Proposition du ZenDis sur la souveraineté numérique et le droit des marchés publics en Allemagne

Posté par  (site web personnel) . Édité par Ysabeau 🧶 🧦, bobble bubble et Benoît Sibaud. Modéré par Benoît Sibaud. Licence CC By‑SA.
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28
juin
2024
Justice

Le ZenDis (de) vient de publier des propositions sur la souveraineté numérique et le droit des marchés publics en Allemagne.

Le ZenDis (Zentrum Digitale Souveränität - Centre pour la Souveraineté Numérique) est une agence gouvernementale (SARL à capitaux publics) allemande, dont la création avait été annoncée dans une dépêche de 2021 et dont la mission est de « servir d’organe central et de coordination pour la promotion des logiciels libres (OSS) dans l’administration publique ».

Le document « Positionspapier: Digitale Souveränität im Vergaberecht»  met en avant l’importance de renforcer la souveraineté numérique des administrations publiques allemandes face à une situation géopolitique incertaine. Il souligne la volonté politique exprimée dans diverses stratégies et documents officiels depuis 2020, qui prônent l’adoption systématique de standards ouverts et de logiciels open source pour les projets informatiques publics afin de réduire les dépendances aux fournisseurs de technologies propriétaires.

L’utilisation de logiciels open source est présentée comme un levier essentiel pour atteindre cette souveraineté numérique. Les avantages comprennent la flexibilité de changer de fournisseur, la capacité d’adaptation des logiciels aux besoins spécifiques des administrations et une meilleure position de négociation avec les fournisseurs. Toutefois, malgré un cadre juridique favorable, l’open source reste peu utilisé dans la pratique des marchés publics.

Enfin, le texte appelle à utiliser la réforme en cours du droit des marchés publics (Vergabetransformationspaket) pour intégrer de manière plus étendue cette préférence pour l’open source, en s’inspirant d’exemples de législation comme celle de la Thuringe. Le texte met en avant des propositions d’amendements spécifiques au code des marchés publics allemand pour favoriser l’adoption de l’open source, renforcer la souveraineté numérique et réduire les dépendances technologiques au sein des administrations publiques allemandes.

Sommaire

Le document « Positionspapier: Digitale Souveränität im Vergaberecht » élaboré par le Zentrum für Digitale Souveränität der Öffentlichen Verwaltung (ZenDiS) met en avant la nécessité de renforcer la souveraineté numérique au sein des administrations publiques allemandes, en particulier par le biais de la réforme du droit des marchés publics.

Il comprend cinq parties.

1. Contexte et volonté politique

Le texte commence par souligner l’importance croissante de la souveraineté numérique face à une situation géopolitique incertaine, en particulier pour les administrations publiques. Depuis 2020, des initiatives ont été mises en place pour renforcer cette souveraineté, telles que les stratégies définies par l’IT-Planungsrat (pdf, de) et les engagements du gouvernement fédéral inscrits dans la stratégie numérique de 2022 (de). Ces documents insistent sur l’utilisation de standards ouverts et sur l’adoption systématique de logiciels open source dans les projets informatiques publics.

2. Open-Source: catalyseur de la souveraineté numérique

L’adoption de logiciels open source est considérée comme un levier crucial pour atteindre la souveraineté numérique. Les avantages de l’open source incluent la possibilité de changer de fournisseur sans contraintes, la capacité à adapter et à personnaliser les logiciels, ainsi qu’une meilleure position de négociation vis-à-vis des fournisseurs. Une étude de marché (de) réalisée en 2019 pour le ministère de l’Intérieur allemand souligne l’importance de réduire les dépendances aux fournisseurs de logiciels propriétaires.

3. Spécificités du droit des marchés publics dans l’acquisition de logiciels

Le document distingue deux types de prestations dans l’acquisition de logiciels : la fourniture du produit logiciel (licences) et les services associés. Les licences open source, étant exemptes de droits d’utilisation, échappent souvent aux obligations de mise en concurrence des marchés publics. Cependant, les services liés à ces logiciels doivent faire l’objet de procédures d’appel d’offres. La pratique actuelle, qui consiste à combiner la fourniture de logiciels et les services associés dans un même appel d’offres, doit évoluer pour favoriser l’open source.

4. Nécessité et conformité juridique d’une préférence pour le libre

Malgré un cadre juridique favorable, l’open source reste marginal dans les pratiques d’achat public. Le texte plaide pour une préférence explicite pour les logiciels open source dans le droit des marchés publics pour éviter les effets de verrouillage (lock-in) liés aux logiciels propriétaires. Il s’appuie sur l’article 97 du code des marchés publics allemand, qui permet des traitements différenciés justifiés par des objectifs légitimes, comme la souveraineté numérique.

5. Opportunités de réforme du droit des marchés publics

Le texte appelle à profiter de la réforme en cours du droit des marchés publics (Vergabetransformationspaket) pour inscrire de manière plus étendue la préférence pour les logiciels open source. Des exemples de la législation en Thuringe montrent comment cette approche peut être intégrée dans les textes de loi, en mettant l’accent sur l’interopérabilité et la durabilité.

