Journal "Les enfers virtuels" et "The City & the City"

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24
jan.
2012

Sommaire

Un journal complètement HS pour parler de deux très bons romans de science-fiction publiés récemment.

Les enfers virtuels

Il s'agit du dernier opus écrit par Ian M. Banks dans sa célèbre série de la Culture. Si ça ne vous dit rien alors vous êtes particulièrement chanceux puisque, avec la Culture, vous allez découvrir une suite de romans SF parmi les plus intéressants parus depuis au moins 20 ans.
Les romans sont indépendants les uns des autres mais il est fortement conseillé de débuter par « L'usage des armes » ou bien « L'Homme des jeux » qui sont plus simples et ne présupposent aucun bagage dans l'univers de la Culture.

Les enfers virtuels (titre original: Surface detail) est paru en deux tomes dans la collection Ailleurs et demain.
Jusqu'à présent Banks avait surtout penché du côté du Space Opera et il était resté assez éloigné des problématiques des mondes virtuels chères aux cyberpunks. Ce nouveau roman change la donne puisque le virtuel y est l'enjeu principal.
Pour résumer brièvement l'intrigue on peut dire que, chez plusieurs civilisations, le virtuel est utilisé pour recréer leurs dogmes religieux particuliers. Ainsi la notion d'enfer, tombée en désuétude dans le monde réel, peut parfaitement être recréée virtuellement. Ces civilisations prennent donc une "empreinte mentale" des mourants et, si la personne n'a pas bien respecté les prescriptions du dogme, elles envoient cette conscience numérique en "enfer" pour qu'elle y connaisse une éternité de souffrance.
Inutile de dire que de nombreuses autres civilisations galactiques trouvent ce comportement répugnant et veulent interdire les enfers virtuels.
Une guerre, tout aussi virtuelle, a donc été organisée entre les deux grandes tendances pour décider de l'issue sur cette question.

L'ennui c'est que le camp pro-enfers est en train, lentement mais surement, de remporter la bataille. La tentation existe donc de ne plus respecter les règles et de porter le conflit dans le monde réel.
Bien entendu la Culture, avec sa philosophie réprouvant les comportements barbares, va chercher à peser sur l'issue du conflit.

Pour qui n'est pas habitué à lire régulièrement de la SF le roman est complexe. Le récit est très éclaté et on navigue sans cesse entre le réel et le virtuel. Les descriptions de l'enfer virtuel (dans lequel sont plongés les malheureux Prin et Chay) sont horrifiantes tandis que les conspirations politiques sont particulièrement tortueuses.
Comme d'habitude Banks fait preuve d'un humour noir grinçant et d'une imagination particulièrement réjouissante. Les vaisseaux ont des noms toujours plus improbables (une constante chez les mentaux de la Culture) mais cette fois on peut les voir réellement en action dans un combat. Il ne fait pas bon s'attaquer au « En dehors des contraintes morales habituelles » !

J'ai trouvé l'idée des enfers virtuels vraiment perverse et bien digne des société encore encroutées dans leur gangue religieuse. Se servir ainsi de la technologie la plus avancée pour conforter un mode de pensée aussi primitif...quelle horreur !
Au final "Les enfers virtuels" est un digne représentant du cycle de la Culture. Il n'atteint pas le niveau des sommets du cycle (« L'usage des armes » ou « Le sens du vent ») mais on est toujours à des années-lumière au dessus du niveau moyen des romans SF.

Une critique sur locus Online.
Une autre critique sur sci-fi universe.

The City & the City

Changement total d'ambiance par rapport à Banks avec ce nouveau roman de China Miéville paru chez Fleuve noir.
Jusqu'à présent je n'avais lu de cet auteur que son fameux Perdido Street Station qui est un curieux mélange de SF, d'horreur et de steampunk. J'avais trouvé ça pas mal du tout mais sans nécessairement vouloir lire ses autres oeuvres moins connues.
Ce qui m'a fait changer d'avis pour « The City & the City » c'est l'avalanche de prix littéraires qui s'est abattue sur le roman: Prix Hugo du meilleur roman 2010, Prix Locus du meilleur roman de fantasy 2010, Prix Arthur C. Clarke 2010, Prix British Science Fiction 2009, Prix World Fantasy 2010.
On a beau relativiser la valeur des prix littéraires, une telle unanimité ça calme.

