Journal Brevets pharmaceutiques et brevets logiciels

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9
avr.
2005
Cher Journal,

Je ne te l'avais peut-être pas dit, mais ma charmante compagne prépare un mémoire de maîtrise sur le modèle économique créé par le mouvement du Libre. Évidemment, je me fais un devoir de lui recenser régulièrement l'ensemble des news sur lesquelles je suis amené à surfer durant mes épuisantes journées de boulot.

Ainsi hier soir, après lui avoir fourni ma collecte hebdomadaire, j'ai pu profiter de son point de vue sur les brevets logiciels : toute cette histoire lui rappelait fouchtrement une récente baston de brevets pharmaceutiques, et en particulier la mise au placard de médicaments jugés non-rentables alors que des pays sous-développés pleurent pour en obtenir.
Intéressé par sa théorie, je me suis donc penché sur le sujet. D'abord, une rapide recherche m'a permis de constater que plusieurs journaux avaient déjà été publiés sur DLFP ([1] et [2]), mais l'information y est très succincte et les commentaires peu nombreux. Il faut les comprendre, nos bons linuxiens : ils sont peut-être fortiches en logiciels libres, mais en économie pharmaceutique on est quasiment tous largués, et on préfère ne pas mettre les pieds dans le plat. Saine réaction.

J'en aurais fait autant si je ne m'étais pas souvenu d'un article du Monde Diplo [3] qui racontait le problème posé par les brevets pharmaceutiques. Le papier recense en effet un certain nombre de maladies ravageant les pays pauvres ou en voie de développement (Afrique, Inde, Thaïlande, etc.) et dont les traitements sont connus, mais détenus par de grands groupes internationaux. Ces entreprises ont évidemment breveté ces médicaments, et en maîtrisent à la fois le prix et les marchés sur lesquels ils sont mis en vente.
On voit donc apparaître deux comportements très étonnants : dans un premier cas, les traitements sont déployés sur un marché, mais à des prix tellement exorbitants que personne ne peut se les offrir. Dans le second, les industries détentrices de brevets ont mené leurs propres études, déterminant que les traitements ne seraient simplement pas rentables, et qu'elles ne les produiraient sur aucun marché. Conclusion : retour sur investissement nul.

Jusque là rien de nouveau, mais l'article devient ici un peu plus intéressant :
En outre, le dépôt de brevets se fait de plus en plus en amont, ce qui entraîne " un handicap considérable pour la liberté de créer ", explique le professeur Axel Kahn, ancien président du Comité consultatif national d'éthique. Jusqu'à ces dernières années, argumente-t-il, " on faisait une différence entre les connaissances - que l'on découvre et qui sont le bien de tous - et les produits ou procédés - que l'on invente et qui font l'objet de brevets ".
[...]
" L'utilisation des brevets ou le coût exorbitant des licences - afin d'empêcher les médecins et les laboratoires médicaux d'effectuer des tests génétiques - limite l'accès aux soins, réduit leur qualité et en augmente le coût de manière déraisonnable ", accusent nombre de médecins et chercheurs américains dans une lettre ouverte.

Hé, Journal, ça ne te rappelle rien ? Attends, je vais te rafraîchir la ram :
Quand un programmeur écrit un logiciel, il combine des milliers d'idées (des algorithmes ou des règles de calcul) qui constituent une oeuvre sous droits d'auteur. Généralement, certaines des idées dans l'oeuvre du programmeur seront nouvelles et non-évidentes selon les normes (intrinsèquement de bas niveau) du système de brevets. Lorsqu'un bon nombre de ces nouvelles idées est breveté, il devient impossible d'écrire un logiciel sans enfreindre des brevets. Les auteurs de logiciel sont de ce fait privés des avantages conférés par leurs droits d'auteur ; ils vivent sous la menace permanente d'un chantage de la part des détenteurs de larges portefeuilles de brevets. [4]

