La correction dématérialisée du baccalauréat

Posté par  . Édité par M5oul, BAud, Benoît Sibaud, Nÿco, Snark, palm123, Nils Ratusznik et Nicolas Boulay. Modéré par Nils Ratusznik. Licence CC By‑SA.
33
4
déc.
2014
Éducation

Depuis quelques années, la correction dématérialisée du baccalauréat a été mise en place dans certains établissements français à l'étranger (dépendants de l'AEFE) - mais aussi pour certains concours semble-t-il).
Cette dépêche propose — en seconde partie — de faire un point, non exhaustif, sur ce procédé et de voir les problèmes induits par cette technique.

Sommaire

Note

Le responsable de la société Neoptec a été contacté durant la rédaction de cette dépêche. J'ai proposé à cette personne (à trois reprises) de me donner son avis sur le contenu et d'y apporter d'éventuelles corrections/modifications ou de me faire des suggestions/propositions afin d'en améliorer le contenu. J'ai aussi demandé l'autorisation d'insérer des liens hypertextes renvoyant vers leur site web (comme cela est écrit sur leur page mentions légales : "NEOPTEC n'est pas responsable des liens hypertextes pointant vers le présent site et interdit à toute personne de mettre en place un tel lien sans son autorisation expresse et préalable.").
Je n'ai jamais obtenu la moindre réponse à une seule de mes demandes. Je considère donc qu'il s'agit d'un refus. En conséquence, les liens concernant cette société et son produit viatique renvoie vers les résultats d'un moteur de recherche qui nous dit qu'il ne nous trace pas et le premier de ces résultats doit normalement vous renvoyer vers la bonne page.

Le fonctionnement

Les élèves passent leurs épreuves normalement en composant sur papier. Ils doivent utiliser un stylo bleu ou noir, ne pas réécrire sur du blanco ni utiliser de couleurs exotiques (orange pastel ou autre), tout ceci afin que la numérisation se passe dans les meilleures conditions.

Les copies sont ensuite acheminées dans une salle de l'établissement (où les candidats ont composé) et sont numérisées à l'aide d'un scanner A3 recto-verso en utilisant le logiciel Viatique fourni par la société Neoptec.

Le logiciel envoie les copies sur les serveurs de la société Neoptec puis celles-ci sont anonymisées. Les fichiers sont ensuite mis à la disposition des correcteurs via le site web et corrigés en ligne. L'interface utilisateur est simple et la prise en main rapide (lien YouTube).

Du bien… et du moins bien

Des gains non négligeables

La dématérialisation de la correction des copies offre de multiples avantages :

  • des économies sont réalisées car les correcteurs ne se déplacent pas (pour les lycées français de l'étranger, les correcteurs doivent souvent aller dans un autre pays et y rester quelques jours – frais d'avion, per diem… Tout cela coûte cher 1) ;
  • des économies pour les frais d'envoi des copies (parfois acheminées par des sociétés de livraison de courrier aux tarifs souvent très élevés) ;
  • en théorie, risque quasi nul de perte de copies lors des – rares – déplacements de celles-ci ;
  • le calcul automatique du total des points par copie et calcul des moyennes par question ou exercice (c'est généralement demandé par le coordinateur de la matière) ;
  • le report des notes et le calcul des moyennes automatiques dans le logiciel du baccalauréat, ce qui élimine tout risque de saisie erronée ;
  • la possibilité, pour les élèves, de visualiser leur copie corrigée, plus simplement qu'auparavant (en quelques clics, le responsable du centre d'examen peut rechercher les fichiers correspondants plutôt que d'aller au fin fond d'une réserve, faire les photocopies, etc.) ;
  • la possibilité de partager une copie avec un collègue pour discuter d'une notation ;
  • la correction possible de n'importe quel endroit ;
  • la possibilité de créer sa banque de commentaires/remarques ce qui permet de gagner un temps non négligeable pour annoter une copie.

…mais tout n'est pas rose

Ce procédé comporte aussi son lot d'inconvénients :

  • l’achat d'un scanner A3 recto-verso assez cher (environ 3 000 euros en novembre 2014) ;
  • la connexion Internet doit avoir un bon débit d’émission (c'est loin d'être le cas partout) car dans le cas contraire, l'envoi des numérisations peut demander beaucoup de temps (sans parler des connexions qui sautent ou des coupures d'électricité, suivant le pays où l'on se trouve) ;
  • il est préférable d'utiliser de grands écrans pour la correction (impliquant des frais supplémentaires)2 ;
  • une connexion Internet est nécessaire pour corriger3 ;
  • pour les correcteurs, la nécessité de prendre en main un logiciel, ce qui peut sembler moins pratique que le stylo rouge/vert pour corriger une copie ;
  • la manipulation des copies numérisées est moins aisée que le papier (avoir une vue générale d'une copie papier est plus simple) ;
  • la sécurisation de la correction des copies est dépendante du prestataire de services qui fournit le logiciel ;
  • la sécurisation de la correction peut être mise à mal si l'ordinateur du correcteur est infecté par un virus/malware/spyware.