Et il faut bien dire que c'est mérité.
Le récit se présente sous la forme d'une très classique enquête policière mais ce qui est original et excitant dans ce polar c'est le décor. Tout se déroule dans la ville double de Besz et d'Ul Qoma. Par "ville double" il ne faut pas entendre une ville coupée en deux comme Berlin-est et Berlin-ouest. Là on est au delà de l'imbrication, c'est plutôt une étrange juxtaposition puisque les habitants de l'une ne sont pas sensés avoir conscience de l'existence des habitants et des immeubles de l'autre ville !
Appartenant à deux états différents, les citoyens de Besz et d'Ul Qoma sont formés dès leur enfance à « éviser » de voir leurs voisins de l'autre ville, celle qui est juxtaposée à la leur. Ils vivent dans les mêmes rues mais c'est comme s'ils étaient à l'autre bout du monde.
Cette interdiction cognitive est sous la surveillance d'une mystérieuse entité, la Rupture, qui réprime les crimes transgressant la séparation des deux villes.
Bien évidemment l'enquête sur le meurtre va se compliquer sérieusement car le cadavre a manifestement été transporté d'une ville à l'autre.

Je dois dire que j'ai beaucoup aimé ce livre. Le concept central est absolument fascinant et l'ambiance paranoïaque de l'enquête est très bien menée. En plus, ce qui ne gâte rien, la traduction m'a semblé de haut niveau avec un bon rendu de tous les néologismes relatifs à la juxtaposition des villes.
Ce n'est pas de la SF à proprement parler, plutôt un croisement de polar et de fantastique, mais c'est incontestablement un bon roman. D'habitude les critiques dithyrambiques des journaux me font doucement rigoler mais là je trouve que la phrase du Los Angeles Times est particulièrement appropriée:

« Si Raymond Chandler et Philip K. Dick avaient un enfant élevé par Kafka, ce pourrait être The city & the city. »

Une critique sur NooSFere.
Une autre critique sur Nebalia.

PS : journal n°400, FTW !

  • # Merci !

    Posté par  . Évalué à 0. Dernière modification le 24 janvier 2012 à 16:05.

    Je sais quoi acheter à ma douce et tendre contre-partie sans avoir besoin de lui demander par avance !

    Hop,
    Moi.

    ( edit: preum's sur une publication de patrick_g! ;-) )

    • [^] # Re: Merci !

      Posté par  . Évalué à -1.

      quoi acheter à ma douce et tendre contre-partie sans avoir besoin

      Pour moi il manque un mot. Sans ? I'm not sure du coup.

      • [^] # Re: Merci !

        Posté par  . Évalué à 1.

        Ma contre-partie, mon alter-ego, ma p'tite puce, ma louloutte, ma copine... Bref, ma meuf'... ;-)

        Hop,
        Moi.

        • [^] # Re: Merci !

          Posté par  . Évalué à 2.

          Haaa... Alors le tiret est volontaire :)

  • # Les Enfers Virtuels me fait un peu penser à la Cité des Permutants de Greg Egan

    Posté par  . Évalué à 1. Dernière modification le 24 janvier 2012 à 17:44.

    Ta description des Enfers Virtuels m'a fait immédiatement penser à un roman de Greg Egan : La Cité des permutants. Comme ça je dirais qu'Egan aborde le thème d'une vie virtuelle après la mort plus sur des aspects scientifique et philosophique, alors que Banks, d'après ce que tu en dis, semble s'intéresser aux aspect sociologiques et politiques, ce qui ne serait pas étonnant. Est-ce que tu l'as lu ? En tout cas, ça fait drôlement envie. J'ai lu L'usage des Armes et L’Homme des Jeux de Iain M. Banks et j'en garde un très bon souvenir. Bon je suis très client du space-opéra, je suis difficilement objectif la dessus...