En substance, dans les deux cas, on a d'abord des types qui ont suffisamment d'argent pour breveter soit l'ensemble du génome humain, soit l'ensemble des algorithmes de programmation. Et à côté, on a d'autres types qui aimeraient bien inventer des trucs, mais qui devraient pour cela payer des licences hors de prix. C'est ici que je vois plusieurs similitudes :
- D'abord, des boites comme Pfizer et Microsoft qui investissent des millions (des milliards ?), sur plusieurs années, pour développer un seul produit. J'en déduis donc que ces deux sociétés (et bien d'autres) défendent les brevets pour les mêmes raisons : la protection de leurs produits, et surtout de leur fameux retour sur investissement. Normal, "une entreprise existe pour faire de l'argent, on ne peut pas le lui reprocher, et blah et blah et blah (insérer ici des arguments libéraux)".
- D'autre part, on a des opposants aux brevets qui dénoncent des deux côtés un frein terrible à l'innovation. Les brevets sur les algorithmes bloquent complètement la création de logiciels nouveaux, tout comme les brevets sur le génome empêchent les organismes publics, par exemple, de mener des recherches efficaces en vue de concevoir de nouveaux traitements génériques.
- Le résultat est identique au final : c'est le client qui s'en prend plein la tronche, comme d'habitude. On pose un brevet sur les algos ? Le client paiera un bon gros OS propriétaire même s'il est hors de prix et qu'il fonctionne mal (je parle de l'OS proprio, pas du client). On pose un brevet sur le génome ? Le client paiera un bon gros médicament même s'il est hors de prix et qu'il soigne mal.

En fin de compte - mais tu m'arrêtes si je me trompe hein, Journal - il n'y a que l'enjeu qui soit différent. A droite on joue avec des binaires, et à gauche avec des vies humaines. Mais au final, on a toujours une société soumise à l'obligation de faire du chiffre, et prête à foutre un bordel pas possible pour faire plaisir à ses actionnaires.
Sérieusement, tu crois pas que ça commence à se voir ? On serait pas un tout petit peu dans un train fou, sans chauffeur, fonçant dans un gros mur en écrasant un maximum de monde au passage ? Enfin la vraie question est : tu préfères sauter par la fenêtre directement avant qu'on se plante, ou est-ce que tu vas essayer de reprendre les commandes au risque de te faire très mal (en te coinçant les doigts dans la porte par exemple) ? J'ai l'étrange impression qu'en ce moment personne n'est chaud pour jouer les lapins cascadeurs, et pourtant ça va bien être nécessaire un de ces jours. D'ailleurs, ce jour-là, c'est pas le discours sur la concurrence pure et parfaite qui va nous sauver.

C'est sur cette rafraîchissante touche d'espoir que je te laisse, mon très cher Journal. Je dois appeler la puce pour lui dire qu'elle avait peut-être pas tort.


[1]: DLFP: Journal de bergamote23, Mars 2005 - http://linuxfr.org/~bergamote23/17525.html(...)
[2]: DLFP: Journal de meister, Mars 2005 - http://linuxfr.org/~meister/17582.html(...)
[3]: Le Monde Diplomatique, Janvier 2000 - http://www.monde-diplomatique.fr/imprimer/2036/2ddd8ce801(...)
[4]: FFII: Les brevets logiciel en Europe, Juillet 2004 - http://swpat.ffii.org/log/intro/index.fr.html(...)
  • # Il dit qu'il ne voit pas le rapport

    Posté par  . Évalué à 2.

    Évidemment, je me fais un devoir de lui recenser régulièrement l'ensemble des news sur lesquelles je suis amené à surfer durant mes épuisantes journées de boulot.

    Tu fais un sacré boulot, toi
    :-p
  • # Est-ce l'unique raison?

    Posté par  . Évalué à 5.