Des interrogations…

Si l'on peut, a priori, se féliciter d'une « modernisation » du baccalauréat, ce passage au numérique n'est pas sans poser des questions :
1. Qu'en est-il du code source du programme développé par Neoptec ? En effet, ce programme est, semble-t-il, utilisé pour des concours de recrutement nationaux (comme le CAPES) où les enjeux sont autrement plus importants que le baccalauréat. Quel droit de regard les ministères ou écoles qui utilisent ce logiciel ont-elles dessus ?
2. La question qui découle de la précédente concerne la sécurisation du transfert des données lors de l'envoi des fichiers par les établissements scolaires : comment contrôler, vérifier ou auditer ce transfert ? On peut envisager une attaque visant à remplacer une copie par une autre, une suppression des fichiers, etc.
3. Qu'en est-il de l'anonymisation des copies faite par la société Neoptec ? Sans mettre en doute la probité de ses informaticiens, là-encore, comment cette anonymisation est-elle faite et comment est-elle protégée d'une attaque extérieure qui viserait à retrouver l'identité du candidat à partir de son numéro d'anonymat ?
4. Pourquoi l'AEFE ou l'Éducation Nationale n'a-t-elle pas développé ce logiciel en interne ? En effet, les économies réalisées pourraient être investies dans le développement d'un tel logiciel (rêvons… libre).

En conclusion

Le passage à la dématérialisation a des avantages loin d'être négligeables (économie, sécurité accrue par rapport à une correction traditionnelle, plus de risque d'erreur de report de notes, temps de correction similaire à celui d'une correction "traditionnelle"…). Les réserves émises par certains syndicats (dans l'avant-dernier paragraphe) n'ont pas lieu d'être à mon sens, les vraies questions posées par ce procédé étant d'un autre ordre.

Il apparaît donc qu'il s'agit, sans aucun doute, d'un véritable progrès.
Neoptec a produit un logiciel (non libre, certes) de qualité et multiplateforme. Ce qui est une véritable avancée dans la correction des copies.

Toutefois, le procédé pose de véritables questions techniques et déontologiques. En effet, ce logiciel, utilisé dans des contextes où la sécurité est essentielle, la transparence est impérative (pour garantir une égalité de traitement entre les candidats) et de rigueur (double correction ou possibilité d'assister aux oraux du CAPES et de l'Agrégation), on peut s'interroger sur le choix d'un programme où les questions techniques et les problèmes de sécurité sont de la seule responsabilité des informaticiens de Neoptec (la compétence n'empêche pas l'erreur).

Sans mettre en doute la probité de qui que ce soit ni jeter l'opprobe sur les sociétés privées, il serait tout de même souhaitable que le Ministère de l'Éducation Nationale s'interroge sur cette situation, car ce procédé est sans aucun doute amené à se généraliser, à moyen et long terme, à tous les examens et concours.

NdM : Neoptec est aussi éditeur d'une solution de QCM propriétaire ; un comparatif avec d'autres solutions, notamment la solution libre AMC (Auto-Multiple-Choice) a été fait par la fédération des Services TICE de la région Midi-Pyrénées


  1. Même si la correction est dématérialisée, des déplacements sont inévitables, notamment pour le second tour (les oraux de rattrapage) ainsi que pour la délibération du jury. Mais c'est sans commune mesure avec les dépenses induites par les déplacements liés à une correction classique. 

  2. sans que cela soit absolument nécessaire, une correction sur écran 15 pouces est faisable. Par ailleurs, la dépense est à modérée du fait de la baisse constante du prix des grands écrans. 

  3. Une correction hors connexion est possible (après avoir téléchargé les copies – il est donc indispensable de se connecter deux fois : une pour télécharger ses copies, une pour les renvoyer corrigées). 

Aller plus loin

  • # Bilan carbone

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 7. Dernière modification le 04 décembre 2014 à 08:21.

    Les universités ont un bilan carbone par employé très mauvais. Ce ne sont pas les expériences ni l'électricité (notamment du à l'informatique) qui plombent le bilan carbone mais les déplacements en avion. Chaque trajet en avion est terrible… Si nous voulons diminuer l'impact carbone, il est impératif de très fortement diminuer les voyages professionnels. Donc la dématérialisation du bac me semble ainsi une bonne chose.

