Journal Peter Saville et le nouvel ordre informatique

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26
nov.
2024

Sommaire

Pas de pulsar iconique comme il y a déjà trois ans, mais à nouveau une application GTK/Fortran liée au travail du graphiste Peter Saville au sein du label Factory Records et servant de prétexte à une vaste déambulation entre sub-culture, technologie, blues du lundi et prévention du suicide, guerre froide et ours polaires, jusqu’à aboutir à une destination inconnue de l’auteur lui-même. Notre e-madeleine pour faire revivre un monde disparu est une disquette iconique. Direction Manchester, oasis musicale !

LinuxFr.org

Un lundi bleu de 1983

Cette année-là, Peter Saville crée un code couleur qu’il utilisera chez Factory Records pour chiffrer des informations sur quatre pochettes. La première est celle de Blue Monday (mars 1983, numéro de catalogue FAC 73), le single 12", ou maxi 45 tours comme on dit en France, le plus vendu de tous les temps, sans promotion dans la plus pure tradition du label. Il souligne ainsi la modernité du morceau de New Order avec ce code énigmatique qui semble destiné à être lu par une machine.

Il faut dire que les lecteurs de codes-barres commencent tout juste à arriver dans les magasins. À l’époque, on colle encore sur chaque article en supermarché un prix autocollant. Les caissières tapent ces prix ou pour certains produits des codes qu’elles connaissent par cœur ou qu’elles consultent sur une fiche. Bien qu’on puisse faire remonter les codes-barres au brevet US2612994A déposé en 1949, ils sont utilisés pour la première fois en magasin en 1974 aux USA. On en parle d’ailleurs dans cette archive INA du salon SICOB 1974 à la minute 2:30 (les plus anciens reconnaîtront le jeune Michel Chevalet !). Ils arrivent dans les supermarchés français en 1980, comme on peut le voir sur cette autre archive INA, et il faudra encore du temps pour qu’ils se généralisent.

Mais la pochette de Blue Monday est surtout célèbre pour sa découpe en forme de disquette 5 pouces ¼, un support moderne (stockant typiquement 360 Ko) que Peter Saville découvre pour la première fois en passant au studio d’enregistrement. Remettons-nous dans l’époque. L’IBM PC est commercialisé en 1981, avec lecteur de floppy (disque souple) 5 pouces ¼. Après l’échec du Lisa lancé en janvier 1983, Apple sort son Macintosh en janvier 1984, avec disquettes 3 pouces ½. Supports modernes, car la plupart des possesseurs de 8 bits (ou d’ordinateurs de poche) se contentent d’un magnétophone à K7 audio (brevetée par Philips en 1963) pour stocker leurs programmes, cette même K7 que nous glissons dans nos baladeurs pour deux fois 45 minutes de plaisir. Écouter une K7 informatique donne une musique acide faite de bits plutôt que de beats, similaire à celle des futurs modems 56K des années 90. Cela faisait partie d’un paysage sonore aujourd’hui disparu, auquel participaient également le crépitement des imprimantes matricielles et les capacités sonores primitives des 8 bits.

Cette pochette d’origine de Blue Monday, avec ses découpes et ses couleurs, est trop chère à fabriquer et le disque est vendu à perte (chez Factory Records l’art passe avant l’argent). On parle bien sûr ici d’une pochette de vinyle, achetée, voire découverte, chez un disquaire, bien que les premiers CD débarquent en France la même année (1983). Le CD fascine par la qualité sonore, l’absence de craquements et un souffle quasiment inexistant, ce qui donne une dynamique incroyable. Par contre au niveau graphique, c’est exactement l’inverse, on passe d’une pochette de 33 tours ou de maxi 45 tours à une riquiqui pochette de CD qui n’invite plus vraiment à rêver. Bon, c’est trop compact mais toujours mieux qu’une pochette dématérialisée…

La vidéo d’origine de la chanson mêle essentiellement images guerrières (cette violence est de toute évidence une constante de ce monde), graphismes 8 bits et jeux vidéos d’époque. Une nouvelle vidéo officielle a été mise en ligne en 2020 sur la page YouTube du groupe. On y retrouve disquette et code couleur et, de façon amusante, on peut noter que le trou de contrôle de la disquette grise n’est pas situé en bas comme sur la pochette et suggère plutôt une disquette 8 pouces (mais de façon approximative). Ce trou sert à la fois au lecteur à repérer le début des secteurs et à contrôler la vitesse de rotation du support.

