Journal La thèse de Jean Gastinel: conception et intégration d'un terminal alphanumérique (1977)

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5
14
mar.
2025

Aujourd'hui on va faire un peu d'archéologie informatique.

Je me suis penché il y a quelques temps sur l'histoire des circuits de génération vidéo utilisés dans le minitel. Il s'agit des composants TS9367, EF9566 ou EF9365. Ces troix sont des versions simplifiées d'une génération précédente qui nécessite deux composants: EF9340 et EF9341.

Ils sont tous fabriqués par Thomson Semiconducteurs (qui deviendra ensuite ST Microelectronics suite à sa fusion avec SGS) ou Thomson EFCIS (ce qui explique le préfixe EF).

Je me suis interrogé sur la provenance de ce circuit. Il présente des fonctionnalités assez avancées (caractères redéfinissables, décompression du flux de caractères, …) y compris des fonctions qui ne sont même pas utilisées par le Minitel.

Pourquoi Thomson s'est-il lancé dans la conception d'un tel circuit? Est-ce que c'était une commande spéciale des concepteurs du minitel? Par exemple, je sais que le circuit EF9369 (gestion d'une palette de 16 couleurs parmi 4096) était à l'origine un développement spécifique pour le Thomson TO9, mais que ensuite il a été mis en vente pour d'autres utilisations.

En cherchant un peu, j'ai découvert l'existence d'une autre série de circuits de chez Thomson. Il s'agit des EF9365 et EF9366. Ces derniers sont plus anciens (autour de 1978) et ne se limitent pas à des capacités alphanumériques. Ils proposent le tracé de lignes accéléré par le matériel, ce qui en fait peut-être les tout premiers GPUs intégrés (il existait déjà des solutions d'affichage graphique, mais pas sous forme d'un composant unique).

Ces deux derniers sont assez bien documentés. Nous avons non seulement les documentations techniques, mais aussi la thèse de Philippe Matherat qui les a conçus. Il s'agissait alors de remplacer les coûteux écrans Tektronix 4010 par de simples postes de télévision beaucoup moins chers.

Mais, dans cette famille, il y a encore un autre composant, le EF9364. C'est le tout premier de la famille et il propose un affichage en mode texte de 64x16 caractères. Pour ce composant, difficile de trouver de la documentation. Après avoir un peu fouillé les internets, j'ai fini par comprendre qu'il avait d'abord été commercialisé par la SESCOSEM (fusion des entreprises SESCO et COSEM, qui sera elle-même plus tard intégrée dans Thomson) sous la référence SF.F 96364 (pas facile tous ces changements de numéro).

La conception de composant date de 1976. À la même époque, Steve Wozniak est en train de concevoir l'Apple I et le Xerox PARC travaille sur la deuxième génération d'interpréteurs Smalltalk sur le Xerox Alto. C'est donc plutôt au tout début de la micro informatique, et il semble y avoir assez peu de composants existants avec des capacités similaires.

On trouve bien sûr déjà des terminaux permettant d'afficher du texte sur un écran, mais ils sont réalisés à partir de centaines de composants. Comment et pourquoi la SESCOSEM a eu l'idée de se lancer dans ce projet?

En lisant la th`se de Philippe Mathérat, j'ai vu qu'il parlait du travail d'un de ses collègues ou prédecesseurs, Jean Gastinel, qui avait vraissemblablement travaillé sur la conception de ce composant. Mais sa thèse n'était trouvable nulle part sur Internet. La seule façon d'y accéder est de consulter l'original.

Je me suis donc inscrit à la bibliothèque universitaire la plus proche de chez moi et leur ai demandé de me prêter ce document (grâce au système de prêt entre bibliothèques). Je n'ai pas été déçu par ma lecture.

Cette thèse présente non seulement la conception logique du composant, mais aussi:

  • la technologie de réalisation des circuits intégrés (MOS canal N à triple implantation)
  • la façon dont le composant a pu être réalisé plus rapidement à l'aide de "briques" réutilisables qu'on peut copier-coller, avec l'idée plus tard de réaliser un compilateur pour automatiser cette étape
  • et aussi, de quelle fçon ce composant pourrait être utilisé.

L'idée du Minitel est déjà là. Il s'agit de se connecter à distance à des gros ordinateurs centralisés, à l'aide d'un terminal simple et peu coûteux. Le composant est donc prévu pour pouvoir s'associer directement à un modem et à un écran de télévision et un clavier ASCII. Le résultat est un boîtier contenant seulement 13 composants.

Les cas d'usage sont aussi déjà envisagés: consulter des horaires de train à distance, par exemple.

(Il faut mentionner qu'un service similaire existait déjà: le système TIC-TAC, qui permettait de se connecter à distance à un ordinateur pour accéder à l'aide d'un téléphone et d'un téléviseur à… une calculatrice. Projet qui a été mis en sommeil avec l'arrivée de calculatrices de poche bien plus simples à mettre en oeuvre).

L'histoire ne se déroulera pas tout à fait comme l'imaginait Jean Gastinel. Aujourd'hui, nous avons tous dans notre poche un ordinateur bien plus puissant que ce qu'il imaginait. Même pour le Minitel, la version qui sera commercialisée comportera un microprocesseur, permettant de faire quelques opérations logicielles en local dans le terminal.

Le composant EF9364 trouvera tout de même sa place auprès des premiers bricoleurs de micro ordinateurs ainsi que des radio amateurs. On peut citer par exemple l'Elekterminal du magasine Elektor ou les premières machines de SMT Goupil. Et, bien sur, le composant utilisé dans le Minitel prendra plus tard également place dans le Videopac+, le VG5000 et le Matra Alice, de belles réussites de la micro informatique Française. Les choses auraient donc été bien différentes sans cette thèse.

J'ai recopié tout le texte et numérisé les images si vous souhaitez la consulter. Il ne sera ainsi plus nécessaire de déranger l'original.

Je vous laisse avec le lien vers le texte complet de la thèse:

Jean Gastinel - Conception et intégration d'un terminal alphanumérique

Bonne lecture!

  • # Une petite mine d'or…

    Posté par  . Évalué à 2 (+0/-0).

    Merci infiniment pour ce travail de recherche et pour le partage. Étant exactement de la même époque, je n'aurais pas espéré retrouver moi-même ces documents d'époque.

    Je m'empresse de la lire.

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