Journal Claude est pédagogue

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fév.
2016

La soirée de dimanche avait été festive. C’est avec l’impression que ses cheveux poussaient vers l’intérieur que Claude contemplait le ciel gris en buvant son café ce lundi matin. Il s’efforçait de faire le point sur la journée qui commençait : « J’ai annulé toutes mes réunions et j’ai botté en touche comme un pro sur mes deux projets en cours » se dit-il. Claude avait fait le tour, il y avait une bonne chance qu’il puisse ne rien avoir à faire de la journée. De toute façon il avait l’encéphale ravagé et des crampes aux doigts.

Claude aperçu M. Leblanc qui se dirigeait vers son bureau mais il pu partir à temps chercher un café afin de l’éviter. « Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir encore cet énergumène ? » s’interrogea Claude qui revenait de la machine à café en prenant le soin de ne pas marcher trop vite. Il commença à comprendre qu’aujourd’hui la procrastination risquait d’être un peu moins évidente que d’habitude. On avait une tâche à lui confier. Claude sentait ce genre de chose, son expérience lui permettait de sentir le travail dès que celui-ci s’approchait de sa personne. Il se rassura en se rappelant qu’il avait déjà réussi à éviter beaucoup de travail depuis le début de sa carrière et qu’il était habile à ce jeu.

Il lui restait encore quelques heures avant de pouvoir rentrer chez lui se détendre. Claude décida d’aller voir Lydie à la compta pour lui dire bonjour. Il repensa à ce rêve qu’il avait fait il y a quelques semaines, dans lequel il lui éjaculait du sperme multicolore sur les seins après un dîner romantique au KFC. Faut dire que dans le genre sexy, Lydie, avec ses jupes courtes et ses poses lascives se tenait là. Tous les hommes, Claude inclus, même certaines femmes, considéraient que Lydie était une vraie chaudière, une « chienne avec les yeux qui sentent la bite » comme lui avait dit une fois Yvan, le collègue obèse de Lydie. Malheureusement Lydie n’était pas là : « Vous vouliez la voir pour quoi ? Elle est en RTT, je peux lui laisser un message ? » lui fit Tania en arborant son horrible sourire de jument trisomique. Claude fixa Tania d’un regard noir et quitta le bureau de la compta à reculons, en continuant à la regarder droit dans les yeux et sans dire un mot.

« Tant pis, je trouverai bien quelque chose d’autre à faire… » pensa-t-il alors qu’il retournait à son bureau en faisant un détour par les toilettes pour uriner.

Ça faisait maintenant à peu près une heure que Claude visionnait des images sur 9GAG. L’heure de la pause approchait mais il y avait autre chose qui approchait : M. Leblanc. Claude réduisit son navigateur qui affichait 9GAG et laissa un éditeur de texte et un tableur Excel ouvert au moment où M. Leblanc fit irruption dans son bureau. M. Leblanc était accompagné d’un gamin habillé d’un pantalon moulant noir et d’un t-shirt tout aussi noir sur lequel brillait quelques bidules pailletés. Bien qu’une longue mèche de cheveux gras, noirs également, lui masquait la moitié du visage, on pouvait quand même percevoir l’expression désinvolte de son regard.

« Bonjour Claude, comment allez-vous ?
- …
- Je vous présente Kévin, c’est mon fils, il va faire son stage de troisième chez nous cette semaine. J’ai pensé à vous pour lui donner quelque chose à faire. Vous êtes disponible rassurez-moi ?
- Je suis flatté que vous pensiez à moi mais ça va être difficile, j’ai le projet Tortuga en cours et pas mal de tâches récurrentes, je risque malheureusement de ne pas être disponible pour ce charmant jeune-homme.
- Vous vous en sortirez très bien je n’en doute pas ! Encore merci je ne sais pas ce que je ferais sans vous ! »

M. Leblanc quitta le bureau en prétextant une réunion pour se sauver tandis que l’adolescent restait sur place les mains le long du corps à fixer le mur. Claude se dit que l’heure du déjeuner était dans un quart d’heure et qu’il allait profiter de ce temps à tuer pour faire connaissance avec le rejeton de M. Leblanc :

« Bonjour, moi c’est Claude, je suis responsable de la supervision. Alors comme ça tu t’intéresses à l’informatique ?
- C’est mon père qui voulait que je vienne ici.
- Toi tu aurais voulu faire quoi ?
- Ça sert à rien ce stage… »

Il y avait encore plus de désinvolture dans sa voix que dans son regard. Claude se dit que son entrée en matière n’était pas terrible, qu’il ferait mieux de parler d’autre chose.