Côté musique, le disque est produit par les musiciens eux-mêmes. Le synthétiseur et la boîte à rythme sont commandés par un séquenceur Powertran 1024 Composer acheté en kit et assemblé par Bernard Sumner, désormais également chanteur (il en faut bien un). Mais relier la boîte à rythme s’avère difficile et un électronicien doit fabriquer un circuit ad-hoc. Rappelons que la norme MIDI n’est publiée qu’en août 1983. Qu’importe, le Do It Yourself est solidement ancré dans la culture punk de l’époque.

Rejoints par Gillian Gilbert (précédemment membre d’un groupe de filles punk), nos survivants, qui avaient déjà évolué du punk (Warsaw) au post-punk (Joy Division), achèvent avec ce titre leur mue vers la musique électronique et trouvent enfin leur nouvelle identité. Dans leur précédente formation, ils avaient après tout pour habitude de se mettre en condition avant chaque concert en écoutant le Trans-Europe Express de Kraftwerk (1977) et avaient commencé à utiliser les synthétiseurs dans certains morceaux dès 1980 (comme tant d’autres groupes). Non seulement leur producteur d’alors, Martin Hannett, était un féru de technologie, mais ils n’étaient pas en reste : d’après cette interview de 1983, Stephen Morris avait chez lui un Apple II et Bernard Sumner essayait de s’initier au langage Forth sur un ITT 2020 (un clone d’Apple II destiné au marché européen). Comme d’habitude, Kraftwerk a l’art de résumer l’époque en très peu de mots dans Heimcomputer / Home Computer (1981) : « Am Heimcomputer sitz’ ich hier / Und programmier’ die Zukunft mir » (la version anglaise exprime les choses légèrement différemment : « I program my home computer / Beam myself into the future »). Véritables dompteurs de la technologie balbutiante de l’époque, les quatre musiciens de New Order peuvent maintenant faire danser le public de The Haçienda (FAC 51), la boîte de nuit mancunienne qu’ils ont lancée avec Factory Records en mai 1982.

Le code couleur de Peter Saville

Dans ce code, les caractères disponibles sont uniquement les chiffres, les lettres de A à Z et l’espace. À l’exception de cette dernière codée par un octogone gris, tous les glyphes sont des carrés dont chaque moitié peut éventuellement avoir sa propre couleur. Les lettres A à I (qui partagent les mêmes glyphes que les chiffres 1 à 9) n’utilisent qu’une seule couleur, alors que les lettres de J à Z combinent deux couleurs différentes séparées par un liseré blanc.

L’album Power, Corruption and Lies (FACT 75) qui sort en mai 1983 n’inclut pas le titre Blue Monday : on ne fait pas payer deux fois un morceau (cela cessera malheureusement d’être le cas à partir de The Perfect Kiss en 1985). La basse mélodique de Peter Hook, les accords de guitare de Bernard Sumner et la batterie de Stephen Morris s’y fondent harmonieusement avec les instruments électroniques. Le recto de la pochette utilise un tableau de Henri Fantin-Latour représentant un panier de roses (1890) avec dans le coin en haut à droite le code couleur du numéro de catalogue (avec une petite entorse artistique pour coder le 75). Le verso comporte un disque bigarré présentant le code couleur utilisé, combinant ainsi classicisme et modernité dans un contraste marqué. Dans les faits, le mystère demeure, les lettres et chiffres n’étant pas indiqués ! Donc rien n’indique que ce disque très esthétique décrit un code. À l’époque pas de web pour chercher des infos, et les contenus des services Minitel nous auraient probablement peu aidés. C’est un peu Rencontres du troisième type. En fait, nous admirons l’œuvre plus que nous n’essayons de la comprendre…

