Je suis loin d'être un grand journaliste, un grand écrivain, ou bien un philosophe des temps modernes, mais je suis peut-être encore plus loin d'être un PDG d'une société de production ou un législateur tentant désespérément de contrôler un monde qu'il ne comprend pas.
J'ai grandi dans une maison sans télévision, par pure conviction parentale que ce que j'aurais pu ingurgiter n'aurait fait que détruire mon éducation. J'ai donc grandi dans la musique et la radio. À force de zoner sur la bande FM, on devient blasé : tout est déjà-vu. Cependant, il y a aussi des choses qui disparaissent. Des morceaux qui sont de moins en moins joué, mais que j'avais envie de garder, voire de réécouter plusieurs fois. Armé des moyens du bord, j'ai saisi un vieux magnétophone, une cassette vierge qui avait trop longuement servi, et j'ai collé le minuscule microphone intégré devant l'enceinte de la chaîne Hi-Fi. J'avais 12 ans. Deux ans plus tard, j'avais réussi à convaincre mon père d'acheter un lecteur de cassette qui se branchait directement sur le récepteur FM de la même chaîne. En moins d'un an, j'ai utilisé plus d'une dizaine de cassettes pour fixer ce que j'aimais. Je savais déjà que le support n'était pas fiable, mais qu'importe, j'avais au moins le loisir de pouvoir les écouter quand je le voulais.
Ensuite j'ai eu un peu de chance. La chance d'avoir un ami, et la chance qu'il ait une connexion Internet par le câble. En 1997, avoir un débit de 512 Kb/s, c'était un luxe en France. Ajoutez à cela des graveurs de cds à un prix honnête et un logiciel encore aujourd'hui célèbre : Napster. Quand on gagne 60 francs français d'argent de poche par mois, et qu'un album coûte entre 80 et 100 francs, on fait vite un choix. Et puis, l'adolescence apporte un goût particulier pour ces choses illégales et aventureuses : graver un CD. Qui plus est, je suis passé en douceur de l'enregistrement analogique à numérique, il s'agissait pour moi d'utiliser des moyens plus modernes et infiniment plus pratique. Adieu les découpes et les recoupes des morceaux dues aux radios qui ne passait pas les chansons en entier. Au revoir la perte de qualité. Plus aucun regret pour la touche avance rapide trop usée pour rechercher la bonne chanson.
En 4 ou 5 ans de Napster et de KaZaA, il est facile de se constituer une collection de quelques giga-octets de musiques au format MP3. Ayant suffisamment économisé, je me suis acheté un baladeur MP3, me permettant de stocker 20 Go. Le rêve. Tout ce que j'avais pu télécharger ou copier sur l'ordinateur familial pouvait se trouver dans le creux de main, toujours avec moi pendant que j'étudiais en classe préparatoire. Cela faisait plus de 5 ans que je piratais des musiques sans aucune inquiétude. L'habitude, que je savais mauvaise, c'était insinué : si une musique entendue à la radio me plaisait, je passais directement par la case « internet ». Ce fut là que quelque chose commença à ne pas tourner rond.
Le procès de Napster avait déjà fait couler cette plate-forme avec tous ses espoirs de libertés et d'infinis. KaZaA avait glorieusement pris la succession, aussi rapidement que ne l'aurait jamais permis tout autre moyen de communication. Nous, les jeunes, les « pirates » de la première heure avions la certitude qu'aucun procès ne pourrait entraver ce phénomène : si un logiciel tombe, un autre naît pour lui succéder. Un ph½nix des temps modernes.
J'ai maintenant 22 ans et vais bientôt sortir d'une école d'ingénieurs reconnue. Mon pouvoir d'achat n'a cessé d'augmenter, tout comme le prix d'un CD. Je veux parler du prix qu'on voit écrit dans le magasin de musique, puisque bien sûr, celui du CD en tant que matériau n'a cessé de baisser jusqu'à atteindre un prix minimum, et que la qualité des artistes a en moyenne fortement chutée.