    Avec une logiciel de visio comme Vidyo (propriétaire mais de très bonne qualité - utilisé par le CERN), il doit être possible de faire passer des oraux sans déplacement de l'examinateur. Le candidat devra toujours se déplacer dans un centre agrée (espérant qu'il est assez proche) afin qu'il y ait un fonctionnaire (ou équivalent) pouvant certifié de son identité et des condition sur place !

  • # Prix ?

    Posté par  . Évalué à 5.

    Outre le fait que ce soit un logiciel propriétaire (pas bien), quel est le prix pour l'éducation national de ce genre de système ?

    • [^] # Re: Prix ?

      Posté par  . Évalué à 1.

      À mon avis, ça doit pas être donné. ^_^

  • # Liens

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 10.

    J'ai aussi demandé l'autorisation d'insérer des liens hypertextes renvoyant vers leur site web […]

    Je ne vois pas quelle base légale permettrait à une personne d'interdire les liens vers son site. Si on se met à respecter les "mentions légales" qui n'ont pas de base légale, ça va mal finir…

  • # retour d'expérience (BAC)

    Posté par  . Évalué à 10.

    J'abonde dans le sens de l'article. Voici quelques remarques complémentaires, en vrac:

    D'abord, il faut dire que l'interface utilisateur est suffisamment intuitive pour être prise en main par les profs les plus réticents à l'outil informatique: de ce point de vue c'est une réussite. La correction n'est qu'un calque sur la copie. De même que l'anonymat n'est qu'un masque noir sur l'image: il n'y a plus de massicotage de copies.
    Les correcteurs peuvent chatter entre eux, s'envoyer des copies, contacter un responsable…
    On peut voir de façon dynamique les statistiques de réussite par question (pour son propre lot mais aussi pour le lot de copies d'un ensemble important de correcteurs, cela revient à plusieurs centaines de copies, auxquelles on peu comparer son lot). Le pilotage général de la correction est facilité car les responsables savent à tout moment l'avancement de la correction pour chacun, et peuvent redistribuer des lots en cas d'arrêt maladie.
    Le blanco n'est à priori pas proscrit, ça passe au scanner.

    Quelques points faibles que j'ai pu remarquer:
    1) Le logiciel viatique est en flash, ce qui pose problème: sur nos postes linux (debian) on est bloqué sur une vieille version.
    2) Le logiciel viatique offline (qui permet la correction offline) est basé sur la technologie air, non présente sous linux
    3) J'ai cru comprendre qu'ils savent bien qu'il va falloir recoder sur une autre techno (html5? QT?….) mais d'abord, ils veulent rentrer dans leurs frais…
    4) Concernant le prix, c'est visiblement top secret mais certains clins d'oeils échangés dont j'ai été témoin laissent penser que ça n'est pas donné.
    5) Le logiciel qui permet l'envoi des copies pose problème si la connexion est faible (dans certains pays, c'est le cas): Un lot de copies est chiffré, puis découpé en paquets envoyés un à un (port 443 visiblement). Très bien. Mais si on perd la connexion lorsque 97% des paquets sont envoyés, ça freeze et il faut recommencer à zéro: nouveau découpage du lot etc…
    6) La correction lorsque le débit internet est faible s'avère problématique: 10 minutes pour tourner une page, c'est peu productif. Il y a moyen de mettre les copies en cache mais pas en arrière plan: dans ce cas il faut attendre que le lot complet soit téléchargé pour s'y mettre. Du coup cette fonctionnalité est inutile.
    7) impossible de mettre des "drapeaux" pour s'y retrouver dans les longues copies, qui peuvent être assez désordonnées.

    Enfin, autre chose. Auparavant, chaque correcteur, au moment du jury, reprenait son lot, désanonymé et pouvait vérifier le bon report de chaque note sur le relevé de chaque candidat.

    Désormais, plus de report: ça n'est pas grave puisque le calcul est automatique. Cependant,
    1) Le jury n'est plus composé des correcteurs des candidats examinés, mais de correcteurs différents: ça aussi c'est conforme aux textes à ce que j'ai compris.
    2) Du coup, si le jury veut voir une copie, ça doit être possible, mais que voit-il? Le calque de correction est-il présent on non? Je l'ignore. Mais à mon avis entre le moment où un correcteur met une note à une copie anonyme et le moment où un jury étudie le relevé de notes du candidat, il n'y a plus la continuité du prof qui reprend son paquet et vérifie que la note qu'il a mise est bien celle figurant sur le relevé. Là je pense que le corps enseignant perd la main en quelque sorte.