    Tu montres les brevets comme un frein à la "vraie" concurrence et à l'innovation. En face, les raisons sont:
    - Qui va payer pour les recherches que je fait actuellement pour des produits futurs?
    - Dans un moment de l'histoire où nous sommes 6 milliard d'habitants sur Terre et où 500 millions de personnes arrivent à foutre en l'air la planètre par leur mode de vie, où les pays sous-développés ont pour principale force leur nombre(et comptent dessus) et ne veulent pas entendre parler de contraception. Les cons, y en a aussi là-bas (droit de passage pour les médicaments aux frontière...etc). La Terre ne peut pas vivre avec 6 milliards d'Européen/Américains.
    - Les pays développés n'ont pas intérêt politquement et économiquent à ce que ces pays s'en sortent trop vite. Ils préfèrent les controler par le contôle de la diffusion des médicaments, des aides. De toute façon quand on en aura besoin pour développer(renflouer) notre économie on les subventionnera pour qu'ils achètent nos produits (qui a dit comme l'élargissement de l'Europe?).
    - Par contre on peut leur vendre des armes sans scrupules, ca aide au maintient de la pauvreté et ca rentre dans notre PIB.
  • # oufti, un aspro

    Posté par  . Évalué à 1.

    Euh, non, pas un aspro, marque déposée je crois, zut, un comprimé d'acide acétylsalicilique. Tu as tout à fait raison, et il faut faire attention, mais comment. Il me vient une idée: Faisons comme lors du lancement de Firefox au state, des affiches pour tout Bruxelles (surtout du côté de shuman (c'est par là qu'il y a les conférences pour l'union économique) avec des signatures tout plein: "Touche pas à mes algorithmes", moi, j'utilise des logiciel libres, et vous, "le logiciel libre c'est comme le sexe, c'est meilleur quand c'est gratuit" (heu non, passera pas...)).
    Tout ce qui touche au brevet ne devrait être accompagné que de matériel physique (style un vélo, une voiture, etc) et pas sur des protocoles, ou des choses naturelles.
  • # cause commune

    Posté par  . Évalué à 3.

    désolé je ne réagi que par rapport au titre de ton journal (pas le temps de lire, mais si tu as bien choisis ton titre ca ira).

    je crois que l'ouvrage "Cause commune" de Philippe Aigrain touche du doigt les relations que l'on peut faire entre brevets logiciels et brevets pharma.

    du moins c'est ce qui en était dis il y a un mois sur france culture.

    plagiats
  • # pas si simple

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 3.

    Mais au final, on a toujours une société soumise à l'obligation de faire du chiffre, et prête à foutre un bordel pas possible pour faire plaisir à ses actionnaires.

    c'est pas si simple, il y a des sociétés éthiques qui investissent dans le développement durable, etc... (j'ai pas dis sociétés pharmaceutiques :).
    Le problème revient plutôt lorsque qu'un société atteint une taille critique, et que l'intérêt d'un nombre restreint d'individus nuit à l'intérêt d'une autre majorité d'individus. Le retour sur investissement desdit actionnaires ne compenssent alors pas la perte engendrée sur le plus grand nombre.
    • [^] # Re: pas si simple

      Posté par  . Évalué à 3.

      < utopie >
      A quand le médicament libre ?

      Bon, c'est vrai l'investissement est bcp plus important pour faire de la recherche pharmaceutique (et les tests in-vivo) que pour écrire du code, et le coût de reproduction d'une molécule est loin d'être nul, contrairement à la diffusion d'un code source sur le net.

      On pourrait plus comparer le concept de médicament libre avec celui de matériel libre [http://opencollector.org/Whyfree/(...) , voir aussi le lien vers une interview de RMS sur le sujet] : la publication d'un design libre en comptant sur les nombreux sous-traitants de production pour inonder le marché à bas prix. Il suffit d'assurer la rentabilité du design initial, par exemple en facturant/taxant les riches occidentaux pendant une durée limitée.

