Joël Bernier (Red Hat France) répond à vos questions

Voici les réponses de Joël à toutes vos questions, 25 dont il est difficile de faire un résumé en quelques lignes.

« Slackware restera pour moi "la" distribution historique, elle m'a fait découvrir Linux (comme à beaucoup d'entre nous). »

A lire absolument si Red Hat vous intéresse!
Question 1: Joël, pourrais-tu te présenter ainsi que ton équipe pour ceux
qui ne te connaitraient pas (ce que tu as fait jusqu'à aujourdhui, etc).

Ma découverte du monde linux commence par un paradoxe: je l'ai fait au
travers de la vente de logiciels commerciaux (1993, sharewares) sur
disquettes et CD-ROMs. Parmi les CD-ROMs que j'importais en vrac, il y a eu
la première version Yggdrasil, en un CD-ROM. Je n'ai jamais réussi à
installer cette distribution, d'ou l'idée après ce premier échec de sortir
une version francisée et qui fonctionne de Linux.
En décembre 1994, mon choix s'est porté sur Slackware qui était totalement
libre.

En avril 1995, j'éditais ma première distribution française modestement
baptisée "Khéops 95". Je ne fus pas le seul à avoir l'idée d'une
distribution française; à quelques jours près, MNIS sortait lui aussi une
distribution française.

Nous avons par la suite édité les versions 96, 97 et 99 de Khéops, la
dernière étant éditée par Sybex. Le trou de l'année 98 correspond à nos
premiers travaux sur la distribution RedHat 5.0.

De janvier 98 à juin 99, nous avons adapté, édité et distribué
successivement les versions 5.1, 5.2 et 6.0 de RedHat, plus une version plus
personnelle appelée Executive Linux 6.0.

Nous avons créé en 96 un des tous premiers sites web de documentations en
français sur Linux, sur lequel nous mettions à disposition les traductions
des manuels des distributions Khéops, RedHat et Debian, ainsi que diverses
docs que nous préparions pour la communauté. Par exemple, le guide "Linux
facile", qui a depuis été téléchargé plus de 50.000 fois.

Nous avons aussi créé durant ces années des compilations diverses de CD-ROMs
à bas prix.

En juillet 98, Arnaud Metzler, Denis Bodor et moi-même avions déliré sur la
création d'un magazine entièrement dédié à Linux. Le premier numéro de Linux
Magazine France a vu le jour le 1er septembre 98, et nous avons participé à
ce magazine jusqu'en janvier 2000.



Question 2: Peux-tu donner une chronologie du monde du Logiciel Libre à
travers les étapes de la vie de ton entreprise ?

Mon entreprise n'a pas été créée sur la base des Logiciels libres, mais a
saisi en cours de route l'opportunité de rejoindre leur philosophie. Il ne
me semble pas possible de faire ce rapprochement.



Question 3: Quelles sont les raisons qui à l'époque qui t'ont convaincu
de rejoindre Red Hat ? Restropectivement était-ce un bon choix ?

a) technique: dès sa sortie, la RedHat était la première distribution populaire
avec une gestion efficace des paquetages, ce qui lui a permis à l'époque de
prendre le pas sur les autres distributions. Ce choix technique n'a toujours
pas été démenti aujourd'hui : beaucoup de distributions Linux commerciales -
SuSE, Caldera,...- ainsi que d'autres OS que Linux utilisent aujourd'hui des
outils de RedHat tels que rpm (voir rpm.org pour une liste complète).

b) rachat: RedHat a racheté son principal distributeur français longtemps après
que nous ayons fait ce choix technique. De notre côté, cette aventure avec
RedHat nous a beaucoup apporté et nous ne la regrettons en aucune façon. En
particulier, nous avons pu rencontrer nombre de dirigeants d'entreprises
qu'une modeste compagnie comme les Logiciels du Soleil n'auraient pu
approcher.



Question 4: Comment pouviez-vous associer SuSE et Red Hat sur le site
de Khéops tout en étant labélisé Red Hat France ?

la société Kheops et les Logiciels du Soleil ont toujours travaillé pour la
promotion des Logiciels libres. L'important n'était pas de distribuer une
marque plutôt qu'une autre, mais de convaincre un maximum de personnes de la
pertinence du choix Linux. C'est tout à l'honneur de RedHat de nous avoir
laissé continuer dans cette voie.