    Évidemment, il aurait mieux valu que l'éducation nationale embauche une équipe de développeurs. Mais ça n'est pas la pratique du ministère. C'est la même chose pour les logiciels de gestion des notes type PRONOTE, qui doivent avoir un gros impact financier: chaque établissement paie….. Les logiciels sur les serveurs gérant les postes clients dans les établissements scolaires sont peu soutenus financièrement (je pense à sambaedu), c'est une communauté de profs avec quelques décharges horaires qui se serrent les coudes sur une mailing-list.

    • [^] # Re: retour d'expérience (BAC)

      Posté par  . Évalué à 5.

      Pour ce qui est du flash, j'ai aussi pensé que c'était le cas mais j'ai désactivé mon plugins (en fait je l'ai carrément supprimé) et cela a bien fonctionné donc j'ai un doute la dessus (mais impossible de trouver sur la page de la société quels sont les prérequis matériels)
      Concernant le prix, là encore, c'est une énigme. Mais de ce que j'ai pu entendre, les économies réalisées par ce système dépassent de loin les dépenses.

      Cette société qui se la joue je-suis-super-pour-la-transparence" ("Nous nous efforçons d'entretenir une parfaite transparence dans toutes nos démarches et nous fournissons à nos clients les éléments nécessaires pour contrôler les résultats de tout traitement de documents, d’examens ou de concours réalisé par NEOPTEC.") n'est pas si transparente que cela (mais bon, après tout, c'est leur droit de ne pas divulguer leurs prix).

      Concernant la visualisation des copies corrigées, tu peux effectivement les voir lors du jury (enfin, c'était le cas en juin dernier) avec les annotations des correcteurs. Mais elles apparaissent anonymisées, tu ne peux donc pas savoir si cela correspond au nom du candidat sur lequel tu délibères.

      Enfin, ce qui me gêne quand même c'est que lorsque j'ai écrit la première fois sur la page contact en indiquant que je rédigeais un article etc., la personne m'a demandé de lui téléphoner (et la page contact demande beaucoup d'informations personnelles - téléphone, établissement, fonction, pays… - je trouve pour une simple demande d'information !

    • [^] # Re: retour d'expérience (BAC)

      Posté par  (site web personnel) . Évalué à 4.

      Évidemment, il aurait mieux valu que l'éducation nationale embauche une équipe de développeurs. Mais ça n'est pas la pratique du ministère.

      On peut très bien sous traiter le développement d'un code ET être propriétaire de l'intégralité du code à la fin (donc pouvoir le libérer). C'est ce qu'on fait en général sur nos manips. On est toujours propriétaire du code permettant le pilotage de ceux-ci, même si on n'a en pratique rien fait !

    • [^] # Re: retour d'expérience (BAC)

      Posté par  . Évalué à 3.

      Concernant le prix, c'est visiblement top secret mais certains clins d'oeils échangés dont j'ai été témoin laissent penser que ça n'est pas donné.

      Pourtant c'est un marché public, il y a dû avoir publication du résultat de l'appel d'offres et du montant financier de la proposition retenue !

      • [^] # Re: retour d'expérience (BAC)

        Posté par  . Évalué à 2.

        Le marchés publics ne sont pas « publiés ».
        On peut y avoir accès à condition de faire partie des intéressés, ce qui est peut-être le cas de tous les citoyens français concernant ce cas précis, mais rien n'est disponible publiquement par obligation.
        Et surtout il faut connaître la référence. Alors là accroches-toi :-)

        On trouve avec Google un marché datant de 2007 (date des premières expérimentations je crois) sans montant. Et un second en 2011 pour 50000 € dont je n'ai pas le détail du contenu.

        Vu les chiffres d'affaire de Neoptec (vu rapidement sur societe.com sans chercher les sociétés amies), le montant total ne doit pas être bien fameux, ce qui me surprend.

  • # notes de bas de page

    Posté par  . Évalué à 1.

    Si un modérateur pouvait les arranger, ce serait gentil. J'ai été très manchot et incapable de parvenir à les afficher correctement (pourtant, ce n'est pas faute d'avoir lu la doc mais quand on est handicapé…)

  • # flash?

    Posté par  . Évalué à 1.

    Si ça fonctionnait chez toi sans flash, cela signifie qu'ils avaient déjà commencé une migration vers autre chose (html+javascript j'imagine) sur les clients ne disposant pas du plugin. Peut-être qu'en juin prochain, flash sera complètement éjecté.

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