9ksrp0cria a écrit 1 commentaire

  • # Florent Latrive explicite les concepts du libre

    Posté par  . En réponse au journal Vers le brevetage du vivant ?. Évalué à 0.

    Florent Latrive explicite les concepts du libre
    dans du bon usage de la piraterie (2004)

    quelques notes prises

    empêcher la copie de livres dans les établissements scolaires entrave l'éducation des élèves ou des étudiants en les privant des ressources qui leur auraient permis de mieux se former, et d'être plus à même de contribuer au bien-être économique général... mais de tout cela, les partisans de la rareté se moquent, et on les comprend, car les effets positifs de l'abondance les concernent peu, l'intérêt immédiat des titulaires de droits est bien de juguler la copie pour capter le moindre marché, même limité, mais capable de payer le prix exigé, et tant pis pour les bénéfices économiques globaux ultérieurs que cette manoeuvre bride, il y a un écart considérable entre l'intérêt microéconomique d'une entreprise titulaire de droits de propriété intellectuelle et l'effet macroéconomique pour la société toute entière, un éditeur se préoccupe de son chiffre d'affaires, pas du pib à long terme d'un pays, il ne peut tout simplement pas faire autrement: il vend des produits sur un marché, c'est sa raison d'être et la condition de sa survie, or la copie et les effets bénéfiques de la circulation des savoirs, par définition, se passent en dehors du marché, ce décalage entre l'intérêt individuel des titulaires de droits et l'intérêt général des sociétés montre l'incapacité d'un marché des droits de propriété intellectuelle à appréhender tous les effets de la circulation de la connaissance et de la culture, les économistes parlent dans ce cas d'externalités, pour définir les conséquences d'une activité économique sur la société dont les prix et le marché sont incapables de rendre compte

    ...bien au contraire, la connaissance est cumulative, elle produit toujours plus de connaissance et de plus en plus vite, l'abondance s'entretient elle-même, là encore, le marché et le système des prix, fondés sur la rareté, sont incapables d'en rendre compte, les marchands de culture et de savoir ne peuvent appréhender que ce qu'ils encaissent et vendent, et non les gigantesques bénéfices indirects engendrés, le dogme marchand est aujourd'hui potentiellement contre-productif car il conduit, justement, les agents à une valorisation nulle du temps passé en dehors du marché [...] alors que c'est dans cette dimension que pourrait bien résider l'essentiel du gisement de croissance, indique l'économiste Bruno Ventelou

    ...le capitalisme moderne s'est rué sur une nouvelle frontière: la captation de l'intangible, l'appropriation de l'impalpable, de mécanisme destiné à la protection des auteurs et inventeurs, la propriété intellectuelle s'est mué en outil à extraire toujours plus de plus-value incorporelle, il ne faut pas chercher plus loin la marchandisation, les brevets sur le vivant transforment la vie en objet d'échange commercial, l'allongement des droits d'auteur confie à des entreprises une part croissante du patrimoine culturel et l'attribution de titres de propriété sur les résultats de la recherche scientifique substitue des péages à l'accès libre, toujours plus de barrières payantes: c'est l'échange, la coopération et la gratuité qui sont visés, ces espaces non-rentables et non quantifiables qui sont désormais mis en coupe réglée, il y aurait de quoi s'inquiéter si ce phénomène massif ne suscitait en retour une extension toujours plus grande de la gratuité et de la coopération, facilitée par les progrès technologiques, à la marchandisation de la musique – ultra-concentration des catalogues détenus par quatre majors multinationales et marketing omniprésent –, répond le peer-to-peer et la mise en partage de leurs discothèques par les internautes

    à la mise en boîte des logiciels made in microsoft répond le succès des logiciels libres, à la constitution de giga bases de données – couvertes par la propriété intellectuelle –, s'oppose la mise à disposition libre sur le web, au matraquage publicitaire pour imposer les marques, les faux sacs vuitton et la contrefaçon généralisée... c'est à dessein que l'on mêle ici la gratuité subie et la gratuité voulue – celle imposée à son corps défendant à certains créateurs, la piraterie, donc, à celle revendiquée par d'autres, elles forment toutes deux une riposte sociale à la privatisation de la culture et de la connaissance, et sont honnies de la même façon par les entreprises: l'industrie du disque combat le peer-to-peer comme microsoft combat linux, par haine du non-marchand, et sous l'étendard de la concurrence déloyale, comme si ce terme pouvait s'appliquer à la gratuité: la concurrence est le seul domaine de la marchandise, mortifère, elle pousse à la redondance des efforts, à la débauche marketing et à la guérilla commerciale, le gratuit, lui, mise sur la coopération, la libre circulation et l'échange, il n'y a pas de concurrence, mais deux univers hybridés aux règles différentes: marchand/non marchand, payant/gratuit, concurrence/coopération

    la gratuité réelle est celle du don, celle de la solidarité et de l'entraide, celle du libre échange intellectuel et des idées, c'est la victoire de la valeur d'usage sur la valeur d'échange: quand un bien est gratuit, on est renvoyé à soi-même, à sa capacité à en jouir, dit le philosophe Jean-Louis Sagot-Duvauroux, la gratuité est parfois construite socialement, avec un financement socialisé, la sécurité sociale ou l'école gratuite, laïque et obligatoire sont issues d'un remplacement politique du marché par l'accès pour tous, la gratuité des savoirs scientifiques n'implique pas le dénuement des chercheurs, tout comme la copie privée est associée à un mécanisme de rémunération pour les auteurs, les représentations idéologiques dominantes ont fini par nous faire perdre de vue l'évidence: les sociétés modernes sont droguées à la gratuité et l'extension de celle-ci est un marqueur de civilisation, le progrès, le savoir, la culture, les inventions, l'art, la civilisation, sont la part gratuite de l'humanité, c'est parce que l'humanité réagit gratuitement aux destructions marchandes qu'elle progresse, c'est parce qu'elle invente la prophylaxie après la peste de 1720 à marseille, parce qu'elle nettoie les plages polluées après le naufrage de l'erika, écrit l'économiste et chroniqueur Bernard Maris, il n'y a pas de société sans gratuité, il n'y a pas même de capitalisme sans gratuité, pas de commerce sans infrastructures publiques, sans lumière abondante, ni dévouement et don, il n'y a pas non plus de création sans gratuité: aucune invention, aucune oeuvre ne peut naître sans le terreau fertile du patrimoine culturel de l'humanité

    pour cette raison, étendre sans limites l'appropriation privée de l'immatériel est voué à l'échec: cette offensive se soldera soit par la dissolution complète du lien social et la stérilité économique généralisée, soit par des conflits toujours plus virulents entre les auto-proclamés propriétaires intellectuels et la gratuité anarchique, l'obstination absurde de l'industrie musicale face au développement de la copie numérique annonce bien les batailles à venir: criminalisation des usages individuels, affrontements stériles entre le public et les ayants droit, incertitude juridique et sociale pour tous, c'est donc l'extension politique de la gratuité qu'il faut viser, la réaffirmation du primat de l'échange social sur le commerce et l'organisation civilisée du non-marchand, l'objectif historique de la propriété intellectuelle est justement de tracer la frontière, mouvante, entre la marchandise et la gratuité, c'est ce sens-là qu'il convient de lui redonner aujourd'hui

    www.wikilivres.info/wiki/Du_bon_usage_de_la_piraterie