Journal Si vous comptez vous rendre en Belgique...

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17
fév.
2004
... pour un FOSDEM ou pour une autre raison, voici un mail que j'ai reçu, qui m'a bien fait rire et qui vous aidera à pleinement profiter de votre séjour dans le plat qui est le mien.


Les 4 choses les plus importantes à savoir sur la langue "Belge":

1. Les indispensables septante (70) et nonante (90).

C'est simple, clair et net...et grammaticalement plus correct que les ersatz du type quatre-vingt-dix ou soixante quatorze...

Ceci ne souffre aucune discussion. D'ailleurs, pour faire un parallélisme avec d'autres langues, en anglais, 70 se dit seventy et pas sixty-ten.
Même le néerlandais, qui se rapproche plus du klingon (cfr StarTrek), fonctionne de la même façon: 90 = negentig.

2. L'accent ou plutôt les accents...

Car en Belgique, il y a autant d'accents que de villages. Vous n'êtes pas obligé de prendre l'accent pour converser avec un Belge. Ce n'est pas un mongolien (généralement) et vous pouvez être sûr qu'il comprendra votre français de Marseille, de Strasbourg ou de Laval.

Quelques dialectes:
* le liééééééchois (Liège)
* le namuuuurois (Namur), proche de l'accent suisse du Valais
* le tournaisieeeennn (Tournai), proche du Picard
* Remarque: le brusselaire
* L'accent bruxellois est le plus connu et le plus (mal) imité : "Alleï, dis, fieu!"
Pour parfaitement l'imiter, il faut se mettre dans la peau du
personnage, c'est-à-dire avoir une grande gueule et faire son malin
avec sa Rolex / son autoradio / son "G" (GSM = portable) acheté à
crédit qui a coûté 3 mois de salaire. En bref, il faut être un gars de
la capitale.

D'ailleurs, n'oubliez pas le dicton: Parisien, tête de chien,
Bruxellois, même combat. De plus, le vrai Bruxellois utilise
50% de mots français et 50% de mots "flamands" ou flamandisés juste
pour faire bien.
Ex: "Ah, fieu waar heb je de velo gelaisseerd? Ah, ja, in de camionnette." Traduction: "Eh bien, mec, ou as-tu laissé le vélo ? Ah, oui, dans la camionnette.

3. Avoir une bonne prononciation.

Un bon conseil: bossez un sérieux coup la-dessus. La seule façon
d'apprendre, c'est d'écouter!
Quelques exemples:
- Bruxelles, se prononce Brusselle (et pas Brukselle)
- Anvers, se prononce Anverssss (et pas En Vert, le "S" est là, alors il faut l'utiliser)
- Rembrandt se prononce Rembrandt ( et pas Rang Bran)
- Le célèbre W. En France, on préfère le prononcer (souvent erronément!) comme un simple V. En Belgique, on préférera le prononcer " ouhé ".
Ex: wagon: ouhagon, weï: ouheï, huit: ouhit, BMW se dit Bé Em Wé,
idem pour une VW et les WC
(qui me rappelle: "aller à la toilette" et "non aux toilettes", une à la fois, s'il-te-plaît bien!)
- Les noms flamands : à apprendre au cas par cas. Mais, en tout cas: oubliez la prononciation française!!!!
Ex: Maastricht: le ch ne se prononce par ch, ni k, mais avec une sorte de râle comme si vous vouliez cracher.

4. Les spécialités régionales

Vous ne trouverez jamais d'endives blanches et pointues en Belgique, mais des chicons (ou witloof). Vous ne mangez pas des sandwichs, mais des pistolets; pas de petits pains aux raisins, mais des couques aux raisins; pas de chaussons aux pommes, mais des gosettes. On déjeune le matin, on dîne à midi et on soupe le soir.

En Belgique, on "preste" des heures de travail ou un service.
Et on aime aller à la kermesse (fête du village) manger des caricoles (des espèces d'escargots de mer).

On va s'acheter un cornet de frites à la friture. Et si vous croisez des friteries ce sont soit des français immigrés, soit des belges complexés qui ont changé leur enseigne parce qu'un crétin leur avait dit que friture n'était pas français ! Eh! On est en Belgique, zot !

