Journal Twitter selon Musk, une cage dorée pour vos données

Sommaire

• • Les géants des réseaux Sociaux contre l’Open Web
  • L'Open Web, victime collatérale de la course à l’armement à l’IA
  • Si c’est gratuit, c’est toi le produit
  • Notes

Un nouvel épisode de l’offensive des géants des réseaux sociaux fermés contre le Web ouvert vient de connaître un rebondissement important. Cet épisode met sous les projecteurs les enjeux cruciaux du contrôle de nos vies privées et de l'exploitation effrénée de nos données personnelles sous fond de course à l’IA.

Ce samedi 1er juillet 2023, un incident a touché Twitter le rendant indisponible pour ses utilisateurs. En réalité, on l’apprendra par un tweet d’Elon Musk, l’accès aux fonctionnalités de Twitter a été restreint (#RateLimitExceeded). Un bug sur l’application Web (front-end) de Twitter lié à ce changement était la cause de cet incident¹. Mais la veille déjà, l'accès public à la plateforme a été supprimé, obligeant à créer un compte (#AuthWall) et donc d’accepter les conditions d’utilisations draconiennes de Twitter pour en lire son contenu. Les explications officielles d’Elon Musk qui font référence à la lutte contre le "data scrapping & system manipulation" sont floues et ne convainquent pas. Et pour cause, Musk n’a pas fait jusque-là grand cas des opérations de manipulation de l’opinion sur son réseau allant jusqu’à licencier la plupart des équipes travaillant contre la désinformation sur Twitter².

Les géants des réseaux Sociaux contre l’Open Web

Des explications plus sérieuses ont rapidement émergé. Si à court terme de façon tactique, la facture trop salée payée à Google Cloud pour un Twitter à court de cash peut expliquer cette brusque restriction d’accès à ses API³ ou encore la volonté de pousser le maximum d’utilisateurs vers l’offre payante, il nous manque la raison stratégique de fond. Pour cela, il faut se rappeler que ces restrictions font suite à la fermeture des API publiques en février 2023⁴.

Or aujourd’hui, ce sont les “proxy” à l’instar de Nitter, qui permettent de se connecter à Twitter sans passer par le site officiel ni posséder un compte, qui sont les plus touchés par ces mesures jusqu’à remettre en question leur existence⁵. Ces “proxy” de Twitter comme des autres plateformes de réseaux sociaux sont en réalité des rustines pour rétablir l’Open Web lorsqu’il est empêché par des mesures techniques. Désormais en plus de bloquer techniquement, l'AuthWall entend les rendre illégal. En effet, pour les contourner il est souvent nécessaire de disposer de faux comptes car pour obtenir un compte, il faut préalablement en accepter les conditions d’utilisations draconiennes interdisant le scrapping.

Et comme si l’AuthWall ne suffisait pas, le Rate Limiting bride l’accès des utilisateurs aux API pour bloquer le contournement avec un utilisateur robot. C’est sur cette base d’ailleurs que LinkedIn a réussi à gagner son procès contre la société hiQ Labs⁶. Cette dernière fut condamnée car elle utilisait des utilisateurs robots pour contourner l’AuthWall violant ainsi les conditions d’utilisations. Récemment, c’est Reddit qui a également bloqué l’accès à ses API publiques. En 2022, c’est bibliogram le proxy d’Instagram qui jeta l’éponge devant, notamment, les mesures similaires de Rate Limiting prises de sa plateforme mère⁷.

La similitude des tactiques contre les “scrappers” de Twitter menée par les réseaux sociaux américains fermés, les fameux Walled Gardens, tels que YouTube, LinkedIn, Reddit et Instagram, s'inscrit dans la campagne pour restreindre l'accès aux données publiques et ainsi étouffer les initiatives des sites web "Proxy" qui contournent le traçage publicitaire⁸. Ces “Proxy” pouvant à terme permettre de connecter les plateformes telles que Twitter au Fediverse (Mastodon) pour y accéder sans avoir jamais à s’y connecter. Une possibilité qui représente un danger de fond pour leur business model basé sur les revenus publicitaires et donc l’exploitation des données et comportements des utilisateurs. Mais cette menace de fond est soudainement passée au second plan face à une nouvelle menace imminente pour ces plateformes : l’Intelligence Artificielle des Large Language Models (LLM).