Implémentation en Fortran

Ce qui a servi de prétexte à cet article ne sera finalement qu’un interlude. Mon implémentation en Fortran du code couleur de Saville est avant tout un simple exemple additionnel sous licence MIT pour le projet gtk-fortran. L’interface graphique utilise GTK 4 et les glyphes sont dessinés avec la bibliothèque graphique Cairo :

Application Saville Code

Ce projet était également l’occasion de m’initier aux bases de la programmation orientée objet (POO) en Fortran. Certains utilisateurs de Fortran restent méfiants, à tort ou à raison, vis-à-vis de la POO par peur de perdre en vitesse de calcul. On optimise notre code pour gagner quelques pourcents par ci, quelques pourcents par là, alors… Et si l’on n’utilise que des petits modèles de quelques milliers de lignes tout au plus, on peut très bien se passer d’une structuration en objets. La présente application, hobby nostalgique sans aucun enjeu de performance, était donc un terrain de jeu idéal.

La POO a été introduite dans la norme Fortran 2003 (norme majeure, le nombre de pages du document bondissant de 55 %). La norme Fortran 90 avait auparavant introduit entre autres choses le découpage du code en modules contenant chacun données et routines, les attributs public et private, ainsi que les types dérivés (structures), par exemple :

type personne
    character(30) :: prenom
    integer :: age
    real :: poids
end type

Originalité du Fortran qui agace certains, on accédera à une des variables non pas avec un point mais avec le caractère %, par exemple : musicien%prenom.

Fortran 2003 a étendu ces types dérivés qui peuvent désormais contenir aussi des fonctions et procédures, appelées indistinctement dans la nomenclature de la norme Fortran des « procédures liées au type » (type-bound procedures). Par exemple, la classe Glyph est définie ainsi au début de son module :

    type :: Glyph
        character   :: name
        type(Color) :: left
        type(Color) :: right
        logical     :: separator = .false.
    contains
        procedure :: set
        procedure :: print
    end type Glyph

Chaque glyphe est donc défini par son nom (le graphème qu’il représente graphiquement, par exemple un N), les couleurs de ses moitiés gauche et droite (codées en CMYK dans une classe Color) et la présence ou non d’un liseré blanc entre les deux.

La classe Charac ci-dessous hérite de la classe Glyph grâce à l’attribut extends (apporté également par Fortran 2003). Elle possède des coordonnées x et y, une largeur en pixels et un contexte Cairo (via un pointeur C). La méthode print_charac() redéfinit celle de la classe Glyph.

    type, extends(Glyph) :: Charac
        real(dp)    :: x, y
        real(dp)    :: width
        type(c_ptr) :: cr
    contains
        procedure :: draw
        procedure :: print=>print_charac
    end type Charac

Dans la déclaration d’une méthode, on va retrouver le classique argument self (ou this) :

    subroutine draw(self)
        class(Charac), intent(inout) :: self
        ...

Il n’est pas déclaré à l’aide de type(Charac) mais de class(Charac), ce qui permet éventuellement de passer aussi un objet d’une classe étendue. C’est alors une « entité polymorphique » dans la nomenclature de la norme.

Notez également qu’une classe peut être abstraite (attribut abstract). Mais mes compétences sont pour l’instant très limitées et je n’irai pas plus loin. Alors si vous voulez tout savoir sur l’usage des pointeurs de procédure pour aboutir à un style de programmation orientée prototype, ou sur les variables polymorphes illimitées, je vous renvoie au livre d’Arjen Markus intitulé Modern Fortran in Practice (2012), qui comporte un chapitre explorant ces sujets. D’ailleurs, la plupart des livres qui ont l’expression Modern Fortran dans leur titre ont un chapitre sur la POO.

Il est temps de déguster à nouveau un bout de madeleine pour faire passer cet interlude polymorphique et revenir à nos moutons électriques.