      Finalement, le pb du brevet aussi bien logiciel que pharmaceutique, c'est qu'il peut rapporter trop gros pour que les entreprises s'en servent de manière "raisonnable". Le brevet est censé encourager l'innovation, en accordant un monopole pour rembourser l'investissement de recherche. Or la durée du monople est bien supérieure à celle du retour sur investissement !

      Pourquoi ne pas limiter la durée d'un brevet en fonction de l'investissemnt effectué ?
      < /utopie >

      On vient de voir un bon exemple récemment, avec le développement quasi-communautaire (plein d'instituts de recherche publique dans le monde, coordonnés par l'OMS) d'un médicament simple et pas cher contre le paludisme. Y'a même un labo commercial qui a accepté de le produire à prix coûtant !

      http://permanent.nouvelobs.com/sciences/20050408.OBS3458.html(...)
      http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3220,36-637314@51-637399,(...)
      http://www.lexpansion.com/art/3712.130246.0.html(...)
      • [^] # Re: pas si simple

        Posté par  (site web personnel) . Évalué à 2.

        Pourquoi ne pas limiter la durée d'un brevet en fonction de l'investissemnt effectué ?

        et on va te rétorquer : et pour les médocs pas rentable ou la R&D a englouti des sommes sans retours.

        bon, je vais rajouter un ordi pour folding@home moi...
  • # temporisons

    Posté par  . Évalué à 4.

    je voudrais temporiser ton point de vue.

    il y a quelque mois sur arte il y a eu un reportage sur les medicaments brevetés.

    avec un exemple "la maladie du sommeil" c'est un parasite qui envahi le corps et attaque le cerveau, pour la soigner il faut absolument tuer le parasite avant qu il atteigne le cerveau. son nom Le Trypanosome

    une methode simple consiste a faire des injections d'arsenic a des doses mortelle pour le parasite mais pas pour l'homme. bref c'est assez difficile, le traitement tue entre 5 et 10% des patient.

    il existe un traitement breveté par un labo assez connu, ce labo a donné ces droits a l'OMS apres un certain temps et surtout suite a une campagne de presse. Ce medicament c'est le Difluorométhylornithine, un autre medicament a été retiré du marché! le Mélarsoprol pas assez rentable.

    LE PROBLEME
    c'est que meme avec l'abandon de ses droits a l'OMS le medicament coute chere a fabriqué. et n'est pas rentable dans le sens ou le marché d'afrique est assez pauvre. donc meme sans brevet ce n'est pas facile.

    LA SOLUTION
    dans ce cas il s'agit presque d'un miracle, ce fameux medicament Difluorométhylornithine, evite la pousse et fait tomber les poils! il est utilisé dorenavant dans des creme epilatoires au EU et en Europe. Du coup cette molecule est fabriqué a grande echelle pour nous et une partie est donné a OMS pour soigner la maladie du sommeil.

    Avec cette exemple beaucoup ONG cherche des molecules reutilisable, par exemple une utilisation pour avoir le teint frais toute la journée (vendu tres chere), et en injection cela tue un parasite ou soigne des infections.

    c'est une forme de subvention, et je crois que c'est la meilleur solution contre le pas assez rentable.
  • # Le Monde

    Posté par  . Évalué à 1.

    Une petite news sur un traitement anti paludisme/malaria libre de brevet :
    http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3220,36-637314@51-637399,(...)
    • [^] # Re: Le Monde

      Posté par  . Évalué à 0.

      pour retourner en charte je dirais qu il s'agit du premier medicament libre, les medicaments actuelle ne leurs plaisent pas, hop msf en devellope un libre sans brevet.

      un peu comme linux, qui a été crée car rien ne plaisait a Linus sur le marché a l'epoque. et un peu comme la musique avec les license de type ccl.

      notre monde se divise en 2 partie maintenant, la liberté ou la propriété, Je vois cela un peu comme une revolution industrielle

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