Question 5: Comment se fait-il qu'aucun commentaire ne soit fait dans
le Communiqué de Presse au sujet de votre départ de Red Hat France ? Red Hat
serait-elle devenue tout d'un coup amnésique au point d'oublier le travail
accomplie par toi et ton équipe pour le Logiciel Libre et la marque Red Hat
depuis 5 ans ?

Cette question serait plutôt à poser à RedHat à travers son service de
presse. Nous ne pouvons faire d'autre commentaire.

Contact presse:
Firefly Communications
Agnès Laffourcade
Tel : 01 56 79 12 06
Fax : 01 44 40 27 87
EMail : agnes.laffourcade@firefly.fr



Question 6: Quelles sont les réelles raisons qui ont fait que les bureaux
de Cagnes sur mer ont été fermés ? Est-ce un problème de productivité ou de
chiffre d'affaire ?

En aucun cas, il s'agit d'une stratégie de groupe au niveau mondial. Les
dirigeants de RedHat pensent encore que les affaires en France se traitent
prioritairement à Paris, d'où ce recentrage géographique des activités. En
quoi ils sont parfaitement en phase avec la culture d'entreprise française
d'aujourd'hui. Personnellement, je suis toujours convaincu que les outils de
communication mis à notre disposition devraient permettre de s'affranchir de
ces contraintes géographiques.



Question 7: Regrettez-vous finalement d'avoir été racheté par Red Hat.

Déja répondu [3].



Question 8: Les Logiciels du Soleil auraient-ils pu continuer à vivre
sans ce rachat ou bien votre situation économique à l'époque ne l'aurait pas
permis ?

Sans problème, notre situation économique était florissante à l'époque du
rachat. Nous avions sorti une distribution (Executive Linux) qui était bien
acceptée par le marché, avec de belles perspectives d'avenir. D'un autre
côté, les perspectives proposées par RedHat étaient aussi très intéressantes
du fait de l'impact du nom, voir [3]



Question 9: Quel était le rôle des Logiciels du Soleil dans la
constellation Red Hat?
N'étiez-vous qu'un bureau de vente, un thermomètre Européen, un traducteur, un
support francais, tout à la fois ? (Nicolas Vérité)

Officiellement, nous devions apporter notre connaissance du marché français
des Logiciels libres à RedHat, en particulier sur les aspects localisation
et distribution. En pratique, ce rôle a été difficile à tenir au sein d'une
société internationale dans laquelle la multiplicité des cultures -
particulièrement non anglophones - a toujours été difficile à admettre.



Question 10: Red Hat a récemment diffusé un communiqué qui indiquait que son
équipe était renforcée et venait s'installer sur Paris. Cependant ils passent en
fait de 8 personnes sur Cagnes s/ mer à 3 personnes sur Paris. Peut-on
réellement appeler ca une expansion ?! Comment expliques-tu cette nouvelle
stratégie de développement ?

Ce communiqué était peut-être un peu prématuré, mais la situation exacte est
la suivante: du fait de la fermeture du bureau de Cagnes, les effectifs
français baissent. On peut penser que RedHat se retrouve dans une période de
recrutement de compétences sur Paris, et que cette baisse d'effectifs sera
simplement momentanée, RedHat devant se donner les moyens des ambitions
annoncées. Stratégie: voir [6]



Question 11: J'imagine que tu connais les personnes qui composent la
nouvelle équipe Parisienne de Red Hat France. Quel est ton avis dessus ?

En ce qui concerne Pierre Ficheux, je suis heureux qu'il ait intégré
l'équipe parisienne, c'était mon choix. Il est utile de rappeler qu'il fait
partie des pionniers de Linux et du Logiciel libre en France, et qu'il est
l'un des promoteurs de leur utilisation en entreprise. En ce qui concerne
les autres éléments, ils ont été recrutés par RedHat Europe sur leurs
propres critères. Ces critères ne correspondaient pas forcément aux miens
mais je ne peux donner d'autre commentaire.



Question 12: Jean-Marc Lange, nouveau responsable de Red Hat France,
vient de Visio, donc de Microsoft. Est-ce que pour vous ces compagnies sont
un nouveau vivier de compétences pour le Logiciel Libre ??

A mon avis, cette personne n'a pas été recrutée en fonction de critères liés
au monde du libre, mais plutôt pour sa connaissance des marchés grands
comptes. Seul l'avenir nous dira si ces choix étaient judicieux.



Question 13: Le communiqué de Presse indique que Red Hat France espère
doubler le chiffre d'affaire pour 2001. Est-ce que ca te semble plausible ?

Oui. Les résultats obtenus grâce aux partenariats mis en place depuis le
début de l'année (Logix, OpenWay, MediaGold, Dell, ...) sont prometteurs
pour les prochaines années.