Et encore: en Belgique on tire son plan (se débrouiller), même quand on ne sait pas le chemin (ne pas connaître la route). On boit des pils (bières) en demi (0,25 litre et non 0,5 litre). On s'essuie les mains avec des essuies (serviettes), on attend famille quand on est enceinte (enfin les femmes en tout cas, les hommes c'est plus grave), et les portes s'ouvrent avec des clinches. Et à tantôt signifie à tout à l'heure (et ne fait pas référence à un moment passé, ni à l'après-midi !).

On utilise les torchons (serpillières), voire les loques à rloqu'ter pour nettoyer par terre et non pour essuyer la vaisselle. Pour nous, un crayon est toujours en bois avec une mine en graphite (... et jamais un crayon à papier !). En effet, les bics sont des stylos à billes et un stylo, un porte-plume.

Sinon, nous aussi, on sait qu'on est les meilleurs, mais nous, on préfère
faire semblant que non pour que personne ne s'en doute...

Et ce ne sont pas des carabistouilles !!!!
  • # Plus serieusement

    Posté par  (site web personnel, Mastodon) . Évalué à 4.

    Un techni-truc important, si après avoir visiter Bruxelles, vous décidez de rentrer en France, par Mons, il faut savoir que Mons en flamand se prononce Bergen. Ca vous evitera de faire 3 fois le tour du ring de Bruxelles (ne rigolez pas, c'est arrivé à des amis français)
  • # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 3.

    j'ajoute que les belges utilisent le verbe 'savoir' où nous utilisons 'pouvoir'

    par exemple

    extrait d'une conversation à la hotlin d'un FAI (vecu, souvent, par moi-même=
    hotliner:Mr, une fenetre vient d'apparaitre, cliquez sur OK
    client: Mais je ne sais pas appuyer sur OK (avec l'accent et tout...)

    là le hotline se dit que le gars ne sait pas se servir de la souris
    en fait la fenetre attendue n'est pas apparue

    ca aide pas a avoir l'air malin quoi...
  • # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

    Posté par  . Évalué à 1.

    Parisien, tête de chien, Bruxellois, même combat

    hihi, ça marche aussi avec genevois

    ===================>[]*
  • # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

    Posté par  . Évalué à 1.

    C'est excellent, j'ai vecu jusqu'a l'age de 17 ans a Liege, et j'ai retrouve dans cet article pleins d'expressions que j'ai du gommer en venant en France, pour pas qu'on me lance des pierres ;-)

    Mais on disait des "loques a r'loquer". De meme pour le doudou de Linus dans Snoopy (sa stupid blanket), c'est une "loque".

    Mais j'ai trouve d'autres expressions tordantes dans d'autres regions francaises aussi ;-)
    • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

      Posté par  . Évalué à 2.

      ben moi dans le pas de calais, avant de descendre à la Kpitale pour le travail et les études, j'utilisais une grande partie de ce vocabulaire ! (Ah le bon temps !)

      Juste ajouter un ou deux points :
      serpilère se prononce : ouhassingue et s'écrit washingue (de to wash : laver !)
      chaise se prononce cayelle et s'écrite caielle (de callarse : s'assoir en espagnol)

      y'en a plein des comme ça !

      Tous ses BEAUX mots nous viennent des immigrés Espagnols, Polonais, Algériens... (j'en oublie excusez moi) venus aidés les mineurs de charbons. Tout ce 'melting-pot' donna un patois que j'apprécie fort à écouter mais difficille à parler.
      • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

        Posté par  . Évalué à 1.

        serpilère se prononce : ouhassingue et s'écrit washingue (de to wash : laver !)


        C'est belge aussi Washingue ? Pas spécifique aux chti'mi ?
        "Va quierer l'washingue !!!!!"
      • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

        Posté par  . Évalué à 1.

        Monsieur Fouyaya,


        En Flandre française, la principale influence dialectale non francophone n’est certainement pas l’anglais mais, comme il se doit, le flamand. «Wassingue» (pour ne prendre ici que l’une des trois graphies de ce mot) ne vient donc pas de l’anglais «to wash» mais bien du flamand «wassen».

        C’est d’ailleurs par l’intermédiaire du parler de la Flandre française que certains mots flamands sont passés dans le français général, tels que «bélandre», «beaupré», ou «cabillaud».