L'Open Web, victime collatérale de la course à l’armement à l’IA

Quel rapport entre l’accélération soudaine de cette guerre de Twitter contre le Web ouvert et la fièvre à l'Intelligence Artificielle (IA), me diriez-vous ? D’une part l’entraînement de nombreux LLM a créé une augmentation considérable du scrapping de Twitter impactant la plateforme, d’autre part le patron de Twitter n’entend pas laisser d’autres devenir des leaders de l’IA avec sa plateforme.

En réalité, le patron de Tesla aspire depuis longtemps à devenir un leader de l'IA. Il fut l’un des premiers investisseurs d’OpenAI, la société mère de ChatGPT, dont il quitta le board en 2018⁹. Entre-temps, Musk s’est largement épanché sur l’IA et la transhumanité sur les réseaux sociaux. Lorsque ChatGPT connut le succès phénoménal et spectaculaire que l’on connaît, il s’est empressé de mettre fin au contrat de 2 millions de dollars entre Twitter et OpenAI, affirmant que ce n’était pas assez cher payé, sous-entendant même que le succès de ChatGPT lui revenait de droit. Plus tard, Musk se justifiera en expliquant qu’OpenAI n’est plus OpenSource alors même que l’abandon officiel et définitif de l’OpenSource par OpenAI date d’avril 2023¹⁰. D’ailleurs son soutien appuyé à la mise en place d'un prétendu "moratoire" contre l'IA pour 6 mois lancé fin mars 2023¹¹, tombe à point nommé pour permettre à sa nouvelle entreprise créée en avril, X.AI¹², de rattraper son retard. C’est également en avril qu’Elon Musk passe à l’offensive contre Microsoft, le nouvel actionnaire principal d’OpenAI, accusant leur IA d’avoir été « _entraîné illégalement en utilisant les données de Twitter. C’est l’heure du procès _».

En tant que nouveau propriétaire de Twitter, il est raisonnable d’imaginer que Musk souhaite exploiter les données de sa plateforme via sa propre start-up IA ou de faire passer à la caisse ses concurrents qui l’exploitent pour entraîner leur IA. C’est ainsi que l’appétit insatiable des LLM pour les données des réseaux sociaux rend ces derniers de plus en plus enclins à la fermer à des fins mercantiles plutôt qu’à contribuer à un Web ouvert à tous.

Si c’est gratuit, c’est toi le produit

L'Open Web se rétrécissant de jour en jour, c’est notre capacité à inventer de nouveaux usages à nos données, à protéger notre vie privée, à nous protéger du cyber-harcèlement qui est en danger. Les plateformes fermées sont en position de faire de nos interactions, nos relations et nos informations personnelles leur propriété privée, nous reléguant au rôle de figurant de notre propre vie sociale et contrôlant notre perception de la réalité avec des algorithmes manipulateurs et opaques. Nous sommes en plein dans la maxime “si c’est gratuit, c’est toi le produit”. Enfin, par ces subterfuges contractuels et techniques, le RGPD devient une simple coquille vide réglementaire vidée de sa substance. C’est le cas en particulier le droit à la portabilité de ses données dont la finalité était de permettre aux utilisateurs de librement déplacer leurs données en dehors de la plateforme…

Pas de panique, ce n'est qu'une bataille de perdue, pas la guerre elle-même. Les développeurs du mouvement Open Source, conscients des enjeux, travaillent déjà à trouver des parades pour préserver les principes du Web ouvert ¹³. D'ailleurs, Twitter a déjà fait partiellement marche arrière en permettant de consulter les tweets sans AuthWall ¹⁴. Dans ce jeu du chat et de la souris, nos Jerry’s du Web Ouvert continueront de défendre la libre circulation de l'information et la protection de notre vie privée contre les Toms des Walled Gardens. Seule une prise de conscience collective peut garantir un Web ouvert et ainsi notre droit à contrôler nos propres vies numériques. #MakeTheWebOpenAgain

Notes