« Tu as écouté le dernier Justin Bieber ? Je l’ai trouvé fantastique, ce son, ces arrangements… comme quoi la valeur n’attend pas le nombre des années ! » lança Claude plein d’entrain dans la voix.

Kévin, toujours sans esquisser le moindre sourire, cessa de regarder le mur et tourna le regard vers Claude : « Bieber c’est d’la musique de bolosse. » Claude, qui n’avait aucune idée de ce qu’était un bolosse fût décontenancé un court instant :

« Euh… oui… c’est clair ! On pourra se l’écouter demain, j’ai oublié le disque chez moi ce matin mais je l’apporte demain sans faute ! »

Ça y est, Kévin souriait. Claude fût satisfait de voir qu’il avait rompu la glace. C’était bientôt l’heure de rejoindre la cantine. Il en fit part à Kévin mais celui-ci lui répondit qu’il n’y allait pas. Il allait manger à la brasserie avec son père. Claude lui dit que c’était une excellente idée, qu’il connaissait bien cette brasserie et conseilla à son jeune stagiaire de prendre le bœuf en daube qui était « divin ». Le sourire de Kévin s’allongea un peu plus ce qui fit chaud au cœur de Claude, « J’ai encore l’esprit jeune ! » pensa-t-il pendant qu’il rejoignait la queue au self.

Les profiteroles au dessert avaient tout autant participé à la bonne humeur de Claude que le bœuf en daube. En sortant du réfectoire il s’était soulagé aux WC, il était retourné à son poste et sirotait un café en se demandant s’il allait surfer sur Koreus ou continuer à apprécier l’humour subtil de 9GAG cet après-midi. Soudain il se rappela de Kévin : « Qu'est-ce qu’il est en train de foutre ce gamin !? » Il était déjà 14h30 et aucun signe de l’adolescent à mèche… Claude se dit qu’il n’y avait rien à faire d’autre qu’attendre. En plus on lui avait envoyé un mail. Claude du réfléchir un instant avant de se rendre compte qu’il pouvait se contenter de transférer ce mail à son collègue absent qui ne reviendrait que la semaine prochaine.

Maintenant une heure qu’il cherchait un cadeau de mariage pour son beau-frère sur Leboncoin. Rien ne lui plaisait et le mariage devait avoir lieu dans deux semaines. Claude se rassura en se disant qu’il pourrait toujours offrir une belle casserole. Toujours pas de Kévin en vue. Il était bientôt l’heure de quitter le travail, Claude jugea qu’il devrait prévenir M. Leblanc. Par chance celui-ci n’était pas en réunion mais dans son bureau, les yeux rivés sur sa Surface Pro, sourcils légèrement froncés. Claude frappa brièvement à la porte et entra dans le bureau de son supérieur :

« Pardonnez-moi de vous déranger mais je suis un peu inquiet. Je n’ai pas vu votre fils de l’après-midi, il m’a dit que vous deviez mangé ensemble…
- Ah… Claude… oui… euh… Kévin ne viendra pas cet après-midi… il a euh… comment dire… je pense que le service IT n’est pas adapté pour son stage… Kévin vous apprécie beaucoup… bien sûr mais euh… et bien euh… il ne viendra pas voilà…
- J’espère qu’il n’est pas malade
- Non rassurez-vous ! Il reviendra demain, je vais le confier à Mlle Chadosse, vous savez… la p’tite Lydie de la compta.
- Oh… excellente idée patron !
- Je pense en effet !
- Bonne soirée à vous. À demain. »