Les logiciels dits de piratages ou plus exactement « Peer-to-peer » traduit en pair à pair, vont bon train. Malgré la fermeture de nombreux réseaux, ils en sont qui survivent et d'autres qui naissent encore.
Entre temps, des gens se sont réveillés. Ces mêmes gens ont vus des chiffres. Ces chiffres, qui revenaient chaque année plus gros que ceux de l'année d'avant, étaient moins gros. Ces gens ont pensés que quelque chose n'allait pas et voulait y remédier. Ils ont cherché une cause, comme on fait dans ces cas là. Ils ont cherchés partout sauf sur eux-mêmes, toujours comme on fait trop souvent dans ces cas là. Pour eux la cause était simple. Les gens, les autres, pas eux-mêmes, pirataient trop. Cela faisait plus de 5 ans que cela durait, mais comme ça ne se voyait pas sur les chiffres, ce n'était pas si grave. Il fallait donc réagir. Simplement, comment faire comprendre à des millions de gens que ce qu'ils faisaient n'était pas bon pour leurs affaires. Simplement, on fait un procès, puisque la loi était du côté des moins nombreux. Quelques procès exemplaires ont donc eu lieu, et ont sûrement dissuadé quelques personnes par peur de se retrouver en procès à leur tour. Pourtant, cela ne suffit pas. L'idée fut donc de faire une grande campagne pour dégoûter les « pirates » de cette coutume ignoble qui détruit la société dans laquelle ils vivent, en essayant de leur rappeler leurs bons côtés : faites comme tout le monde, achetez sans regarder à qui va cet argent, c'est pour le bien de la communauté dont vous faites partie. Force a été de constater que cela n'était pas suffisant. Il fallait penser ce mouvement comme une révolution culturelle. Le nouveau but était, est toujours, d'adapter le monde numérique au monde réel, de l'emprisonner dans des règles déjà établies, de le tordre afin de le faire plier aux exigences de quelques personnes.
Si j'ai autant de parti pris, c'est pour la simple raison que je sais que cela ne sera pas possible ou bien se fera par la dictature. L'ordinateur, internet, le monde virtuel a apporté à beaucoup de gens des outils et des moyens d'expressions nouveaux et inégalés. Quand on voit la simplicité qu'il y a à entrer le nom d'une chanson, à cliquer et à attendre 20 minutes que cette chanson arrive, on comprends que sortir acheter un morceau de musique soit déplaisant, en dehors de toute question d'argent. Plus d'agression publicitaire quant à la dernière production de la Star Academy ni de la sortie du dernier tube de l'été. Accessoirement, plus besoin non plus d'avoir un album complet quand seules trois chansons nous plaisent. À ceux qui voudraient me dire que c'est exactement comme vouloir acheter la moitié d'un tableau de maître, je leur répondrais que c'est exactement comme vouloir acheter un tableau de maître parmi la totalité de son ½uvre. Une chanson est un tableau, un album une collection, et une intégrale, c'est l'½uvre de toute une vie.
Aujourd'hui, ce qui est au goût du jour, c'est « faire des lois ». Faire une loi contre le terrorisme, faire des lois concernant les retraites, faire des lois pour réduire le piratage informatique.
Je suis français, et comme beaucoup de français, je suis fier de l'être, fier de faire partie de ce pays de libertés. Bien sûr, je ne suis pas d'accord sur tout, et bien des fois, il m'arrive d'avoir fait des écarts à la loi. J'ai installé chez moi une version piratée du système d'exploitation de Microsoft. J'ai une trentaine de giga-octets de musique, la plupart dont je n'ai pas acquis les droits. Sans parler des films. Mais j'ai fait plus grave. Tous les matins je prends un sens interdit à vélo, ce qui devrait me coûter mon permis B depuis le temps. J'ai déjà dépassé les 180 km/h sur une nationale, pour voir jusqu'où irait une R25 et ses 4 passagers et leurs bagages. J'ai participé au pillage de la supérette du coin pour avoir des bonbons sans se ruiner. Mais vous n'imaginez pas le nombre de gens qui mettent ma vie en danger chaque jour en grillant les feux rouges. Cependant, en ayant conscience des lois de mon pays, il y en a très peu que je ne trouve pas justes ou n'ayant pas leurs raisons d'être. Une loi n'est pas forcément faite pour être respectée, mais détermine toujours un coupable en cas de litige. La justice s'appuie sur la loi, et le mot justice s'appuie aussi sur la racine « juste ». Une loi, pour autant que je sache, ½uvre à préserver les libertés individuelles et le bien commun. Je ne referai pas une analyse de la Constitution de la Vème République.