        Quant au mot «caielle», il n'a pas été apporté entre le XVIIème et le XXème siècle par les immigrés espagnols venus travailler dans les mines de charbon. La Flandre a été une possession espagnole de 1516 à 1713.

        Puisque le sujet vous intéresse, voici quelques mots dialectaux du nord de la France provenant du flamand. Affaler : descendre (afvallen), alouan : mouffle de matelot (half-want), alle : anguille salée (aal), ardant : tadorne (ardeend), bading : corde qui relie les flottes au câble bordant les filets (binden : attacher), bauke : poutre (balk), bauwe : solive d'un flanc à l'autre du bateau (bouw : charpente), bélande ou bélandre : chaland (belanden : aborder), binder : attacher (binden), blaquer : fumer la pipe (blaken : brûler), bopraye : beaupré, mât du foc (boegspriet), bourcet : grande voile (boegzeil), bracque : écueil (braak), buquer : frapper (buken), buise : tuyau de cheminée (buis), captennes : filets déchirés (kappen : couper), dog : dock (dok), draige : filet de pêche (dregge), drife : dérive (drijven), dringuer : heurter (dringen), dunne : dune (duin), dwèle : serpillière (dweil), dwéler : laver avec une serpillière (dweilen), ébe : marée descendante (eb), écope (schop : pelle), écraper : gratter (schrappen), écore : comptage du poisson (scoren), écorage, écorer (scoren), écoreur (scorer), élinguer : jeter (slingeren), énar : corde (snaar), énette : cane (eend), éplinguer : éclabousser (springen), escope : sorte de pelle servant à ramasser le hareng (schop : pelle), étombir : engourdir (stompen), étoquer : s'étrangler (stokken), flaquer : couper et mettre à plat une morue (vlakken : aplatir), flauwe : faible (flauwe), flobard ou flobart (vlotbaar : «flottable», petit bateau), flot : marée montante (vloed), foc : voile d’avant (fok), foyus : fête de départ à la course (foyehuys), fraice : frais (fris), frégard : terrain public près du port (vrijgaert), garnade : crevette (garnaet), gatte : passe (gat), gringue : grimace (grijns), habe : port (have), huaise : corde de manne (wisse), incaquer : ranger des poissons dans une caisse (kaken), cabillaud : morue (kabeljauw), kake : tonneau de hareng (kaak), kakestête : mâchoire de morue (kakestik), karer : éviscérer (kaken), kakeur : homme qui éviscère, aiglefin (schelvis), kaye : quai (kaai), kinntous : coqueluche (kinkhoest), kile : quille de bateau (kiel), mande : panier (mand), mauwe : gabarit (mal), minder : baisser le filet (minderen), minke : halle de la criée (minke), moke : tasse à boire (mok : aiguière), nauwe : mauvais (nauw : offensant), oman : maman (orna : grand-maman), pèke : saumure (pekel), pèksale : pêche au maquereau avec salaison à bord (peleken : saler), pinte : mesure de capacité de moules (pint), pluquer : chipoter (pulkeren), pote : grand panier à poisson (bote), povère : pauvre (pover), ra : endroit où dorment les matelots (ra vergue), rabin : noeud qui ferme le cul du chalut (raband), ralingue : cordage (raleng), reupe : rot (rup), rime : gelée blanche (rijm), faire sin rinkinkin : se rebiffer (rinkinken : faire du bruit), rôle : liste des noms d'un équipage (rol : registre), rouf : abri sous le pont d'un bateau (roef), sore : roux, jaunâtre (soor : jaune brun), soret : hareng fumé (zoor : desséché), tercq : goudron (teer), trale : chalut (treil : cordages), traler : chaluter (treilen : virer), waze : vase de mer (wase), wassingue : serpillière (wassen : laver), zèpe : savon mou, savon noir (zeep :savon).


        Bien à vous,
        Capocchio.
        • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

          Posté par  . Évalué à 1.

          Addendum :

          Le petit alinéa sur la période espagnole visait à contester l'idée même d'une influence récente de la langue de Cervantès sur le français du Nord.

          Mais, quant au fond, le verbe espagnol «callarse», signifie «se taire» et non «s'asseoir».

          D'où tenez-vous que «caïelle» (ou «cahielle» ou «cahière») viendrait de l'espagnol ? L'origine la plus vraisemblable n'est-elle pas celle du latin «cathedra», qui a donné «chaière» (XIème), puis «chaire» et «chaise» ?