Claude retourna d’un pas alerte à son bureau pour se dépêcher de ranger ses affaires. Il était déjà 16h05 il ne voulait pas risquer de quitter le travail en retard. Demain il n’aurait pas de stagiaire sur le dos, il était content. Il pourrait même aller voir Lydie, il avait le prétexte de l’album de Bieiber qu’il devait prêter à Kévin pour débarquer à la compta. Bien qu’il ait quitté le travail avec deux minutes de retard, en rentrant chez lui Claude avait presque l’impression de voler sur sa trottinette tellement son cœur était empli de bonheur.
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  • # Merci

    Posté par  . Évalué à 7.

    A la lecture des deux premières phrases j'ai cru que j'étais dans mon journal intime. La ressemblance s'est arrêtée là, je dois debugger mon prog même avec les cheveux qui poussent à l'intérieur !

    En tous cas merci pour la rigolade.

    • [^] # Re: Merci

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 6.

      Merci aussi. Cela a occupé le vide de ma journée.

      Pas besoin de procrastiner, je n'ai rien à foutre…

      Prochainement, je vous proposerai peut-être un commentaire constructif.

      • [^] # Re: Merci

        Posté par  . Évalué à 3.

        Ah ben pareil tiens. Dur dur de migrer deux wordpress… en tout cas je ne risque pas de quitter le travail en retard \o/

  • # Pas malin

    Posté par  . Évalué à 10.

    C'est pas malin de publier en fin d'après midi. Du coup, je pars en retard du boulot.

  • # Sympa

    Posté par  . Évalué à 10.

    Si je puis me phermettre d’être chiant, vu que c’est comme ça qu’on progresse…

    Il manque pas mal de virgules. Notamment, l’incise est introduite par une virgule, même après un guillemet fermant, par exemple : j’ai botté en touche comme un pro sur mes deux projets en cours », se dit-il
    Claude aperçu M. Leblanc qui se dirigeait vers son bureau mais il pu partir à temps ⇒ Claude aperçut M. Leblanc qui se dirigeait vers son bureau mais il put partir à temps
    il y a quelques semaines ⇒ quelques semaines plus tôt
    un éditeur de texte et un tableur Excel ouvert ⇒ ouverts
    sur lequel brillait quelques bidules pailletés ⇒ brillaient
    Bien qu’une longue mèche de cheveux gras, noirs également, lui masquait la moitié du visage ⇒ masquât
    jeune-homme ⇒ jeune homme
    l’heure du déjeuner était dans un quart d’heure ⇒ un quart d’heure plus tard
    fût décontenancé ⇒ fut
    Ça y est, Kévin souriait. ⇒ le mélange de présent (« est ») et d’imparfait (« souriait ») est bizarre. On pourrait remplacer, par exemple, par Kévin souriait à présent.
    Les profiteroles au dessert avaient tout autant participé à la bonne humeur de Claude que le bœuf en daube. – alors qu’il n’en a pas mangé puisqu’il est allé au self ?
    il se rappela de Kévin ⇒ il se souvint de Kévin. Se rappeler est transitif direct.
    Claude du réfléchir ⇒ dut
    dans deux semaines ⇒ deux semaines plus tard
    il devrait prévenir M. Leblanc ⇒ avertir. Prévenir, c’est avertir avant la survenue d’un évènement. À moins qu’il ne veuille prévenir M. Leblanc de son départ, mais je ne pense pas.
    Bieiber ⇒ Bieber

    • [^] # Re: Sympa

      Posté par  . Évalué à 4.

      Merci pour ces corrections. Je les trouves toutes pertinentes.

      Je me suis aperçu juste après avoir posté que j’avais chié dans la daube… J’ai clairement confondu les deux situations en écrivant.

      J’aurais dû écrire un truc du genre : « Les profiteroles de la cantine participaient à la bonne humeur de Claude au même titre que le bœuf en daube. » :)

      De manière générale essayer d’écrire au présent…

      • [^] # Re: Sympa

        Posté par  . Évalué à 2. Dernière modification le 23 février 2016 à 08:30.