Question 14: La fermeture du bureau de Cagnes sur mer va t-elle avoir
une conséquence sur la localisation des distributions Red Hat en francais.
(Irvin Probst)

Probablement pas. La nouvelle entité née de la fermeture du bureau de Cagnes
sur Mer étudie actuellement avec RedHat son implication dans les projets de
localisation française des futures distributions.



Question 15: Avec le recul, ne pensez-vous pas que le sort des Logiciels
du Soleil a été scellé lors de l'été 1998 lorsque qu'aucun accord n'a été trouvé
ou recherché avec les fondateurs de MandrakeSoft quand à l'intégration des
packages Mandrake dans la distribution Khéops ? Pourquoi ne pas avoir cherché à
collaborer par la suite ?

Cette question donne à penser que les Logiciels du Soleil auraient été voués
à disparaître dès 1998. En fait, ils existent toujours et sont devenus
RedHat France au début 2000. Je ne situe pas cette référence à l'été 98.
Quelles sont vos sources? Aucun contact ni rapprochement sous une quelconque
forme n'a jamais été envisagé avec MandrakeSoft à cette époque. Notre choix
technique [3a] était déjà fait en faveur de RedHat (distribution 5.0) avant
la création de la distribution Mandrake.



Question 16: Est-ce que la concurrence avec la distribution Mandrake a
acceleré la fermeture du bureau français de Red Hat ? (Irvin Probst) Penses-tu
que Mandrake est un concurrent serieux de Red Hat ?

La décision de regroupement des activités de RedHat en France n'est
certainement pas le fait d'une quelconque présence concurrentielle. Et non,
Mandrake n'est pas un concurrent de RedHat. Aujourd'hui, chacune de ces deux
distributions peut s'enrichir du travail effectué sur l'autre. D'un point de
vue technique, le lien de parenté extrêmement fort qui existe entre ces deux
distributions me semble évident, et pour moi cette compétition ne peut être
qu'amicale. Opposer des distributions Linux, quelles qu'elles soient, n'a
pas d'intérêt pour moi, et plus particulièrement lorsque cela est fait dans
un but commercial. Il me semble que la concurrence importante devrait plutôt
se rechercher entre système propriétaires et systèmes libres.



Question 17a: L'aventure avec Red Hat est-elle définitivement terminée ou
vas-tu être nommé à une autre place dans le groupe Red Hat ?

Mon passage au sein de la compagnie RedHat est aujourd'hui consommé. Par
contre, l'aventure avec la distribution RedHat continue, ce choix [3]
n'étant pas remis en cause.

Question 17b: 5 personnes sont licenciées à Cagnes s/ mer, que se passe
t-il pour les bureaux sur Paris ?

Les personnels de Cagnes sur Mer ne sont pas licenciés, leurs contrats sont
simplement transférés à une nouvelle entité indépendante de RedHat. Les
bureaux parisiens ne sont pas concernés par cette fermeture.



Question 18a: Red Hat fait une des distributions Linux les plus
influentes commercialement. Ont-ils une visibilité et une influence après du
projet LSB.

Je ne peux pas répondre, ne faisant pas partie des décideurs de ce projet.

Question 18b: D'après toi le LSB est-il la seule mesure qui empêchera
Linux, à l'instar des Unix, de se fragmenter. (Nicolas Vérité)

Tout projet de normalisation comme le LSB va dans le bon sens pour éviter
une explosion de systèmes Linux. Il faudrait par contre éviter la
multiplication de ces projets de normalisation (Linux Std Base, Linux Free
Std Group, ...). Seule la fédération de tous les constructeurs et
distributeurs sous une norme unique permettra de donner une valeur à cette
norme. Il faut dire quand même que la disponibilité et la portabilité des
sources de Linux peut aussi être une réponse à ses détracteurs qui
brandissent aujourd'hui le spectre de la balkanisation.



Question 19: Pourrais-tu nous donner un défaut et une qualité de Red Hat
qui te vient en tête ? (Lol)

Défaut : une croissance trop rapide de la compagnie qui à parfois tendance
à oublier ses origines.
Qualité : une très bonne distribution.



Question 20: Red Hat fait partie de la fondation Gnome, connais-tu leur
position vis à vis de la Ligue KDE, et qu'en penses-tu ?