          Je suis impatient de lire vos explications.

          Bien à vous,
          Capocchio
  • # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 1.

    On boit des pils (bières) en demi (0,25 litre et non 0,5 litre).

    Euh non désolé, un demi ou on te sert un quart c'est en france, ici tu demandes un demi, t'as un demi... sont con ces français...
  • # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

    Posté par  . Évalué à 1.

    M'enfin, c'est typiquement Belge ça... On utilise septante et nonante parce que c'est plus "logique" mais à côté on prononce Bruxelles [Brussel] !

    Ralala, ces Belges ! Heureusement qu'ils font de la bonne bière pour se rattraper :)
    • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

      Posté par  . Évalué à 1.

      Il y a pas que les begles qui utilisent 70 et 90 les suisses aussi, et nous on a aussi le huitante. Il n'y a que ces maudits français pour utiliser une ignominie comme 4*20.
    • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

      Posté par  . Évalué à 1.

      Monsieur Manchot,


      Vous vous étonnez que «Bruxelles» se prononce «Brussel» et non «Bruksel». Me permettez-vous de vous demander combien font 30 et 30 ? «Soissante» ou «soiksante» ?

      En vérité, vous négligez que le français, contrairement à l’italien, donne aux lettres des prononciations très variables. Ne prenons que l’exemple que vous avez choisi pour cible : la lettre X.

      1.- Elle se prononce KS dans les mots suivants : axe, taxe, Ixelles, xylophone, xénophobie, Xertigny, Xaintois, Aix, extraordinaire.

      2.- Elle se pronce SS dans les mots suivants : soixante, Bruxelles, Auxerre, Xaintrailles, Xerxès (2ème x), Auxois, Auxonne.

      3.- Elle se prononce GZ dans les mots suivants : exercice, examen, exécrable, xanthie, Xerxès (1er x), exutoire, exécrer les exécutions.

      4.- Elle se prononce K dans le mot suivant : xérès (selon l’Académie).

      5.- Elle se prononce Z dans les mots suivants : deuxième, dixième, sixième.

      6.- Elle ne se prononce pas dans les mots suivants : deux, aulx, eaux.


      Bien à vous,
      Capocchio.
  • # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

    Posté par  . Évalué à 0.

    Septante et nonante c'est très laid, et pourquoi pas octante tant qu'on y est ?

    >En effet, les bics sont des stylos à billes et un stylo, un porte-plume.
    En France aussi on dit stylo à billes (raccourci en stylo-bille, bic est moins utilisé je pense) et stylo-plume.
    C'est joli d'ailleurs stylo-plume comme expression, on a l'impression de survoler le papier rapidement ;)
    • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 1.

      ... pourquoi pas octante tant qu'on y est ?

      Ca tu dis si t'es en Suisse. Sur ce point là, ils sont plus logiques que nous (oops, je suis démasqué).
    • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

      Posté par  . Évalué à 3.

      Réfléchit un peu, la suite logique c'est cinquante (cinq) soixante (six) septante (sept) huitante (huit) nonante (neuf).

      Les suisses parlent comme ça, et ils ont bien raison, au moins c'est cohérent.

      Et puisque c'est si laid, pour dis-tu trente quarante cinquante et soixante?
      En étant cohérent avec ton choix pour 70 80 et 90 tu devrais dire vingt-dix (30) deux-vingt (40) deux-vingt-dix (50) trois-vingt (60) trois-vingt-dix (70) quatre-vingt (80) et quatre-vingt-dix (90).
      Ça c'est vraiment moche (et long à dire)! Mais au moins c'est logique (quoique pas très consistant avec la notation en chiffres arabes).
      • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

        Posté par  . Évalué à 0.

        Mééé heu on parle pas de logique, on parle de vocabulaire :)
        La langue n'est pas que logique, sinon ce serait moins amusant !
        Il me semble que là dessus le français se rapproche plus des langues latines (espagnol entre autre). Si eux aussi ont les mêmes racines de mots pour 70-90, ça doit venir du latin, mais ça fait longtemps que je n'en ai pas fait.
        • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

          Posté par  . Évalué à 2.

          je crois que l'origine est l'utilisation de la base 20 par les gaulois.
        • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

          Posté par  . Évalué à 1.

