Ou logiciel libre et société du futur..
Pour ceux qui ont encore du temps à perdre après avoir lu la dépêche de patrick_g, je conseille la lecture d'un article paru sur le framablog [1], «Du logiciel libre aux théories de l'intelligence collective». C'est un article d'un universitaire sociologue, M. Broca, qui commence par retracer rapidement ce qu'est un logiciel libre, parce que tout le monde ne sait pas ce que c'est, et le passé du mouvement, puis qui donne 3 exemples de reprises des discours autour du libre, l'un par un philosophe finlandais, l'autre par un économiste français, le dernier par deux philosophes foucaldiens, l'un italien et l'autre américain.
L'article essaye de rendre compte des différentes réussites ou échecs de ces discours, ce qui peut peut-être permettre de créer des nouveaux discours ou de remodeler les anciens pour que le «logiciel libre ne libère pas que du code».
Il définit le logiciel à partir de ses quatre libertés, certes, mais aussi (en bon sociologue) à partir des "communautés": «des centaines puis des milliers de programmeurs en viennent à unir leurs efforts pour développer ce noyau, entre-temps nommé Linux», et n'oublie pas le bénéfice qu'en tire des grosses boîtes comme IBM. Il a tendance à considérer le monde du libre comme un, mais modère cette unité en nommant la fracture OSI/FSF. Mais il ne parle ni de bsd ni de viralité de la gpl. Ce qui l'intéresse est les idéologies, les discours. Ainsi il fait allusion au modèle bazar pour le modérer en disant que malgré les déclarations d'ouverture, de libre collaboration, il existe des « manœuvres volontaires de rétention de l’information ». Il donne que les structures méritocratiques du libre sont hiérarchiques, en même temps qu'elles valorisent la collaboration.
Le philosophe Pekka Himanen, et l'Éthique hacker, que vous connaissez peut-être, fait une analogie entre les hackers et les milieux artistiques, en tant que les artistes, les universitaires, mélangent vie familiale et vie professionnelle, et que pour eux la satisfaction personnelle qu'ils tirent de leur travail est ce qui compte le plus. Ils s'engagent entièrement dans leur travail, pour se faire plaisir. Broca ne nie pas que cela existe, mais émet de sérieux doute sur le fait que cette éthique du travail, ce rapport au travail puisse se répandre tel quel dans les autres secteurs de la société.
L'économiste Yann Moulier Boutang, émet lui l'hypothèse que le logiciel libre serait l'avant-garde d'un nouveau type de capitalisme, le capitalisme cognitif, celui de l'économie de la connaissance. Pour produire de la connaissance, le plus efficace est d'utiliser des modes de travail en réseau, collaboratifs, car les organisations hiérarchiques traditionnelles étouffent les innovations, les découvertes. De plus la connaissance coute moins chère à produire lorsque l'on la délègue à des communautés, qui la font pour ainsi dire surgir naturellement. L'essentiel est de capter ce gisement pour pouvoir le convertir en monnaie. Broca souligne qu'une telle analyse ne peut que se restreindre aux secteurs de la connaissance et encore (exemple personnel: les boites pharmaceutiques). De plus il est aussi tout à fait possible que la tentative soit de verrouiller les réseaux pour mieux les gérer (cf Aigrain). J'ajouterai que la production ou la commercialisation de connaissance verrouillée par des systèmes de brevets iniques a encore de beaux jours devant elle, qu'elle fonctionne aujourd'hui à grande échelle, et met du temps à être renversée à être renversée par le libre. C'est une vision optimiste que celle de Moulier-Boutang.
Enfin Michael Hardt et Antonio Negri voient eux carrément demain une démocratie open-source. Ils semblent dire que la production d'immatériel s'accompagne toujours de la diffusion de cet immatériel dans la société. Comme le présente Broca: «On peut ainsi – moyennant une simplification acceptable – donner à leur raisonnement la forme d’un syllogisme : Structures économiques et structures politiques tendent à devenir semblables. Or, le logiciel libre est emblématique des nouvelles structures économiques. Donc, le logiciel libre devient emblématique des nouvelles structures politiques !». Broca conteste qu'on puisse envisager la politique sur le mode d'une gigantesque entreprise de débogage. Il s'agirait d'une sur-rationalisation de la politique.
Personnellement la politique comme débogage ne me dérange pas à première vue tant que ça, mais plutôt le fait que dans une démocratie open-source, il ne serait pas possible de nier tout le mal sur lequel notre pays peut reposer (immigration/écologie/secrets d'état).
J'ai à peu près (et mal) résumé ce dont Broca parle. Je vous encourage à plutôt lire l'original. Ce qui me gêne un peu dans ce dont Broca parle c'est la vision unitaire, globalisante qu'il a du libre. Il n'y a pas de mesure entre le développement du noyau, l'ubuntu sur laquelle je rédige, et les serveurs mails particuliers. Pourtant tous ont partie liée au libre. Il n'y a pas une organisation unique du libre qui soit formalisable à mon sens. Mais en même temps, Broca s'intéresse aux discours, et est bien obligé d'être assez global pour pouvoir parler de l'objet "Le libre".
Bref, cet article m'a intéressé, et en même temps me laisse plus perplexe qu'avant quand à ce que le libre est voué à devenir, ou peut bien dire...
[1] http://www.framablog.org/index.php/post/2009/11/23/logiciel-(...)
# Commentaire supprimé
Posté par Anonyme . Évalué à 1.
Ce commentaire a été supprimé par l’équipe de modération.