    Merci pour ces critiques en tout cas !

    Faut pas gonfler Gérard Lambert quand il répare sa mobylette.

    • [^] # Re: Les Enfers Virtuels me fait un peu penser à la Cité des Permutants de Greg Egan

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 4.

      Oui bien entendu j'ai lu la cité des permutants. Je suis un très gros fan de Egan.

      Le ton est quand même très différent par rapport à Banks. D'un côté Egan est passionné par les spéculations scientifiques vertigineuses et de l'autre Banks écrit des space opera virtuoses mais moins échevelés sur le plan conceptuel.
      Je préfère Egan en tant que nouvelliste mais Banks en tant que romancier.

      Dans le cycle de la Culture, si tu n'as pas encore lu "Le sens du vent" alors précipite toi !

  • # China Miéville

    Posté par  . Évalué à 3.

    Je ne peux que recommander cet auteur, du moins pour Perdido Street Station et son ambiance assez unique dans le genre (les deux "suites", j'ai moins accroché... peut-être que je suis trop attaché à New Crobuzon).
    Cet auteur a le don de coller ensemble pléthore d'éléments appartenant habituellement à des univers complètement différents pour construire une ville d'une complexité effrayante qui semble pourtant rester cohérente.

    J'ai particulièrement été impressionné par la manière dont de petits événements insignifiants prennent une ampleur qui devient rapidement très inquiétante. Vous ne regarderez plus les chenilles de la même façon...

    Toujours de China Miéville (plutôt pour les jeunes lecteurs, mais sympa quand-même), je conseille aussi UnLundun, une espèce d'aventure délirante dans un Londres d'une dimension parallèle.

    • [^] # Re: China Miéville

      Posté par  . Évalué à 3.

      Ah il semblerait que le titre français de UnLundun soit Lombres.

      En passant, si vous voulez lire Miéville en VO, c'est un peu rock'n'roll. Son anglais ne se contente pas d'être fourni, il est, disons... très inventif (ce que les amateurs pourront apprécier, cela dit!).

    • [^] # Re: China Miéville

      Posté par  . Évalué à 2.

      Personnellement, je n'ai pas aimé Perdido Street Station. La faute en partie au langage inutilement cru et vulgaire. J'imagine que c'est pour bien montrer le niveau social des personnages, mais je trouve ça inutile et néfaste au reste du bouquin. Sur lequel je n'ai pas trop accroché, du coup, même si je ne le classerais pas parmi les mauvais bouquins ...

      • [^] # Re: China Miéville

        Posté par  . Évalué à 2.

        C'est sûr que ce n'est pas dans Miéville que tu trouveras des héros boyscouts au langage sans aspérité (ou des héros tout court en fait).
        Maintenant, la vulgarité ne m'avait pas plus marqué que ça. J'ai vu bien pire ailleurs. Problème dû à la traduction peut-être ? (ou mauvaise perception de ma part de la vulgarité dans le texte original à cause de la barrière de la langue ?)

        • [^] # Re: China Miéville

          Posté par  . Évalué à 2. Dernière modification le 25 janvier 2012 à 01:51.

          C'est sûr que ce n'est pas dans Miéville que tu trouveras des héros boyscouts au langage sans aspérité (ou des héros tout court en fait).

          Il y a une très grosse zone entre "langage sans aspérité" et Perdido Street Station. Là par exemple je relis la Compagnie Noire, de Glen Cook, le langage est loin d'être châtié (et le héros loin d'un boy-scout), mais c'est rarement vulgaire ...

          D'ailleurs, c'est aussi le fait que la vulgarité paraisse un peu trop forcée, qui me gêne. Ça fait relativement peu naturel à mon goût.

          Problème dû à la traduction peut-être ?

          Peut-être ... C'est possible que le traducteur aie voulu être plus inventif que l'original. Je dois pas avoir le bouquin VF ici, mais j'essayerais peut-être de trouver la VO pour y jeter un œil ....

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