          Monsieur Tramo,

          Je crains que vous ne commettiez trois erreurs en un seul mouvement : considérer comme seul français l’usage que vous connaissez, le considérer comme seul élégant, et l’attribuer au monde entier. Pour le dire gentiment, vous vous montrez le digne héritier de La Bruyère, qui affirme dans la préface de ses «Caractères » que l’observation de la cour de France vaut pour le genre humain tout entier, et qu’il n’est donc pas nécessaire de quitter Versailles pour avoir sur toute chose une opinon avertie.

          À vous lire, on pourrait croire en effet que l’usage en France a toujours été ce qu’il est devenu depuis deux siècles seulement. De plus, vous affirmez que soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix sont beaucoup plus élégants que septante, huitante et nonante, et qu’au demeurant c’est ainsi que l’on s’exprime en espagnol et dans les autres langues latines (si par la périphrase «le français se rapproche plus des langues latines» vous avez bien voulu dire «le français de France se rapproche plus des langues latines»).

          Voilà qui réclame quelques corrections.

          Commençons par les choses simples : la façon dont on compte dans les autres langues latines. Par souci de brièveté, on limitera le rappel au latin, à l’italien, à l’espagnol et au portugais.
          En latin on dira sexaginta (60), septuaginta (70), octoginta (80), nonaginta (90). Notons que le latin est moins simple qu’il n’y paraît puisque certains nombres se disent de deux façons. Par exemple 99 se dit nonaginta novem ou undecentum (qu’on pourrait traduire par «cent moins un»).
          En italien nous disons sessanta (60), settanta (70), ottanta (80), novanta (90). En espagnol, sesenta (60), setenta (70), ochenta (80), noventa (90). En portugais, sessenta (60), setenta (70), oitenta (80), noventa (90).
          Pour la petite histoire, à Malmedy (en Belgique), on peut entendre: soixante, septante, ottante, nonante.
          De ce rapide tour d’horizon, nous pouvons déjà conclure que l’actuel usage hexagonal est isolé au sein des principales langues latines. S’il est élégant (comme vous le croyez, Monsieur Tramo), il doit s’agir d’une élégance rare, qui a dû échapper au reste du monde latin.

          Cet isolement est-il général, ou rencontre-t-on dans d’autres langues la curieuse numération vicésimale (c’est-à-dire en base 20) ? Elle est d’un emploi général en basque ; on la rencontre aussi en breton, en danois et dans les langues caucasiennes.
          Une mienne amie, compatriote de Paul Auster, se moquait récemment devant moi du ridicule «quatre-vingts» usité en France, en Belgique, et dans les anciennes colonies de ces deux pays. Pour me faire l’avocat du diable, je l’ai mise au défi de me réciter le début de la Gettysburg Address, ce discours prononcé en 1863 par Lincoln sur le champ de bataille de Gettysburg, discours fondateur, dit-on, de la nation américaine, et que tous les petits écoliers américains doivent apprendre par cœur. Elle s’exécuta et s’interrompit bien vite : «Four score and seven years ago ...» («Il y a quatre vingt et sept ans d’ici, ...»).
          Le mot «score» («vingt» en vieil anglais) est ici employé pour compter selon la numération vicémale, qui, en anglais comme en français, provient du celte (comme le rappelle pertinemment Gyhelle, avec une légère approximation).

          Selon cette numération (comme le dit Wismerhill, qui ne recule pas devant l’anglicisme «consistant»), 30 se dit vingt-dix ; 40, deux-vingts ; 50, deux-vingt-dix ; 60, trois-vingts ; 70, trois-vingt-dix ; 80, quatre-vingts ; 90, quatre-vingt-dix ; 100, cinq-vingts ; 120, six-vingts ; ... 300, quinze-vingts.
          À propos de Wismerhill, il faut corriger l’un de ses arguments. Il part en effet de l’idée que l’emploi des chiffres arabes commande nécesssairement la numération décimale. Pourtant, on peut parfaitement employer les chiffres arabes dans d’autres bases : nos ordinateurs comptent en base 2 et en chiffres arabes. Et, depuis Babylone, il y a 60 secondes dans une minute et 60 minutes dans une heure : cela n’empêche pas nos horloges d’afficher des chiffres arabes ou romains. Ce que veut sans doute dire Wismerhill,c’est qu’au-delà de la base 10, les chiffres arabes doivent être complétés d’autres signes, qui viennent séparer le rang des unités, celui des bases, des carrés, celui des cubes, etc. Par exemple, pour donner l’heure en base soixante (comme c’est l’usage), on peut commodément employer le deux-points pour séparer les secondes, minutes, et les heures (13:31:45). La même remarque vaut pour les chiffres romains : au Moyen-Âge en France, pour écrire 138, on écrivait VI.XX.XVIII (ou VI XX XVIII) et on prononçait six-vingt-dix-huit.

