« Ordinateurs : attention au trou de mémoire »

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6
13
fév.
2009
Technologie
« Que deviendront vos textes, vos photos, vos vidéos de famille dans cinquante ans » est le titre d'un article paru dans le quotidien La Dépêche du Midi (qui couvre le Sud-Ouest), publié le 05/02/2009 09:00 par Gérald Camier dans la rubrique High tech / Sciences.

Il pose le problème du stockage des données numériques, toujours plus nombreuses et sollicitées, dans la durée.

NdM : Merci à patrick32 pour son journal à l'origine de cette dépêche. « La preuve est déjà faite qu'un texte en format Word, par exemple, enregistré et ouvert plus de 400 fois perd sa substance au fur et à mesure de son utilisation. Des lettres disparaissent, la ponctuation s'efface, des mots entiers ne sont plus lisibles. Ces expériences, menées par des chercheurs en informatique, tendent à prouver que les données informatiques ne sont pas immortelles. »

Les écrits antiques préservés « grâce au travail de transmission des copistes » sont comparés à une « impasse » technologique menaçant, par exemple, les archives de la NASA et ses bandes magnétiques.

Heureusement « Les chercheurs de Microsoft explorent »... « l'informatique immortelle » . « On a beaucoup travaillé sur cette problématique de la préservation des contenus, notamment avec la bibliothèque de France », confie Philippe Joly, chercheur à l'IRIT (Institut de recherche en informatique de Toulouse). « Les supports se multiplient sans arrêt. Tout ne peut être catalogué manuellement ».

« Peut-être devrions-nous commencer à penser comme une civilisation qui s'éteint et créer nos pierres de Rosette », explique le chercheur Éric Horvitz, d'après La Dépêche.

« Microsoft imagine d'éviter les dispositifs de stockage qui nécessitent des éléments internes amovibles cassables. L'information stockée pourrait être récupérée via une interface indépendante de l'objet, ce qui lui permettrait d'évoluer avec la technologie. »

Le journaliste a touché le fond du problème : Le problème du stockage est surtout le problème des supports. Le stockage numérique en lui même, n'est qu'un problème de réplication et de redondance. Hier les moines copistes, aujourd'hui Madame Michu. La patiente et éprouvante relecture et sa réécriture appliquée, contre l'instantanéité des réseaux, la précision et la puissance de calcul distribuée à domicile, la colossale mutualisation des moyens de stockage, sous quelque forme que ce soit.

Les limites des informaticiens chercheurs de Microsoft n'ont d'égal que la mission insensée qui leur est demandée. Elle est de la nature de celles qui remplissent le Guinness des records. Il s'agit de se passer des moyens à notre disposition, de nier l'évidence et de passer outre les fabuleuses avancées qui font de chaque individu, un potentiel moine copiste (http://fr.wikisource.org/ http://commons.wikimedia.org/).

Le point de vue de Benjamin Bayart paru dans Ecrans (Libération) dénonce un de ces autismes qui ne recherche pas des solutions conformes aux intérêts de tous, mais des solutions aux intérêts de quelques-uns. Microsoft en tête. Dont le monopole s'est construit sur la centralisation et la privation, que les nouveaux usages viennent à faire vaciller. C'est aussi le cas de ceux qui revendiquent représenter les ayant-droits. Oubliant au passage que l'ayant-droit est l'auteur, donc potentiellement chacun de nous, et non quelques-uns qui seraient triés selon on ne sait quels critères de qualité, tels que ceux qu'appelait le Président de la République française, lors de l'inauguration du Conseil pour la création artistique.

Les réseaux favorisent les échanges, la communication. Ils rationalisent les flux en dépassant les modèles de centralisation de l'information. Chacun, auteur potentiel, chacun diffuseur potentiel, chacun utilisateur potentiel. Sans discrimination ni soumission à quelque pouvoir autoritaire qui limiterait les libertés. L'économie ne devrait pas en souffrir et on ne devrait pas s'en plaindre.

Brider les réseaux, limiter, filtrer, imposer, priver. Ce monde où la centralisation devrait donner son aval et tout contrôler. Ressemble comme à une monstruosité déviante de l'usage de la technologie. Une de celles qui ont pu effrayer au début du siècle précédent, qu'on a vu se déployer dans les pires moments de l'humanité.

Quoi de plus naturel pour une administration de tout contrôler ? Toutes en ont recherché les moyens, depuis la plus haute antiquité, comme gage de sécurité et de stabilité. La technique aujourd'hui fournit ces moyens. Pas un complot, non. Juste une déviance toute naturelle, qui sourd et se matérialise sous des formes qu'on justifie toujours. Ces craintes sont exprimées dans par exemple 1984, écrit en 1945, alors au sortir d'une guerre pour mieux s'engager dans une autre, froide, celle-ci. C'était alors le combat d'une civilisation contre une autre, et dont l'enjeu était la liberté.