Les Enfants du rock

Pas de web bien sûr dans les années 80. La loi n° 81-994 du 9 novembre 1981 PORTANT DEROGATION AU MONOPOLE D’ETAT DE LA RADIODIFFUSION (RADIOS PRIVEES LOCALES) vient tout juste de libérer la bande FM. Côté TV, on n’a que TF1, Antenne 2 et FR3 jusqu’à ce que débarque Canal+ fin 1984. L’adolescent peut quand même regarder Temps X des frères Bogdanoff sur TF1 pour rêver aux futurs (jugés) possibles. Ou aux bases lunaires avec la série Cosmos 1999 et à la conquête de Mars en regardant l’adaptation des Chroniques Martiennes avec Rock Hudson. Et on est en droit de rêver : l’énorme navette spatiale Columbia décolle le 12 avril 1981 et revient deux jours plus tard se poser comme un planeur. Les deux sondes Voyager visitent Saturne en 1980 et 1981.

On se tient au courant de l’actualité musicale avec en particulier Les Enfants du rock sur Antenne 2. Sa section Rockline produite par Bernard Lenoir débute par un générique légendaire mêlant images so british et culture rock, avec comme bande son le morceau Confusion de New Order (sorti en août 1983 et ne figurant bien sûr pas non plus sur l’album). Comme on peut le voir sur la vidéo officielle, la chanson est enregistrée à New York puis testée dans la foulée en boîte de nuit. La pochette du disque comporte à nouveau quelques glyphes colorés en haut à droite (FAC), un énorme 93 (l’œuvre est cataloguée FAC 93) et un titre aux lettres pixelisées et confuses.

Peter Saville utilise une dernière fois son code couleur en mars 1984 sur la pochette de l’album From the Hip (FACT 90) de Section 25, un groupe toujours actif resté dans l’ombre de leurs encombrants camarades de Joy Division / New Order (l’album est d’ailleurs produit par Bernard Sumner, d’où l’utilisation du code couleur). Pas de glyphes cette fois-ci mais des poteaux aux sommets colorés qui sont disposés dans un paysage du Pays de Galles et codent quelques informations.

Helping people end their misery, not their lives

Une dernière fois ? Pas tout à fait. Les tragédies marquent à vie. En 2022, lors de leur intervention au Parlement, Stephen Morris et Bernard Sumner avaient déclaré :

« You were told in those days that [suicide attempts] were a cry for help, but that’s not really the case. It’s as serious as hell and should be taken seriously. »

Le lundi 16 janvier 2023, juste avant de fêter les 40 ans du morceau, New Order et Peter Saville mettent en vente un T-shirt Blue Monday au profit de l’association caritative CALM (Campaign Against Living Miserably) qui travaille sur la prévention du suicide (« Helping people end their misery, not their lives »). Le T-shirt noir comporte juste trois groupes de deux glyphes colorés séparés par deux octogones. Le déchiffrage donne 16 01 23, une date choisie pour toucher un large public, faisant référence à la campagne publicitaire d’une agence de voyage en 2005 qui prétendait avoir calculé scientifiquement que le troisième lundi de janvier est le jour le plus déprimant de l’année, le Blue Monday (l’expression est néanmoins bien antérieure, voir les notes finales).

La version 2024 du T-shirt est un peu plus explicite, le code couleur chiffrant « CALM 2024 » étant surplombé en toutes lettres de la question ouvrant la chanson : « How does it feel? ». Car comme le rappellent les membres de New Order, en utilisant prudemment le conditionnel : « Starting a conversation with somebody could be the most important conversation that person ever has. It could be life-changing. »

A new order of intelligence

Changer la vie est un des objectifs des pionniers de la micro-informatique dans les années 70. L’Altair 8800 est l’un des premiers micro-ordinateurs commercialisés (en kit). C’est pour cette machine que la start-up Microsoft distribue son premier logiciel, l’Altair BASIC (1975), écrit par Bill Gates et Paul Allen.

Dans le film Wargames (1983), le héros est un jeune hacker possédant un clone de l’Altair, l’IMSAI 8080. Il s’en sert non seulement pour se connecter aux ordinateurs de l’école et modifier ses résultats scolaires, mais il manque aussi de déclencher une troisième guerre mondiale en se connectant à un ordinateur de la Défense et en croyant avoir accès à un jeu. L’année précédente, dans le film Tron, le héros, programmeur de jeux vidéos, cherche à s’introduire dans le système informatique de son ancien employeur, système protégé par une IA devenue autonome qui le numérise et l’expédie au sein de l’ordinateur. Mais on retiendra surtout du film ses graphismes générés par ordinateur, technique novatrice à l’époque.

