Journal Les enjeux du logiciel libre - GNU/Linux, GPL, RMS, liberté

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mai
2003
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Les enjeux du logiciel libre

La révolution du libre est en marche depuis près d'une quinzaine d'années et rien ne semble l'arrêter pour le moment. En partie grâce au noyau Linux, le libre suscite l'intérêt des médias, des décideurs et du grand public. Les manifestations autour de GNU/Linux et du libre se multiplient.

Certaines de ces manifestations visent un public de professionnels (comme la Linux Expo), d'autres ciblent les développeurs (comme le Libre Software Meeting) ou encore le grand public(comme les Samedis du Libre). Un point commun à la plupart d'entre elles : elles sont techno-centriques et mettent principalement en avant les avantages techniques et de coût indéniables des solutions libres. L'aspect communautaire et l'esprit de société alternative sous-jacente à la philosophie du libre sont la plupart du temps passés sous silence comme on oublierait d'inviter la fée carabosse pour fêter la naissance du petit dernier.

Le mode de production du logiciel libre, basé sur une théorie non propriétaire de l'information, serait une jolie fable utopique si depuis plus de 15 ans ce mode n'avait pas démontré de façon pratique qu'il est cohérent et fonctionnel. L'une des forces du logiciel libre est d'avoir bâti une théorie légale, via notamment la Licence Publique Générale de GNU, qui a permis la mobilisation d'une extraordinaire quantité d'énergie. Pour éviter que quiconque puisse accaparer les logiciels, Richard Stallman [1] ressourça le droit d'auteur en popularisant un nouveau type de licence, dénommée "Licence Publique Générale" (General Public License), qui protège un logiciel contre tout verrouillage technique ou légal de son utilisation, de sa diffusion et de sa modification. Sous l'influence de cette licence, une production de logiciels considérable et variée se développe avec le dénominateur commun de la liberté. Les informations nécessaires étant disponibles, chacun peut adapter ou améliorer les logiciels à sa convenance et les redistribuer, gratuitement ou non, mais sans contrôle de la redistribution par des tiers.

La croissance du réseau Internet et celle du logiciel libre sont bien entendu intimement liées. Les logiciels libres représentent l'architecture technique de l'Internet, et celui-ci a permis, par la mise en connexion de chacun avec tout le monde de modifier les règles du jeu, d'éliminer le vieux modèle de production centralisateur ploutocratique au profit d'une production coopérative. Cette production n'étant aliénée par personne, n'obéissant à d'autre règle que son adéquation avec le besoin de l'utilisateur, et non du marché, où la qualité ou la disponibilité d'un logiciel ne sont qu'un facteur de concurrence comme un autre.

Ainsi une bande de programmeurs mobilisés derrière une idée simple (et non pas derrière un homme ni un drapeau), utilisant la transformation sociale initiée par le réseau a pu produire parmi ce qui se fait de mieux dans le monde du logiciel, a pu bouleverser les cycles de développement classiques et a pu profiter de l'interconnexion globale des utilisateurs et des producteurs souvent les mêmes personnes !) pour s'engager dans des voies innovantes souvent négligées.

Pour autant, ne vanter que les mérites techniques des logiciels libres en négligeant leur philosophie conduit à une impasse. L'enjeu réel du logiciel libre est avant tout social et politique. Si les logiciels libres suscitent aujourd'hui un intérêt technique à court terme, leur avantage technique n'est que la retombée, après quinze ans de combat, d'un modèle qui vaut surtout par ses effets à long terme. Ne voir que le court terme, c'est s'exposer continuellement à retomber dans les pièges du logiciel propriétaire, c'est ne pas apprendre. Le vrai moteur du Libre Logiciel est bien la Liberté, terme devant être pris dans le sens civique, politique : liberté d'expression, liberté d'association, liberté d'entreprise, liberté d'user à sa guise de l'information disponible et de la partager au bénéfice de chacun, donc de tous.

De plus en plus de personnes peuvent utiliser les logiciels libres pour leur côté pratique, mais cela n'accroît pas pour autant la communauté du logiciel libre et ne la pérennise pas. Le combat du logiciel libre doit perdurer tant que la notion de logiciel existera (ce qui, d'après Eben Moglen [2], s'étend aussi au logiciel culturel). Or, qui peut garantir que les logiciels libres que nous utilisons actuellement seront toujours pertinents dans trente ans ou tout simplement l'année prochaine ? Nous ne braderons pas notre liberté pour de simples questions de commodité. Nous devons soutenir le logiciel libre pour ce qu'il est, même si le logiciel propriétaire devait s'avérer momentanément plus puissant ou plus efficace. Les questions de liberté et d'intérêt social sont au centre des préoccupations du monde du libre.

Le mouvement du logiciel libre, se référant à l'utilité sociale, s'oppose à l'appropriation individuelle de la production intellectuelle dans le logiciel.

Profitant actuellement du succès des nouvelles technologies de l'information et de la communication, des groupes d'intérêt se mobilisent pour renforcer la dérive vers l'appropriation intellectuelle, au détriment de l'intérêt général qui veut que les connaissances soient un bien public universel, et également au détriment des droits fondamentaux que sont la liberté d'accès à l'information et la liberté d'expression. Profitant des idées reçues et des fantasmes collectifs qui circulent sur les nouvelles technologies et sur les nouvelles interactions sociales, stigmatisant le partage et matérialisant l'immatériel, les lobbies de l'appropriation intellectuelle n'hésitent pas à détourner le droit d'auteur, principalement pour le plus grand profit de ceux qui deviennent justement inutiles à la production numérique. Et tant pis si le citoyen voit disparaître des droits qu'il lui semblerait naturel d'exercer dans la rue ou dans une société analogique ! C'est pourtant oublier un peu vite que la motivation originelle et officielle de la propriété intellectuelle était, et est toujours, de préserver l'intérêt de l'Humanité en reversant dans le domaine public une oeuvre qui survit ainsi à son créateur.

Finalement, le mouvement du logiciel libre prend racine dans un idéal qui postule la liberté absolue et le caractère universel du savoir et de l'information ; idéal qui n'est pas exclusif au logiciel.

[1] Richard Stallman est l'inventeur du concept du logiciel libre, le fondateur de la Free Software Foundation (FSF) et l'initiateur du projet GNU dont le but est de développer un système d'exploitation entièrement libre(il existe aujourd'hui sous le nom de GNU/Linux).

[2] Eben Moglen, professeur d'histoire du droit, est le co-auteur de la GPL
avec Richard Stallman.

Frédéric Couchet est le président-fondateur de l'APRIL (Association pour la promotion et la Recherche en Informatique Libre) et le président de la section France de la Free Software Foundation.



Frédéric Couchet
24 décembre 2002

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