La directive 2001/29 du 22 mai 2001 et le projet de loi N° 1206 relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information ne respectent pas les valeurs que je respecte. Mais cela va plus loin. En tentant de vouloir plier le monde numérique leur manière, certaines personnes vont peut-être rendre ce même monde réel incohérent et instable. Faisons deux suppositions. Tout d'abord, supposons que cette directive devienne loi. Ensuite, supposons que cette loi soit respectée et appliquée. Alors « tout exemplaire, produit, appareil, dispositif, composant ou moyen portant atteinte aux mesures techniques de protection et d'information » est illicite. Armé de mon imagination, j'en cite quelques uns : les lecteurs qui contourne la protection en permettant de restituer le morceau, les microphones utilisés par les chanteurs eux-mêmes qui permettent de capturer les variations de pressions de l'air pour le restituer en signal électrique enregistrable sur un support, mon futur ensemble constitué d'un tout nouveau lecteur Blu-Ray relié à cet ampli et à ce formidable lecteur de cassette qui a rendu ma jeunesse plus joyeuse. Non seulement ces appareils seront illégaux, mais toutes personnes ayant vendu, fabriqué, ou même parlé de ces appareils seront passibles d'une peine, que je n'ai même pas pris la peine de chercher.
En fait, mon argumentation est simple. Tant que perdurera ce que j'appellerai la « faille analogique », aucune moyen technique ne pourra m'empêcher de copier sans l'accord de son auteur un morceau de musique. La faille analogique, c'est le fait de traduire n'importe quel contenu en son signal pur, physique. J'ai oublié de dire : humainement compréhensible. Car empêcher un morceau numérique de retourner à sa forme analogique, c'est interdire à quiconque de l'entendre. Autant dire, c'est comme posséder un tableau de maître qu'on ne pourra jamais voir, et que seul l'artiste connaît.
En démocratie, il est permis de faire tout ce qu'il n'est pas interdit. En dictature, il est interdit de faire tout ce qu'il n'est pas permis. Cette loi rapproche dangereusement la démocratie, non pas de la dictature, mais de l'oligarchie. Vous savez, ce gouvernement contrôlé par quelques personnalités qui disent vous diriger dans votre bien et celui de la nation. Cette loi permettra à n'importe qui de dénoncer son voisin qui filme son DVD en train d'être visionné sur sa télévision. Cette loi, en de mots simples des jeunes d'aujourd'hui, cette loi, c'est n'importe quoi.
Il est facile de dire que ce n'est pas de notre faute, que les gens qui gouvernent le monde artistique auraient dû se réveiller plus tôt, et que maintenant il est trop tard. Je n'affirmerai pas cela, même si une part de vérité est présente. La solution ce n'est pas de se pencher sur le passé et de trouver un coupable. Il n'y a pas de coupable, nous sommes tous acteurs dans cette société, et nous sommes tous responsables. Je voudrais simplement attirer l'attention sur le fait que la répression n'est pas une solution, et que le monde numérique n'est pas le monde réel. Il va falloir revoir un peu plus en profondeur ces aspects. Vous n'allez pas nous faire croire que des gens comme vous qui ne sommes pas comme nous peuvent comprendre nos besoins si facilement. Il faut protéger les ½uvres, c'est la condition sine qua non de la survie des artistes et de l'art. Mais croyez bien messieurs les vendeurs de disques que plus je pourrais vous enfoncer, plus je le ferais. Plus vous continuerez à prendre les gens pour des criminels, plus ils seront ainsi !