Citons à présent les propositions:

C’est pourquoi la réforme actuelle du droit des marchés publics (doit absolument être mise à profit pour établir une priorité open source étendue et efficace. Ou plus encore : pour ancrer la priorité de la Souveraineté numérique.

Concernant le logiciel libre, le document reprend les propositions (de) issues d’une étude réalisée en 2022 par le professeur Andreas Wiebe pour le compte de l’Open Source Business Alliance (OSBA):

(1) Afin de garantir une large interopérabilité, les nouvelles applications et technologies doivent être dotées d’interfaces et de normes ouvertes et être utilisables par ce biais. Les nouvelles applications et technologies doivent, dans la mesure du possible, être compatibles en amont.

(2) L’utilisation de logiciels open source doit être privilégiée par rapport aux logiciels dont le code source n’est pas accessible au public et dont la licence limite l’utilisation, la distribution et la modification, ainsi que l’utilisation d’applications et de technologies qui sont durables tout au long de leur cycle de vie.

(3) Pour les nouveaux logiciels développés par l’administration publique ou spécialement pour elle, le code source doit être placé sous une licence de logiciel libre et open source appropriée et publié, pour autant qu’aucune tâche liée à la sécurité ne soit effectuée avec ces logiciels et que cela soit autorisé par le droit des licences.

Commentaire: les points 1 et 2 font écho à l’article 16 de la loi République Numérique en France, mais dans celle-ci il n’est question que d’ « encouragement » alors qu’ici il s’agit d’une obligation (point 1) ou d’une préférence (point 2). Le point 3 est aussi proche de ce qui est prévu en France concernant les logiciels vus comme des documents administratifs communicables.

Le document ajoute pour conclure:

Nous nous rallions à ce point de vue et à la proposition de formulation, mais nous nous prononçons explicitement en faveur d’un ancrage dans le code des marchés publics. En effet, comme le fait remarquer Wiebe, la loi sur la cyberadministration ne se réfère pas directement à l’attribution des marchés. En revanche, le décret sur les marchés publics permet de donner la priorité à l’open source ou à la souveraineté numérique. […]

Nous estimons qu’il est nécessaire, au regard des exigences de la description des prestations,

1. de rendre obligatoire la mention, dans le cahier des charges, des exigences qui renforcent la Souveraineté Numérique.

En ce qui concerne les conditions d’attribution, nous pensons qu’il est nécessaire,
1. d’établir l’effet du logiciel sur la Souveraineté Numérique comme critère autonome d’évaluation des offres,

2. de concrétiser l’évaluation de la rentabilité du logiciel,

• de manière à inclure les éventuels coûts induits par un éventuel effet de verrouillage,

• de sorte que l’impact économique sur d’autres acteurs de l’administration publique (réutilisation de logiciels) soit pris en compte.

En résumé

Le ZenDiS préconise des amendements spécifiques au code des marchés publics pour établir une préférence claire et opérationnelle en faveur des logiciels libres, afin de contribuer à la souveraineté numérique. Ce document présente des propositions concrètes pour adapter le cadre juridique afin de favoriser l’adoption de l’open source et de réduire les dépendances aux technologies propriétaires dans le secteur public.

Il nous semble indispensable de mener une réflexion similaire en France.

Aller plus loin

  • # Lock-in

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 3 (+1/-0).

    Déjà interdire purement et simplement de choisir des logiciels qui vont verrouiller la relation entre prestataire et service public quand des alternatives existent serait déjà un plus appréciable. Exemple : tel logiciel bureautique ne manie correctement aucun format réellement ouvert -> pas de marché.

    « IRAFURORBREVISESTANIMUMREGEQUINISIPARETIMPERAT » — Odes — Horace

  • # Nous?

    Posté par  . Évalué à 1 (+0/-0).

    Il nous semble indispensable de mener une réflexion similaire en France.

    Qui est ce nous?

    A ma connaissance, la réflexion au sein de l'administration ne s'est pas arrêté depuis les RGS, RGI et RGAA.

    La question du logiciel libre, des standards ouvert et de la souveraineté se pose en amont du marché pour les administrations qui en font la démarche, en réfléchissant aux différentes modalités possibles, du recrutement au partenariat public-privé en passant par l'établissement public

    Exemple les logiciels à destination des universités via l'AMUE.

    Je ne suis pas convaincu qu'il y ait besoin de toucher au code des marchés, ça aurait tendance à favoriser des entreprises sans que l'intérêt collectif soit très clair par rapport à une mutualisation des DSI.

  • # FSFE

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 3 (+1/-0).

    Pour que cela se concrétise dans d'autres pays européens, je pense en premier à la Free Software Foundation Europe. Ça vaut la peine de les soutenir.

    Comme quoi avec de la persévérance et du temps, les choses finissent par s'améliorer.

  • # article sur les communs numériques, la souveraineté et les logiciels libres

    Posté par  . Évalué à 1 (+1/-0).

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