roland a écrit 1 commentaire

  • # Qui sont les utopistes ?

    Posté par  . En réponse au journal La constitution Européenne : un autre avis de prof de droit. Évalué à 1.

    Je suis désolé, je vais faire mon rabat-joie, moi il y a des choses là-dedans qui ne me plaisent pas du tout...
    A part que c'est bien écrit, très pédago, ça c'est rare et ça fait plaisir, et que bien sûr y'a des bons arguments.

    Mais ce qui me fait tiquer c'est, globalement, l'éternelle (et trop facile !) défense de l'Etat, et l'appel à la neutralité du droit, qui me semble bien illusoire. Je détaille un peu.

    "Une Constitution n'est pas octroyée au peuple par les puissants. Elle est définie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l'arbitraire des puissants."
    Ca me semble un peu naïf.
    Un article d'un portugais contre la constitution (http://indygrr.ouvaton.org/index.php?page=article&filtre=1&numpageA=2&id=645) rappelle au contraire combien les constitutions ont servi aux pouvoirs, tout au long de l'histoire, pour se donner une légitimité.

    "Une Constitution doit être politiquement neutre : ce texte-là est partisan."
    Une Constitution, politiquement neutre ? Mais quel est donc ce fantasme ? Je ne suis pas juriste, mais mon regard profane ne peut s'empêcher de voir dans tout texte de loi une position partisane. La Déclaration des droits de l'homme est partisane. Elle proclame des valeurs, elle défend la propriété privée (article 17), par exemple. Une constitution est partisane dès le moment où elle institue la démocratie représentative. Et puis, il suffit d'aller se balader dans un tribunal pour voir combien ces fameux juges impartiaux, auxquels se remettent les mouvements "citoyens" dans certaines de leurs luttes, écrasent les prétendu-e-s délinquant-e-s, les laissant à peine parler, les couvrant de remarques moralisatrices, disant à leur avocat-e quand il ou elle évoque leur contexte social et familial qu'on n'est pas là pour faire de la sociologie (donc, on est bien dans une vision libérale du droit : l'acteur est puni parce qu'il a mal agi, peu importe son background, c'est un individu libre et tout et tout, donc hop c'est lui seul le responsable, on le punit, et s'il récidive on ne comprend pas, "pourtant on vous avait laissé une chance", qu'on dit avec mépris, véridique, j'ai entendu ça plusieurs fois).

    "Au-delà de la gauche et de la droite", tu parles ! Pourquoi invoque-t-on toujours cette neutralité absurde, inexistante ? Tout texte de loi, toute décision, tout acte, porte des significations éthiques, politiques. Je préfère les reconnaître, les analyser, pour mieux savoir où on veut aller, plutôt que de revendiquer cette apathie, ce fantôme de neutralité.

    "l'Etat, gardien de l'intérêt général"
    Ce n'est qu'une des phrases au milieu d'un discours amplement pro-Etat-providence. On dit à certain-e-s qu'il sont utopistes, je retournerais bien le compliment : il faut voir la vie en rose pour penser que l'Etat aime l'intérêt général, et qu'en lui donnant plus de pouvoir économique, tout ira bien. L'Etat n'est pas une instance divine, claire, transparente, juste et tout... Comment cette chimère peut-elle encore prospérer autant ? Pourquoi ne voit-on pas qu'une telle structure de pouvoir amène forcément avec elle son lot de corruption, de carriérisme, de soif de puissance... Et que tant que notre société sera aussi viscéralement vissée sur des principes de domination, l'Etat ne pourra jamais rester "vertueux" à côté de la puissance des lobbies qui lui font du pied...

    "tous les pouvoirs tendent naturellement, mécaniquement, à l'abus de pouvoir.
    Il est donc essentiel, pour protéger les humains contre la tyrannie, d'abord de séparer
    les pouvoirs, et ensuite d'organiser le contrôle des pouvoirs : pas de confusion des
    pouvoirs, et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs."
    Pourquoi s'attèle-t-on si peu, plutôt que de "contrôler les pouvoirs", à analyser les racines des mécanismes de pouvoir, et à envisager de les remettre en cause profondément ?

    Plus loin, décrivant l'esprit des lois de Montesquieu et cette idée de contrôle des pouvoirs, l'auteur dit : "C'est ça, la meilleure idée du monde, la source profonde de notre quiétude quotidienne."
    Alors là, mort de rire. Notre quiétude quotidienne, dans cette société qui montre chaque jour toutes les catastrophes humaines et écologiques dont elle a besoin pour continuer à vivre. L'auteur aurait-il une position sociale confortable pour oser proférer une phrase pareille ?

    "25 représentants des gouvernements (dont beaucoup ne sont pas élus, et
    dont aucun ne l'est avec le mandat de décider sur ce point essentiel)," ["ce point essentiel", ce serait l'adhésion de nouveaux pays à l'UE]
    N'y a-t-il pas foule d'autres "points essentiels" sur lesquels décident nos gouvernant-e-s sans mandat direct ? (au hasard : nucléaire, armement, politique économique).

    Voilà, et que vive le débat !
    r.

    P.S. Au passage, d'après Tiqqun, Foucault "rappelle que toutes les révoltes populaires depuis le Moyen Age ont été des révoltes anti-judiciaires, que la constitution de tribunaux du peuple durant la Révolution française correspond précisément au moment de sa reprise en main par la bourgeoisie, et enfin que la forme-tribunal, en réintroduisant une instance neutre entre le peuple et ses ennemis, réintroduit dans la lutte contre l'État le principe de celui-ci. «Qui dit tribunal dit que la lutte entre les forces en présence est, de gré ou de force, suspendue.»"