Las, les années ont passé et les empires se sont écroulés, mais ce sont les mêmes qui hier vantaient la défense des libertés, et pour lesquelles ils étaient prêt à tout, qui aujourd'hui expliquent en pédagogues, comment s'en priver et pourquoi elle seraient si dangereuses.

À la paranoïa, qui permit opportunément de renommer le TIA (Total) en TIA (Terrorism) par exemple, se succèdent une avalanche de mesures visant à restreindre les droits et usages des citoyens. Ici contre les néo-nazis, là contre les pédophiles, ailleurs contre le piratage, le « vol » de biens immatériels que sont tous contenus médias. On se soucie bien moins des droits que des devoirs[1].

La désormais tristement célèbre phrase de l'éphémère député Lefebvre, lors d'une de ses rares visites à l'Assemblée Nationale, est révélatrice : « La mafia s’est toujours développée là ou l’État était absent ; de même, les trafiquants d’armes, de médicaments ou d’objets volés et les proxénètes ont trouvé refuge sur Internet, et les psychopathes, les violeurs, les racistes et les voleurs y ont fait leur nid. »

« Des députés aussi ! » lui répondait alors le député Patrick Bloche.

Ainsi aujourd'hui ce sont les moyens de sauvegarder la civilisation que les chercheurs de Microsoft traquent comme la pierre philosophale, campés sur une mine d'or qu'ils ne sauraient voir .

Et notre presse trouve ça fantastique, se pressant vers le gavage, ne regardant que ce qu'on lui montre. Améliorer les supports de stockage, c'est très bien, de là à sauver la civilisation... peut-être sauver une certaine conception théâtrale de la civilisation ?


[1] LCEN, DADVSI, HADOPI, rapport Medina et visiter http://www.vie-privee.org/, http://www.bugbrother.com/, http://bigbrotherawards.eu.org/

Aller plus loin

  • # Question de format

    Posté par  . Évalué à 10.

    La preuve est déjà faite qu'un texte en format Word, par exemple, enregistré et ouvert plus de 400 fois perd sa substance au fur et à mesure de son utilisation. Des lettres disparaissent, la ponctuation s'efface, des mots entiers ne sont plus lisibles.

    Encore une bonne raison de préférer ODF, c'est bien çà ? :-)
    Je sors. ->[].
    • [^] # Re: Question de format

      Posté par  . Évalué à 7.

      La preuve est déjà faite qu'un texte en format Word, par exemple, enregistré et ouvert plus de 400 fois perd sa substance au fur et à mesure de son utilisation. Des lettres disparaissent, la ponctuation s'efface, des mots entiers ne sont plus lisibles.

      {{référence nécessaire}}

      Plus sérieusement, la plupart des logiciels de mesures ouvre, change et ferme un fichier (et ce un nombre important de fois, > 1000). Jamais eu de chiffre qui disparait (je le verrais sur ma courbe).
    • [^] # Re: Question de format

      Posté par  . Évalué à 4.

      Euh non, pas vraiment... C'est un peu le problèmeme justement ...

      Je ne comprends pas qu'un fichier ouvert puis fermé par un logiciel perde de sa substance ...

      Je me suis d'ailleurs pris la tete avec les fichiers ms project pour les signer avec GPG... Suffit de les ouvrir et les fermer pour que la signature deviennent obsolete ... MS Project se sent obliger d'enregistrer dans quel chemin le fichier etait lors de son ouverture, le user windows qui l'a ouvert, la date et le nombre de fois qu'il a été ouvert ... bref, de la merde (en tout cas, a part faire des statistiques pseudo bidon, je vois pas l'utilité ... Surtout dans une ouverture fermeture sans aucune modif)
  • # trou de mémoire ?

    Posté par  . Évalué à 4.

    mouai.

    Pour la NASA je ne sais pas, mais _personnellement_ je ne suis pas trop inquiet. La taille, et surtout le prix des moyens de stockage augmente, resp. baisse, en permanence. C'est vrai que l'on a tendance a saturer les moyens de stockage, quelque soit leur taille. Mais quand même.

    Tous mes CDs tiennent maintenant sur un carte de la taille de l'ongle de mon pouce. Meme chose pour mes photos. Mes DVDs ce sera pour bientot.

    Le format des fichiers et la pérénité des logiciels pour les "ouvrir", est une tout autre problématique. Mais ca, on est bien au courant (du moins sur ce site) => formats ouverts, et logiciels libres !

