Cher Journal,
Je viens enfin de découvrir Flow, ce film d'animation récompensé aux Oscars et intégralement réalisé sous Blender. Quelle émotion de voir ce logiciel libre, né dans l'esprit du partage, devenir l'instrument d'une grâce cinématographique ! Ainsi, voir cette œuvre franco-belgo-lettone construite avec Blender ainsi consacrée m'a profondément touché par différents aspects (cinématographique, artistique, esprit européen, solidarité dans la différence, etc.). Aujourd'hui, j'ai ce besoin irrépressible de te partager cette expérience sous ces multiples angles.
Cher Nal, je te fais part de mon expérience de Flow sans autre prétention, et souhaite attirer ton attention sur un potentiel spoiler alert / divulgâchage (pour ceux qui ne l'auraient pas encore vu).
L'éveil par Flow : le Petit Prince dans une chorégraphie du silence
Assis dans la pénombre de la salle, je découvris Flow comme on hérite d'un secret - ce film d'animation aux allures de songe, né des lignes open source et de l'art scénographique de Blender. Autour de moi, les réactions chuchotées dessinaient un paradoxe ; certains spectateurs, habitués aux miroitements clinquants des grands studios, trouvaient cette simplicité presque insolente. Ainsi, la séance, partagée avec mes proches, révéla ces regards divergents. Néanmoins, j'y voyais la pureté d'un trait de crayon sur papier aquarelle - dans un espace virtuel. Ainsi, telle une esthétique fragile d'aquarelle - chaque trait de 3D minimaliste me semblait un choix audacieux (confirmé par l'auteur dans son interview du magazine Sight and Sound d'avril 2025) plutôt qu'une limite technique, comme en témoignent d'ailleurs les autres productions de la Fondation. C'est ainsi que lorsque j'ai regardé Flow, ce fut comme la découverte d'un trésor caché - ce petit film d'animation né sous Blender, modeste par ses moyens mais qui réenchante le monde par ses choix artistiques hors normes. Cette étrange alchimie me ramena soudain à Saint-Exupéry ; en effet, Flow m'a donné ce que j'aime appeler "l'effet Petit Prince". Te souviens-tu de cette scène des Trois Frères des Inconnus où les adultes s'effondrent en lisant Saint-Exupéry tandis que l'enfant reste interloqué ? J'étais cet enfant, autrefois, devant Le Petit Prince - incapable de saisir pourquoi ce livre traversait les âmes comme un couteau dans du beurre. Flow m'a offert la même révélation tardive : sous ses airs de fable simple, il cache une profondeur qui soudain transperce. Entre le désert du Petit Prince et les eaux troubles du film, un même miroir se tend : celui de l'exil intérieur, cette sensation d'être un étranger dans son propre monde en déconstruction.
Artistiquement, Zilbalodis filme comme on explore une forêt inconnue - sa caméra numérique respire, hésite, s'émerveille. On pense aux plans dynamiques des très longs métrages, à cette façon qu'ont les grands cinéastes de faire de leur objectif une conscience flottante. Sa méthode ? Un anti-académisme rafraîchissant : pas de storyboard rigide, mais une exploration instinctive de l'espace 3D, comme un enfant testerait les limites d'un nouveau terrain de jeu. Le résultat vibre de cette liberté - chaque cadre semble découvert plutôt que composé.
Une odyssée européenne : de Quat'sous à Flow, un héritage humaniste
Il est frappant de constater comment Flow s'inscrit dans la lignée des Animaux du Bois de Quat'sous (1993), cette série germano-anglo-hispano-française où déjà, les créatures de la forêt apprenaient à survivre ensemble face aux ravages écologiques causés par l'homme. Trois décennies plus tard, Zilbalodis reprend ce flambeau avec une sobriété poignante. Là où la série utilisait encore le dialogue, Flow ose le silence absolu - chaque geste, chaque regard échangé entre les personnages devient un pacte tacite de survie. Le génie du réalisateur letton réside dans cette économie de moyens : une main qui se tend, un bout de bois partagé, et soudain se révèle l'essence même de la solidarité.
Ce langage universel explique sans doute pourquoi la Lettonie a choisi Flow comme ambassadeur culturel lors de la Journée de l'Europe. Devant le Parlement européen, son affiche n'était pas simple décor - elle devenait manifeste. Les statues englouties du film, ces architectures fantômes, nous renvoient cruellement à nos propres fragilités contemporaines. Comme un écho aux enjeux actuels du Vieux Continent, Flow propose une vérité simple : c'est dans l'épreuve partagée, bien plus que dans les grands discours, que se forge une véritable communauté.
La force de ce film réside précisément dans ce paradoxe : une œuvre profondément européenne par ses origines, mais immédiatement compréhensible au delà des frontières par son humanisme. À l'image de l'Europe elle-même, Flow nous rappelle que l'unité ne signifie pas uniformité, et que c'est souvent dans le silence partagé que se tissent les liens les plus forts. Les animaux de Quat'sous parlaient déjà cette langue ; ceux de Flow la portent désormais sur la scène internationale, transformant une simple embarcation de fortune en puissant symbole de résilience collective.
Épilogue : L'art de flotter ensemble
Flow opère une double alchimie : tout en rendant hommage à l'esprit collaboratif des communautés FOSS et à leur production open source solidaire du quotidien, Flow n’est-elle pas aussi la plus belle métaphore de notre époque ? Dans un monde qui se délite, l’art nous rappelle l’essentiel : ce n’est pas le navire qui compte, mais la manière dont on partage les rames. Le génie de Zilbalodis aura été de transformer Blender, simple logiciel, en ce témoignage collectif animalier — preuve que les outils libres peuvent, en mains talentueuses, devenir de véritables pinceaux poétiques.
Ainsi, de par sa peinture cinématographique, le véritable pouvoir de Flow réside dans ce qu’il tait : aucune leçon moralisatrice, seulement une invitation à regarder, à ressentir, et peut-être… à imiter cette fragile chorégraphie de solidarité. Après tout, n’est-ce pas le propre des grandes œuvres que de nous montrer non pas ce que nous devrions être, mais ce que nous pourrions devenir ?
# Chez Iceman
Posté par fero14041 . Évalué à 3 (+2/-0).
Une autre critique sympa de Flow, chez Iceman
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