Rappelons toutefois que dans la première moitié des années 80, les foyers possédant un micro-ordinateur sont rares, et encore plus ceux équipés d’un modem. La télématique, comme on dit alors, c’est en France le domaine du Minitel, dont le déploiement a commencé en 1982.

En 1984, alors que l’on célèbre Orwell, William Gibson publie son roman cyberpunk Neuromancien, à nouveau une histoire de hacker, où l’on retrouve à la fois l’IA, la matrice et le cyberespace (terme très commun dans les années 90) :

Cyberspace. A consensual hallucination experienced daily by billions of legitimate operators, in every nation, by children being taught mathematical concepts… A graphic representation of data abstracted from banks of every computer in the human system. Unthinkable complexity.

Mais bien que la micro-informatique soit en pleine explosion à l’époque, c’est finalement plutôt les robots au sens large qui prédominent dans l’imaginaire :

  • les cyborgs (hommes réparés ou augmentés) comme dans la série TV l’Homme qui valait trois milliards (1973-1978) ;
  • les robots de combat géants pilotés par des humains (Goldorak, 1975), chers aux Japonais ;
  • les robots proprement dits comme dans la trilogie originale de Star Wars (1977-83) ;
  • les androïdes (robots ressemblant à des humains) comme dans Blade Runner (1982) : « Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie. » Ou dans Alien (1979) avec le personnage d’Ash qui a reçu pour instructions de ramener à tout prix le spécimen sur Terre, quitte à sacrifier l’équipage : « All other considerations secondary. Crew expandable. »

Il est certain que l’informatique renouvelle l’antique fantasme de l’homme devenant à son tour créateur, mais on peut aussi penser que le robot, être animé, permet d’assurer plus facilement le spectacle au cinéma, dans les séries TV, les dessins animés, les jeux vidéos, le monde du jouet, etc. Et il faut donc peut-être tout le talent et le génie d’un Kubrick pour faire d’un simple ordinateur un personnage inoubliable.

Parmi les films les plus marquants de la première moitié des années 80, on retiendra en particulier :

  • Blade Runner (1982), cette adaptation du livre Do Androids Dream of Electric Sheep? de Philip K. Dick, avec l’envoutante musique électronique de Vangelis. Déjà en 1979, Gary Numan, fan de K. Dick, chantait dans le morceau Are ‘Friends’ Electric? de son album Replicas que son « amie » électrique était tombée en panne et qu’il n’avait plus personne à aimer. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment de la science-fiction et la chanson n’a pas perdu de sa puissance.
  • Terminator (1984), dans lequel l’IA Skynet est devenue consciente : « They say it got smart, a new order of intelligence. » Alors qu’on essaie de la désactiver, elle déclenche une guerre nucléaire pour se débarrasser de l’humanité et en 2029 essaie d’exterminer la résistance via ses robots.

No future (with the Neutron bomb)

À propos du Manchester industriel de son enfance, Bernard Sumner écrit :

« Vous étiez tout le temps en train de chercher la beauté parce que c’était un endroit tellement laid […] Je veux dire, je ne pense pas avoir vu un arbre avant l’âge de neuf ans. J’étais entouré d’usines et de rien de joli, rien. Ça vous donnait un incroyable désir pour les choses qui sont belles ».