        Pauvre Lydie, pauvre Claude, pauvres victimes de la conspiration dépressionniste !

        Voici mes notes à la lecture de ton texte (moins les fautes déjà relevées par ɹǝıʌıʃO):

        Il commença à comprendre qu’aujourd’hui la procrastination risquait d’être un peu moins évidente que d’habitude

        Je pense que l'expression "ça va pas être évident" du langage parlé ne marche pas sans le "ça", en tous cas pas dans cette disposition soutenue. La phrase reste sur une jambe : "un peu moins évidente que d'habitude"… mais être évidente à qui, à quoi ?

        On avait une tâche à lui confier. Claude sentait ce genre de chose, son expérience lui permettait de sentir le travail dès que celui-ci s’approchait de sa personne.

        Tu pourrais utiliser les deux points pour mettre en évidence le rapport de sens entre les deux parties de la phrase. La répétition de "sentir" est, en tous cas, un peu déroutante.

        Il se rassura en se rappelant qu’il avait déjà réussi à éviter beaucoup de travail depuis le début de sa carrière et qu’il était habile à ce jeu.

        Même chose que pour la virgule au dessus : la liaison entre les deux parties de la phrase pourrait être précisée. Par exemple : "qu'à force d'éviter …. il était devenu habile". Le but est d'éviter au lecteur la lecture de propositions juxtaposées qui donnent souvent une impression de surplace, pour lui montrer plutôt une progression de sens.

        • [^] # Re: Sympa

          Posté par  . Évalué à 4.

          Merci.

          mais être évidente à qui, à quoi ?

          qui → Claude
          quoi → procrastiner

          Il est évident pour Claude de procrastiner. Procrastiner est une activité qui paraît évidente à Claude.

          Je note que j’ai utilisé « évident » dans un sens qu’il n’a pas… ou pas en langage soutenu du moins. Je l’ai utilisé dans le sens « facile », comme dans : « C’est pas évident d’écrire une histoire de Claude ».

          Bref, des trois fautes citées c’est celle qui me paraît la moins évidente ;) Je souhaite écrire dans un style commun, voir familier… « évident » pour « facile » je trouve que ça passe.

  • # Et en rentrant chez lui ...

    Posté par  . Évalué à 10.

    Claude passe d'abord à la pharmacie chercher ses tranquillisants, puis au PMU pour s'en mettre une, et file avant que ça ferme au Monoprix, ou il flâne en mâtant au rayon "Cuisine du monde" , sachant qu'il finira par prendre un demi boite de ravioli, un sachet d'abricots secs et un pack de 8.6 …

    • [^] # Re: Et en rentrant chez lui ...

      Posté par  . Évalué à 6.

      Parce que ce soir il y a PSG contre Bidule sur beIN SPORTS. Ça va être un gros match ! Claude a presque hâte d'être déjà demain pour en discuter avec ses collègues sportifs devant la machine à café.

      • [^] # Re: Et en rentrant chez lui ...

        Posté par  (site web personnel) . Évalué à 8. Dernière modification le 22 février 2016 à 23:39.

        Ce match lui évitera Kristie, sa femme, qui est de sortie avec quelques amies ce soir. Femme avec laquelle l'amour s'est transformé en habitude, et l'attention en compassion. Conforme. Ce match il le dégustera seul : ses deux collègues avec lesquels il venait de prendre un apéritif en sortie de métro et avec lesquels ils avaient ensemble râlé contre le patron et râlé contre les syndicats, ont décliné son invitation. Apéritif après lequel la trotinette semblait moins aîlée…
        Justin Bieber réservé pour la fin de matinée à la compta, et le match pour débuter la journée, le lendemain s'annonçait radieux.

  • # continue ...

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 3.

    continue Marotte, j'aime beaucoup le style et l'inspiration de ces journaux.

    wind0w$ suxX, GNU/Linux roxX!

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