Sommaire
Après une longue éclipse, depuis quelques années je me remets petit à petit à m'intéresser à la science-fiction côté littérature. J'ai en particulier découvert récemment la revue Bifrost aux Éditions du Bélial'. Sur ses 200 pages, outre environ un tiers de nouvelles et des critiques littéraires, elle propose un dossier d'une cinquantaine de pages généralement consacré à un auteur ou parfois à un thème comme ici dans le numéro 113 du 25 janvier 2024 : « Intelligence artificielle : le futur rêve-t-il toujours de moutons électriques ? »
La revue
La revue est trimestrielle et fêtera ses 30 ans en avril prochain. On en parle d'ailleurs sur LinuxFr en juillet 1999 car la nouvelle « Averse cosmique » de Jean-Jacques Nguyen publiée dans Bifrost n°13 évoque « Linus (…) cet étudiant finlandais de la fin du XXe siècle qui avait créé le premier système d'exploitation libre, Linux », ainsi que Richard Stallman. Dans la grande tradition de la SF et de la fantasy, la couverture offre une belle illustration créée par un humain. La revue est disponible à la fois en abonnement papier et en PDF (deux fois moins cher et sans DRM). A noter que les critiques littéraires sont toutes accessibles gratuitement en ligne. Et la revue dispose également de son blog.
Bifrost est « la revue des mondes imaginaires ». Le nom est intrigant et Wikipedia nous apprend que « le Bifröst (« chemin scintillant ») est, dans la mythologie nordique, l'arc-en-ciel qui fait office de pont entre la Terre (Midgard) et le Ciel (Ásgard, la ville-forteresse des dieux). Il est dit qu'il possède uniquement trois couleurs. » La page anglaise est beaucoup plus disserte et indique qu'il pourrait aussi s'agir de la Voie Lactée, ou d'aurores boréales, ce qui serait cohérent avec le nombre restreint de couleurs et le caractère nordique.
Revenons à nos moutons
La rubrique Au travers du prisme (référence au Bifröst) du numéro 113 nous propose donc un dossier consacré à l'intelligence artificielle. Avec tout d'abord un classique historique de la littérature liée au sujet dans un article intitulé « Les enfants de Vaucanson », en référence à ses automates. Puis l'auteur de « Les super-ordinateurs : mais pourquoi sont-ils si méchants ? » aborde les choses du côté cinématographique.
Dans « IA : l'essence de l'Art(Ificiel) », on interviewe deux illustrateurs, un rédacteur-en-chef et un écrivain, tous bien sûr liés à la SF. On y parle bien sûr des problèmes de droits d'auteur ou de remplacement des créateurs, mais certains utilisent l'IA pour tester des idées et aimeraient bien pouvoir injecter toutes leurs œuvres dans un outil qui les aiderait à travailler. Neil Clarke, l'éditeur de Clarkesworld (mensuel en ligne dont les nouvelles, en Anglais, sont en accès libre), semble dépité de recevoir désormais autant de textes générés par IA que de texte d'auteurs… La seule chose qui l'intéresserait dans l'IA, ça serait de pouvoir l'utiliser pour détecter automatiquement ce spam avec fiabilité. Enfin, l'auteur Chinois Chen Qiufan s'y connaît en IA, il a travaillé chez Baidu et Google China avant de se lancer dans l'écriture. Il a même créé sa propre IA nourrie de ses œuvres et a obtenu un prix pour une nouvelle coécrite avec son outil. Il conclut ainsi cette intéressante entrevue : « Les mauvais copient, les bons créent. » Pour le malicieux Bifrost, Chen Qiufan est l'homme qui aime les IA, alors que Neil Clarke est l'homme que les IA aiment !
Dans « Les langages de l'intelligence artificielle : robots mutiques et chatbots verbeux, comment s'y retrouver ? », Frédéric Landragin, directeur de recherche au CNRS, nous parle de l'IA symbolique et de l'IA statistique, d'états mentaux et d'actes de langage directs. Il donne des exemples en se basant sur des dialogues avec C-3PO ou le Terminator T-800 et nous démontre à quel point ce dernier maîtrise les subtilités du langage humain en se fendant d'un « Va te faire foutre, connard ! » (Fuck you, asshole!) pour éloigner un homme de ménage trop curieux qui s'inquiète de l'odeur derrière la porte. La repartie a été choisie de façon optimale, l'objectif est atteint. C'est également un bel exemple d'apprentissage, le T-800 l'ayant entendue au début du film.
Dans l'article « Intelligence artificielle et science-fiction : une bibliothèque idéale », douze livres nous sont proposés, dont seulement trois antérieurs aux années 90. Intéressant pour ceux, qui comme moi, ont manqué pas mal d'épisodes.
Le dossier se termine par le texte très optimiste d'Ada Palmer « Nous sommes une espèce de la révolution de l'information », qui se termine par cette remarque judicieuse : « La seule route assurée vers une réelle dystopie est de se convaincre que celle-ci est inévitable, et d'échouer à essayer quelque chose de mieux. »
Les quatre nouvelles qui précèdent ce dossier tournent également autour de l'IA, mais je ne voudrais pas spoiler. Déjà que l'IA commence à te gâcher ton plaisir de programmer et de travailler… Et puis je voudrais bien retourner à ma lecture. Vite, générons une chute.
Les affreux d'la création
La dernière page de la revue, intitulée « This is the end… » (my only friend ?) et listant les informations légales, n'hésite pas à verser dans l'humour geek. Florilège :
Dépôt légal : janvier 2024 (ère COVID année 5)
Les documents non sollicités sont mangés par les stagiaires. (Pensez à eux !)
Quiconque lit la présente ligne devrait se demander si elle n'a pas été rédigée par ChatGPT…
Mise en abyme : idem pour ce journal, lecteur, idem… Quant à moi, peut-être que je m'adresse à un algorithme (va-t'en savoir de nos jours) ou que nous vivons tous dans une simulation. En réalité, j'ai un peu d'empathie pour toi, lecteur, (à moins que je ne simule) et si tu doutes, tu trouveras un peu de réconfort dans ce passage du dialogue inachevé Recherche de la vérité par les lumières naturelles de Descartes :
Je suis bien de votre avis, Épistémon, qu’il faut savoir ce que c’est que le doute, ce que c’est que la pensée, avant d’être pleinement convaincu de la vérité de ce raisonnement, Je doute, donc je suis ou, ce qui revient au même, Je pense, donc je suis.
Pour aller plus loin
- J'ai des doutes : https://genius.com/Serge-gainsbourg-hmm-hmm-hmm-lyrics
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Bifrost_(revue)
- Une autre présentation du n°113 : https://rsfblog.fr/2024/10/19/bifrost-113/
- Ada Palmer, « We are an information revolution species », 30 mai 2023, In: Eric Horvitz (ed.), AI Anthology.
- De superbes illustrations SF générées par de vrais Zumains : https://clarkesworldmagazine.com/artgallery/
- La scène de Terminator 1 : https://www.youtube.com/watch?v=IsyKCdOAIxE (sorry angel, pas trouvé ailleurs pour la VF…). En VO, le ton me semble un peu plus mécanique.
Maintenant, ouvre le bal, lecteur, déballe tes dernières lectures SF !

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