[^] # Re: uxam
Posté par goom . Évalué à 2.
[^] # Re: uxam
Posté par llaxe . Évalué à 1.
# L'opensource aussi dans les maths?
Posté par cosmocat . Évalué à 3.
http://www.framablog.org/index.php/post/2009/11/06/mathemati(...)
# Les temps changent... (et se raccourcissent)
Posté par Alexis Kauffmann (site web personnel, Mastodon) . Évalué à 4.
Ça en dit aussi long sur la twitterisation du Web...
[^] # Re: Les temps changent... (et se raccourcissent)
Posté par téthis . Évalué à 5.
The capacity of the human mind for swallowing nonsense and spewing it forth in violent and repressive action has never yet been plumbed. -- Robert A. Heinlein
[^] # Re: Les temps changent... (et se raccourcissent)
Posté par llaxe . Évalué à 2.
[^] # Re: Les temps changent... (et se raccourcissent)
Posté par benoar . Évalué à 4.
[^] # Re: Les temps changent... (et se raccourcissent)
Posté par nomorepost . Évalué à 3.
Ton résumé est de bonne facture, agréable à lire et intéressant.
[^] # Re: Les temps changent... (et se raccourcissent)
Posté par Thomas Douillard . Évalué à 4.
Il suffit de regarder les commentaires sur le Framablog pour se rendre compte que les commentaires des geeks a fond dans le mouvement sont soit "c'est très intéressant cet article", soit un "n'importe quoi le libre vaincra", globalement la seule vraie "contribution" au débat c'est un collègue sociologue de l'auteur qui l'a écrite.
En fait je pense que les problématiques abordées sont certe très intéressante, mais qu'elles ne sont pas vraiment centrales au mouvement du libre en lui même. Au mieux ce sont un peu des "fantasmes" de la communauté qui sont abordés.
J'ai l'impression que le côté "idéalisant" du libre évoqué dans l'article est beaucoup moins présent sur ce site qu'il l'était il y a quelques années, et que la communauté est devenue plus réaliste en se confrontant au terrain, avec l'expérience. J'en veut pour preuve le journal récent sur le jeu vidéo sous Linux par exemple. Il y a quelque années, le discours "ça pue c'est pas libre" aurait eu une autre dimension, j'ai l'impression ... Peut être d'ailleurs que l'article a un train de retard de ce côté.
À nuancer cependant parce que l'article oublie d'évoquer des projets qui peuvent clamer une certaine réussite dans des domaines qui ne sont plus du domaine du logiciel mais plutôt des données ou de la connaissances bien connus comme OSM ou wikipedia, qui expérimentent des formes d'organisations qui leur sont propre et d'inspiration très clairement libristes, qui se voit aussi dans la licence des données, qui mériteraient d'être étudiés d'un point de vue sociologiques, et qui ont l'avantages d'être plus "terre à terre" que des éventuels modèles d'extension du libre à la vie politique à perspective à la fois plus théoriques et plus lointaines ...
J'ai plutôt l'impression que les discussions sur la portée sociologique du libre nous intéressent fortement, mais nous dépassent un peu, ce qui explique peut être l'abscence de commentaire nombreux et variés ...
[^] # Re: Les temps changent... (et se raccourcissent)
Posté par llaxe . Évalué à 3.
Ça confirme un peu ce que je pensais, sur plusieurs points. Déjà pour les commentaires sur le framablog, je suis d'accord, sauf que le premier commentaire que le collègue sociologue a sorti était (je trouve) très pédant par rapport au billet. Jargonnant inutilement, au point qu'il ne se fait pas comprendre des siens. Quand il s'est expliqué une deuxième fois, c'était clair, et plus intéressant. Il y a un commentaire d'un François B qui donne des pistes aussi.
Ensuite, oui, c'est vrai, linuxfr n'a pas vocation a être un lieu de socio sur le libre. Mais ça m'aurait toujours intéressé d'avoir des avis contradictoires. Parce qu'après quand des soi-disant experts passent à la télé, le titre sociologue est utilisé pour impressionner, alors qu'il suffit parfois d'un peu de culture, de repères dans le domaine pour ne pas s'en laisser conter.
D'ailleurs, à propos de critique possible, ce que tu relèves comme défaut à l'article est le côté idéalisant du libre, avec lequel je suis assez d'accord. De même qu'en essayant d'idéaliser le libre pour en faire un modèle de société, certains pêchent par généralisation abusive, de même en reprenant , il pêche peut-être par amalgamisation de multiples pratiques qui, si ça se trouve, n'ont rien en commun même pas l'idéologie, à la limite la licence de sortie du produit.
Pour les journaux sur les jeux proprios, et les projets libres qui réussissent, j'ai la même opinion, surtout sur le fait que wikipedia pourrait être un excellent sujet d'étude en socio.
Et en fait, pour les discussions sur la socio du libre, je me suis surtout dis que ce lieu est un des premiers concernés. Ça me paraît un peu bizarre, contraire à l'esprit de la socio, d'en faire «en chambre», entre sociologues, sans en sortir. À mon avis, ce sont des informations assez fiables et critiques normalement, faites pour être diffusées (voir débattues). Que ça sorte un peu du commun comme format d'information, ce n'est pas mauvais en soi, sauf si ça en devient incompréhensible. M'enfin, si ça peut surprendre au premier abord, peut-être que face à d'autres informations du même type certains seront moins circonspects et plus aventureux après avoir digéré un peu ce type d'article. Pour être moins ;)
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