          Notons l’incohérence de «soixante-dix», qui mélange la numération décimale («soixante» et non «trois-vingts») et la numérotation vicémale («60-dix» et non «septante»). Cette confusion est ancienne : on la rencontre déjà dans les archives administratives de la ville de Reims en 1269 («mil cc sissante dis et nuef»). Elle a traversé les siècles et elle a désormais établi son empire sur la population de l’Hexagone.

          La numération vicimale, d’origine celte, et la décimale, d’origine latine, ont coexisté en français jusqu’en 1820 environ. En témoignent le nom de l’hospice que Saint-Louis avait fait construire en 1254 à Paris pour qu’y soient soignés 300 soldats revenus de Croisade en y ayant perdu la vue : le fameux Hôpital des Quinze-Vingts.

          On trouve «vingt-dix-neuf ans» (39) dans les registres de l’état civil de Saint-Jean de Beugné en 1813, «trois-vingt-dix» (70) dans des registres paroissiaux du Mus, en 1692, «quatre-vingt» (80) chez Pascal, «quatre-vingt-dix» (90) chez Voltaire; «six-vingt» (120) chez Racine, Fénelon et La Bruyère, «XII vins» (240) et «XIIII XX »(280) chez Joinville (XIIème siècle) ; «treize vingt et douze» (272) chez Le Roux de Lincy (XIIème siècle).

          On trouve «septante» chez Molière (Le Bourgeois gentilhomme, III, 4) et chez Bossuet ; «huitante» chez Castil-Blaze (première moitié du XIXème) et dans des lettres royales du XIVème siècle ; «nonante» chez Voltaire (qui, comme on l’a dit ci-dessus, employait aussi «quatre-vingt-dix»).

          Tout cela relativise beaucoup vos protestations de bon goût et d’élégance, Monsieur Tramo.


          Bien à vous,
          Capocchio.
          • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

            Posté par  . Évalué à 1.

            Errata et corrigenda :

            Au cinquième alinéa en commençant par la fin, c'est par erreur que 1269 a été écrit. Corrigez par : 1279 («mil cc sissante dis et nuef»).

            Et, dans l'ensemble du message, il fallait écrire «vicésimale» (comme à l'alinéa 10), et non «vicémale» (comme aux al. 12 et 15) ni «vicimale» (al. 16).

            Ce sont sans doute là des illustrations, bien involontaires, des méfaits de cette numération. En 1945, le Ministère de l'Éducation nationale avait d'ailleurs recommandé à tous les instituteurs de France d'abandonner les derniers vestiges du système vicésimal. Sans succès.
    • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 1.

      En France aussi on dit stylo à billes (raccourci en stylo-bille, bic est moins utilisé je pense) et stylo-plume.
      C'est joli d'ailleurs stylo-plume comme expression, on a l'impression de survoler le papier rapidement ;)


      Tu oublies de dire qu'en France, vous avez des "Frigidaire" (et pas des réfrigérateurs) et qu'en Belgique, ça s'appelle tout simplement un "frigo"

      Mes cinquantes-ving centimes ;-)
      • [^] # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

        Posté par  . Évalué à 1.

        oula, chez moi on a toujours appelé ça un réfrigérateur ou un frigo, mais jamais un frigidaire !

        Et puis au mois, chez nous, on n'a pas plein de kékés qui roulent en voiture surbaissées et kittées dans tous les sens avec des ailerons, nah ! ... quoi.. si on en a ?... moins peut-être ?
  • # Re: Si vous comptez vous rendre en Belgique...

    Posté par  . Évalué à 1.

    Septante , Huitante et Nonante sont aussi utilisés en Suisse où l'on respecte parfaitement le système décimal et où l'on ne fait pas de mélange aberrant avec le système vicésimal.

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