Un des fanzines de Manchester s’intitulait City Fun (pas de PAO sur micro-ordinateur à l’époque, les fanzines sont des publications fabriquées à la main : machine à écrire, ciseaux, colle, photocopieuse et enfin envoi postal). Liz Naylor, adolescente de quinze ans et future journaliste, avait écrit un texte intitulé No City Fun qui sera le point de départ du court-métrage (FAC 9) du même nom filmé en Super 8 par Charles Salem (vingt ans) et qui donne un bon aperçu de Manchester en 1979 et de l’ambiance de l’époque. Juste avant le générique de fin, à l’instant t=11:45 apparaît ainsi dans une rue cet inquiétant panneau d’affichage de The Religious Society of Friends (Quakers) : « No future with the Neutron bomb. The dead need no homes ». La Troisième Guerre mondiale et l’hiver nucléaire sont effectivement des thèmes pesants. En 1980, le groupe Orchestral Manoeuvres in the Dark exorcise la peur en chantant Enola Gay sur un ton enjoué : « Enola gay, is mother proud of little boy today? ». La pochette est de Peter Saville. Pour son quarantième anniversaire, le souvenir de la guerre s’éloignant, il a apparemment semblé nécessaire de modifier la photo d’origine pour rendre le titre plus explicite. En 1983, Reagan lance le projet de guerre des étoiles. Quant à moi, je joue à Missile Command (1980 en arcade et 1981 pour la console Atari VCS/2600) et je dézingue des ICBM sur la télé (cathodique) pendant que les successeurs de Brejnev les regardent défiler sur la place Rouge. En 1984, le groupe allemand Alphaville chante un Forever Young mélancolique : « Hoping for the best, but expecting the worst / Are you gonna drop the bomb or not? ». Il faut dire que le film The Day After venait de sortir. En 1985, dans son premier album solo, Sting pose la question : « How can I save my little boy / From Oppenheimer’s deadly toy? » et choisit l’espérance : « Believe me when I say to you / I hope the Russians love their children too », sur une romance de Prokofiev. Synchronicité, le scénario du film soviétique dont est tiré ce morceau, Le Lieutenant Kijé (1934), débute par un bogue qui, la technologie en moins, est similaire à celui du Brazil (1985) dystopique et totalitaire de Terry Gilliam.

Je voudrais être un ours polaire

Orchestral Manoeuvres in the Dark a sorti son premier single Electricity (FAC 6) en 1979 chez Factory Records. La première version est produite par Martin Hannett, mais ils n’en sont pas satisfaits et quitteront le label. La pochette est conçue par Peter Saville, qui utilise les notations dont le groupe se sert pour noter sa musique électronique. Quant aux paroles, elles parlent du gaspillage d’énergie dans la société moderne et se termine par le couplet suivant :

The chance to change has nearly gone
The alternative is only one
The final source of energy
Solar electricity

1979, c’est le deuxième choc pétrolier. Le premier Mad Max décrit alors une société en cours d’effondrement. Et en France, c’est l’année de la chasse au Gaspi, un bonhomme rose avec un entonnoir sur la tête.

La première grande prise de conscience écologique a lieu dans les années 70 : le rapport Meadows The Limits to Growth date de 1972. Le film Soleil vert (1973) décrit New York en 2022 dans un monde où quasiment toutes les ressources naturelles sont épuisées et où l’atmosphère est étouffante. En 1976, le jeune Jean-Michel Jarre sort son légendaire album Oxygène avec sa non moins légendaire pochette, une oeuvre de Michel Granger criante d’actualité. Dans les années 80, le changement climatique n’est pas encore sensible. Il faut dire que la pollution atmosphérique atténue un peu le rayonnement solaire en Europe. D’une part, on ne fait pas d’efforts et d’autre part on n’a pas encore délocalisé nos industries et leurs pollutions à l’autre bout du monde. C’est plutôt les pluies acides et le trou dans la couche d’ozone qui inquiètent alors. Le groupe suisse Grauzone fondé par Martin Eicher (rejoint par son frère Stephan qui n’a pas encore commencé sa carrière solo) peut donc, sans que cela sonne faux, chanter dans Eisbär (1981) : « Ich möchte ein Eisbär sein / Im kalten Polar / Dann müsste ich nicht mehr schrei’n » (Je voudrais être un ours polaire / Dans le froid polaire / Alors je n’aurais plus à crier).