Bien sûr, le débat est ouvert à tous ces logiciels et cette culture du libre à laquelle je participe modestement mais de manière convaincue. Vous voulez cultivez le monde contrôlé et l'absence de liberté ? Non seulement, les êtres humains n'ont jamais aimés être privés de quelque chose d'acquis, mais ils ont pris la mauvaise habitude de se battre contre ça. Et jamais une loi n'a empêché de faire la révolution.
N'étant pas un habitué de la plume, ces idées sont un peu désorganisées, mais je crois que ça n'a pas vraiment d'importance. Ceux qui sont arrivés jusqu'ici me comprendront sans problème.
Malheureusement, je me fais peu d'illusion quant à la portée de ces pensées. Il est clair que le vote du 23 décembre n'en sera pas affecté. Mais voilà, tant que j'ai encore mon droit d'expression, je l'utilise, de peur de le regretter par la suite.
Références :
* Le projet de loi : http://www.assembleenationale.fr/12/projets/pl1206.asp
* Un exemple de DRM peu convaincant :
http://standblog.org/blog/2005/11/14/93114500-drm-sony-bmg-c(...)
http://www.sysinternals.com/blog/2005/10/sony-rootkits-and-d(...)
* Des moyens d'agir et plus de documents : http://eucd.info
http://linuxfr.org/2005/11/17/19915.html
# Corrections de rédaction
Posté par Glandos . Évalué à 0.
Des versions finalisées, avec un peu moins de fautes sont présentes là :
http://hermes1983.free.fr/DADVSI/
Mais je ne me vexerai pas si vous avez trouvé d'autres fautes...
# Tu confonds...
Posté par Calim' Héros (site web personnel) . Évalué à 2.
Ce n'est pas parce que c'est libre que c'est gratuit et reciproquement.
Sinon je ne vois pas comment qqun qui dit être ingénieur, qui dit avoir des revenu de plus en plus grand et qui n' a pas un minimum de respect pour les auteurs qu'il apréci et/ou lui rendent service pour respecter leur choix de distributions peut apporter un tant soit peut de credibilité a la lute contre ce projet de loi. Alors si tu veux vraiment être util, merci de te taire.
[^] # Re: Tu confonds...
Posté par Glandos . Évalué à -1.
En fait, je ne vois pas vraiment dans quelle partie j'ai pu mélanger libre et gratuit, je n'ai jamais mélangé ces deux notions depuis bien longtemps ! Si jamais tu as le courage de m'expliquer où est-ce que ça cloche :)
Quant au reste : je ne suis pas ingénieur, je suis étudiant, j'ai donc de quoi me nourrir, même si je suis loin d'être à plaindre. Le respect ? Bah ouais, je sais ce que c'est, c'est reconnaître sincèrement le travail du copain, sans le prendre pour une grosse bille. Mais franchement, dire que les artistes ont un choix de distributions, là tu m'épates, où alors on vit pas sur la même planète. Si tu as des exemples, encore une fois n'hésite pas !
Ce qui est sûr, c'est que je suis utile à rien avec ce torchon (oui, ça vaut pas plus hein). Mais si je voulais être vraiment utile, je ferais tout sauf me taire. Pour aller au fond de ma pensée, je répondrais à celui qui conseille de se taire pour être utile qu'il est un crétin, mais une dernière fois, si tu as des anecdotes intéressantes, je suis tout ouïe !
[^] # Re: Tu confonds...
Posté par Calim' Héros (site web personnel) . Évalué à 2.
Sinon au niveau diffusion et bien il existe de nombreux sites qui propose des groupes avec des licences d'ecoutes et de diffusion plus permissive (http://www.musique-libre.org, http://www.gnuart.org, http://magnatune.com/...) et plus économique aussi. Donc a tu a largement la possibilité de trouver des choses qui corresponde a tes gouts et tes moyens.
Et oui je persite tu ferais mieux de te taire que de pondre un texte aussi contre productif que celui la.
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