    Côté trou de mémoire, je m'interrogerais plutot sur ma mémoire à moi, qui 1) n'est plus autant entrainée que dans le passé. (il n'y a qu'a demander à google, ou wikipédia). et 2) sous un autre angle, n'est plus capable de gérer autant de données que je peux stocker sur mon disque - et personnellement je trouve que les logiciels actuels sont assès limités pour gérer de grandes quantités de données.

    Et pour finir, je pense que Je serais quand même plus inquiet à propos de la dépendance au réseau grandissante. Et de dire « Attention aux trous de mémoire du web ! »
    • [^] # Re: trou de mémoire ?

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 3.

      ben la nasa en l'occurrence elle vient officiellement de paumer les documents concernant les techniques d'alunissage sur des bandes qui n'ont pas eu le temps d'être backuppés et qui se sont démagnétisées ...
      ça me rappelle une boite qui avant le passage a l'an 2000 voulait par précaution imprimer TOUT ses documents internes. Ils ont fait le calcul en tenant compte de leurs imprimantes les plus rapides (50 ppm a l'époque) : 2 ans d'impression continue, se dire ça a 6 mois de l'échéance était un tantinet tardif. heureusement que le bug s'est dégonflé !
      Tout ça pour dire qu'il ne faut pas présumer de la capacité de la boite a résoudre ce genre de problèmes rien que sur ses moyens apparents, la réalité est toujours plus vicieuse.
      • [^] # Re: trou de mémoire ?

        Posté par  (site web personnel) . Évalué à 4.

        Certaines entreprises doivent aujourdhui avoir l' assurance de pouvoir conserver réellement totalement pendant 50 ans la totalité des données. C' est à dire dans 50 ans pourvoir dire "ce binaire est issue d' un code écrit sous vi, lui même compilé avec un gcc xx, vi tournait sur un système linux machin avec un env. bidule, sur une machine truc. Puis le code a été compilé sur un gcc xx, avec la suite d' option, tournant sur un système linux yyy. Enfin ce binaire a été validé sur une plateforme linux xxx, tournant sur un matériel machin".

        J' espère que tout ça n' est pas conservé en .doc ;)



        ps : il y a fort à parier que cette problématique de conservation des données a mis un véritable coup d' accélérateur à l' adoption de format standarisés, ouverts et documentés.

        Merci beaucoup, patrick32, pour cet article rendu savoureux par le choix des morceaux issus de, les commentaires et compléments apportés. Ainsi qu' a mouns d' avoir relayer cet article en 'première de couv'
    • [^] # Re: trou de mémoire ?

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 4.

      en effet, tu sembles oublier que le principal problème pour la pérénité des données, c'est le support... aujourd'hui on a aucun support capable de tenir 50 ans sans être régulièrement recopié.

      J'en ai entendu certains dire "give it to the cloud". Personnelement je doute "the cloud" soit scalable au point d'emmagasinner toutes les conneries que des millions de gens veulent archiver pendant 50 ans.
    • [^] # Re: trou de mémoire ?

      Posté par  . Évalué à -1.

      Oui pour le trou de mémoire du web ...

      Car sinon, je ne comprends pas trop la problématique de la dépèche... C'est un flanflan de logiciel proprio ?
  • # Citer l'auteur original du journal ?

    Posté par  . Évalué à 3.

    Ayant déjà vécu le cas d'un journal promu en news de première page (d'ailleurs, le nouveau système de page d'accueil avec le mélange news/journal n'était pas là pour palier ce problème ?) ce serait peut-être bien de citer l'auteur original du journal, patrick32 ? Parce que là on dirait que c'est Moun's qui a écrit cet article, très bon au demeurant.
    • [^] # Re: Citer l'auteur original du journal ?

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 3.

      vi, bien vu, je l'ai rajouté.
      Il y a visiblement un reliquat de bug ou d'amélioration à faire, vu qu'en édition c'est bien patrick32 qui apparaît mais en publication c'est celui qui a effectué la conversion qui est retenu...

      Pour la refonte de la page d'accueil, c'était surtout pour avoir plus de diversité et de renouvellement.
      La conversion d'un journal en dépêche lui donne néanmoins plus de visibilité, vu que les flux rss ne sont pas les mêmes.
  • # Si y'a que ça... (mode fin du monde)

    Posté par  . Évalué à 5.

    ... qui pose problème dans 50 ans je suis ravi ! Moi je pense qu'on s'inquiètera plus de savoir où trouver à bouffer. Enfin voilà je sais ça n'a rien a voir avec le sujet mais p'tit coup de blues en ce moment. M'en voudrez pas.

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