Quarante-quatre ans après Electricity, les fondateurs d’Orchestral Manoeuvres in the Dark ne semblent pas particulièrement convaincus par l’évolution du monde pendant toutes ces années. L’album Bauhaus Staircase sorti en 2023 comporte un morceau intitulé Anthropocene qui se termine par ces lignes prononcées par une IA :

Ten years before now
Global human population is seven billion
One million years after now
Global human population is

Zero

Ce qui n’a pas de prix

Dans un premier temps, la prédiction semble bien sombre. Puis on finit par s’interroger sur le choix, qu’on peut aussi juger bien prudent, de cette durée d’un million d’années. C’est certes court à l’échelle géologique, mais la parenthèse est non négligeable. En tout cas, si tout ce qui a un début a une fin, l’éternelle question est alors : qu’est-ce qu’on fait dans l’intervalle ?

Chacun y répond à sa façon. Cette série de deux articles était probablement motivée par l’interrogation suivante : que s’est-il passé à Manchester à l’articulation des années 70 et 80 ? Dans la grisaille de la ville, de jeunes gens comme les membres de New Order ou Peter Saville avaient soif de beauté et ont choisi de consacrer leur parenthèse à en créer. L’entreprise Factory Records n’était bien sûr pas destinée à faire long feu avec son fonctionnement proche du chaos organisé. Mais le succès de New Order, et également celui des Happy Mondays, lui ont quand même permis de durer 14 ans. Si la parenthèse fut courte (1978-1992), elle fut néanmoins intense et permis à de nombreux groupes de créer leur musique en toute liberté.

Dans le magazine tangente — l’aventure mathématique n° 219 (sept.-oct. 2024), je lisais récemment un extrait d’un entretien réalisé avec le musicien malgache Justin Vali, qui s’est prêté à une expérimentation avec le logiciel d’Improvisation Artificielle Djazz :

« Le problème pour les êtres humains, c’est qu’ils n’ont pas assez étudié. Ils ont étudié seulement pour que la technologie fasse le maximum pour être plus forts, ils ont étudié ce qu’il faut pour être le plus fort. C’est pour cela que j’aime bien notre métier en tant que musicien. Nous, on étudie la musique, on essaie de faire de la recherche pour donner du bonheur au public, pour l’équilibre de la nature. Les êtres humains font tout pour la concurrence, même si cela brise les étapes et les lois de la nature, ils le font quand même. […] Si tout le monde utilisait les technologies pour la musique, ce serait mieux ».

Mais je laisserai l’écrivaine Annie Le Brun (1942-2024), la dernière du groupe des surréalistes, conclure avec ces paroles tirées de cet entretien : « La beauté vive est comme une porte de sortie sur l’utopie. »

Notes

  • L’expression Blue Monday est ancienne. Je découvre par exemple qu’un Smiley Lewis a enregistré en 1953 un rhythm ’n’ blues intitulé Blue Monday : « Blue Monday, how I hate Blue Monday, Got to work like a slave all day » (en 1964, la chanson A Hard Day’s Night des Beatles utilisera à peu près les mêmes thèmes). C’est également le titre original d’un opéra jazz en un acte composé en 1922 par le jeune George Gershwin, et où le lundi, jour de retour au travail, est à nouveau accusé de tous les maux. D’après Wikipedia, l’expression daterait du début du XIXe siècle.
  • On peut aussi se remettre dans l’ambiance des années 80 avec la vidéo d’Eighties du groupe Killing Joke (1984). « Push push, struggle ». Quant au célèbre riff, on peut encore remonter deux ans en arrière avec le titre Life Goes On de The Damned.

Bibliographie

  • # petit pinaillage !

    Posté par  (Mastodon) . Évalué à 2 (+0/-0).

    Ce trou sert à la fois au lecteur à repérer le début des secteurs et à contrôler la vitesse de rotation du support.

    Non, ce trou (le trou d'index) ne sert pas à repérer le début des secteurs, mais le début de la piste. Le repérage des secteurs est encodé dans la piste magnétique. C'est une disquette soft-sectored.

    Quand on a un trou qui repère le début des secteurs, c'est du hard-sectored, et ce trou est toujours accompagné du trou d'index. À ma connaissance, cette technique à deux trous n'a été utilisé que sur les crêpes de huit pouces.

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