En ce qui concerne la position exacte de RedHat : je ne peux répondre pour
la compagnie. Personnellement, seuls les projets (pas les fondations ni les
ligues) m'intéressent. Je ferais le même type de réponse que j'ai déja faite
à ceux qui tentent d'opposer des distributions. Ces deux environnement
graphiques sont complémentaires et s'enrichissent mutuellement. Redhat
travaille plutôt pour le projet Gnome, SuSE plutôt pour le projet KDE, mais
les deux environnements sont proposés sur chacune de leurs distributions.
Ces environnements étant par ailleurs très proches d'un point de vue
d'utilisateur, faire un choix ne me semble absolument pas urgent.



Question 21: Quel avenir donnes-tu aux distributions telles que Debian ou
Slackware qui bénéficient moins d'un support commercial contrairement aux
distributions telles que Red Hat, Mandrake, ou SuSE ?

Slackware restera pour moi "la" distribution historique, elle m'a fait
découvrir Linux (comme à beaucoup d'entre nous). Je lui souhaite une longue
vie, voir le regain d'interêt suscité par son récent support des processeurs
SPARC. Pour parler de Debian, je n'ai aucun doute sur la pérennité des
distributions non-commerciales. Dans le modèle de développement
communautaire qui est le leur, leur intérêt et leur vitalité doivent se
mesurer en termes d'originalité des solutions techniques, souvent reprises
par la suite par d'autres, plutôt qu'en termes de parts de marché, là ou les
distributions ouvertement commerciales se placent mieux par définition.



Question 22: Suite à l'IPO de Red Hat et à la chute actuelle de sa
valeure boursière, crois-tu en un vrai développement économique du Logiciel
Libre ?

RedHat n'est qu'une société commerciale cotée au NASDAQ qui offre une
solution Linux globale. Elle ne peut représenter à elle seule ni Linux ni le
Logiciel libre. Cela serait faire affront aux milliers de développeurs et de
sociétés qui font aujourd'hui vivre le Libre. Associer l'économie du
Logiciel libre aux marchés boursiers tels que le NASDAQ est pour moi une
grave erreur. On peut dire des sociétés comme Alcove, Adequat, Atrid, sans
oublier IdealX ou Linbox, qu'elles contribuent aujourd'hui à développer le
marché du Logiciel libre, et elles ne sont pas pour autant cotées en bourse.
Il me semble être trop tôt pour parler de récession liée au modèle
économique du Logiciel libre dont toutes les données ne sont pas connues ou
stabilisées.



Question 23: Est-ce que d'autres entreprise du monde du Logiciel Libre
telles que Mandrake, Alcove, etc, ont proposé de reprendre "Les Logiciels du
Soleil" depuis que Red Hat a annoncé la fermeture du bureau de Cagnes s/ mer ?
(Irvin Probst)

Depuis cette annonce, nous avons reçu de nombreux témoignages, mais aucune
offre sérieuse n'a retenu notre attention. Nous préférons saisir cette
occasion pour revenir à nos origines. Tel le phoenix...



Question 24: Les Logiciels Libres ont-ils plus de chance de succès dans
l'embarqué que dans l'informatique classique - dans le contexte d'un marché
naissant. (Nicolas Vérité)

Si les Logiciels libres pouvaient avoir autant de succès sur le marché de
l'embarqué qu'ils en ont aujourd'hui sur le marché des serveurs (apache :
60% des serveurs Web d'après netcraft), on pourrait dire que demain
l'embarqué sera majoritairement libre.



Question 25: Quels sont tes projets sur les mois à venir si tu peux en
parler ? Que penses-tu faire dans le futur proche ? Penses-tu remonter une
structure similaire à Khéops afin de retourner à vos sources et à ce que vous
faisiez avant de devenir Red Hat France ?

Etant réputé opportuniste, je pense m'investir très bientôt dans la
commercialisation d'un nouveau concept: le bar à eaux (minérales). J'ai
piqué ce concept à Bob Young qui avait comparé un jour RedHat à Evian.

A part ça, nous allons réactiver à partir du 15 janvier la structure
commerciale Khéops http://kheopsfrance.com qui se trouvait en sommeil depuis
début 2000 et le site LinuxKheops http://www.linux-kheops.com.

Dans un premier temps, nous allons ajouter à cette structure spécialisée dans
la VPC de produits Linux plusieurs autres branches, dont la formation et
l'e-learning, l'édition de livres sur les logiciels libres ainsi que le support
de projets pour la communauté française.





Merci à Joël Bernier qui a accepté de répondre, en exclusivité, aux questions
des internautes de LinuxFr.
Souhaitons lui bonne chance pour ses projets.

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