 4ème circonscription.

  • # Commentaire supprimé

    Posté par  . Évalué à 2.

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