Comment l’archéologie entre progressivement dans l’ère du logiciel libre

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26
juin
2024
Technologie

L’archéologie est un domaine qui, depuis ses débuts, s’attache au catalogage, à la structuration et l’archivage de données issues de fouilles. Sur le terrain, elle a longtemps reposé sur la création de fiches, la collecte manuelle d’information sur papier, et le dessin à la main, retranscrit lors des phases d’étude sur support numérique. Ce n’est que récemment que certains archéologues ont lancé le mouvement de la fouille « tout numérique ». Je vous propose de raconter ici l’histoire de la numérisation de l’archéologie, qui, comme vous allez le voir, repose en partie sur le logiciel libre.

Sommaire

Qu’est-ce qu’un chantier de fouilles ?

L’archéologie française se divise en deux branches principales : l’archéologie préventive, qui intervient lors de projets de construction, et l’archéologie programmée, menée sur des sites choisis pour répondre à des problématiques de recherche. Supervisées par les Services Régionaux de l’Archéologie du Ministère de la Culture, ces activités sont réalisées par différents organismes : opérateurs publics et privés pour l’archéologie préventive, et associations, CNRS ou universitaires pour l’archéologie programmée. Cette dernière mobilise souvent des bénévoles, notamment des étudiants, leur offrant une formation pratique complémentaire.

Pour l’archéologue, la fouille est un outil, et non un but en soi. Ce que l’archéologue cherche, c’est de l’information. En substance, il s’agit de comprendre l’histoire d’un site, son évolution, ses habitants à travers les éléments qu’ils ont laissés derrière eux, que ce soit les ruines de leurs habitats, de leurs activités artisanales ou leurs sépultures. Ceci est d’autant plus important que la fouille est un acte destructeur, puisque l’archéologue démantèle son sujet d’étude au fur et à mesure de la fouille.

Pour être exploitée, l’information archéologique doit être organisée selon des principes bien établis. Le premier concept clé est la couche sédimentaire (Unité Stratigraphique - US), qui témoigne d’une action humaine ou d’un phénomène naturel. L’étude de l’agencement de ces couches révèle la chronologie du site, la succession des évènements qui s’y sont déroulés. Ces couches peuvent être regroupées en faits archéologiques : fossés, caves, sépultures, sont en effet des regroupements de couches qui définissent un élément spécifique. Enfin, les objets trouvés dans ces couches, ou mobiliers, sont catalogués et identifiés par leur couche d’origine, fournissant des indications chronologiques et culturelles cruciales.

chantier mastraits
Le chantier de fouilles de la Nécropole des Mastraits, à Noisy-le-Grand (93).

Les actions menées par l’archéologue tout au long du chantier sont également enregistrées. En effet, l’archéologue procède à des sondages, réalise des tranchées, mais fait aussi de nombreuses photos, ou des dessins de tout ce qu’il découvre au fur et à mesure de l’avancement du chantier. La documentation produite peut être pléthorique, et un catalogage indispensable.

Cette information descriptive est complétée par une information spatiale, le plan des vestiges mis au jour étant essentiel pour l’analyse et la présentation des résultats. L’étude de ce plan, associée aux informations descriptives et chronologiques, met en évidence les grandes évolutions du site ou des détails spécifiques. Sa réalisation est généralement confiée à un topographe en collaboration avec les archéologues.

À l’issue de la phase de terrain, une phase d’analyse des données collectées est réalisée. Cette phase dite de post-fouille permet de traiter l’ensemble des informations recueillies, d’en réaliser la description complète, d’effectuer les études nécessaires à la compréhension du site en faisant appel à de nombreux spécialistes : céramologues, anthropologues, archéozoologues, lithiciens, carpologues, anthracologues, spécialistes de la paléométallurgie, etc.

Cette phase de post-fouille aboutit dans un premier temps à la réalisation d’un rapport d’opération, compte rendu le plus exhaustif possible du site et de son évolution. Ces rapports sont remis au ministère de la Culture qui en juge la qualité. Ils ne sont pas destinés à être largement diffusés, mais sont normalement accessibles à toute personne qui en fait la demande auprès de l’administration concernée. Ils sont une base de travail importante pour l’ensemble de la communauté scientifique.

Sur la base de ce rapport, la publication d’articles dans des revues spécialisées permet de présenter les résultats de l’opération plus largement, parfois en fonction de certaines thématiques ou problématiques spécifiques.

Pratique de l’archéologie : exemple dans le préventif

L’utilisation de très nombreux listings papier est une constante. Ces listings permettent de tenir à jour l’enregistrement de la donnée sous forme de tableaux d’inventaire des couches, des faits, des sondages, des photos, etc. Des fiches d’enregistrement spécifiques sont également utilisées dans de nombreuses spécialités de l’archéologie, telle que l’anthropologie funéraire.

Sur le terrain, les éléments mis au jour sont encore pour une très grande majorité dessinés à la main, sur papier calque ou millimétré, qu’il s’agisse d’un plan de vestiges ou des nombreux relevés de coupe stratigraphique. Ceci demande bien entendu un temps important, en particulier en cas de vestiges complexes.
L’utilisation de tachéomètres électroniques, puis du GPS différentiel a permis de se passer des décamètres, ou des systèmes de carroyage, lors de la fouille des sites. Des topographes, spécifiquement formés, ont alors commencé à intervenir sur site pour la réalisation des plans généraux.

La collection documentaire obtenue à l’issue d’un chantier de fouille est particulièrement précieuse. Il s’agit là des seuls éléments qui permettront de restituer l’histoire du site, en croisant ces données avec le résultat des études réalisées. La crainte de la disparition de ces données, ou de leur utilisation par autrui du fait d’une découverte remarquable, est un sentiment souvent partagé au sein de la communauté archéologique. L’archéologue peut se sentir dépositaire de cette information, voire exprimer un sentiment de possession qui va tout à fait à l’encontre de l’idée de science partagée et ouverte. L’idée que l’ouverture de la donnée est le meilleur moyen de la protéger est loin d’être une évidence.

fiche de conservation, illustrant le coloriage manuel des parties de squelette retrouvées
Fiche de conservation, illustrant le coloriage manuel des parties de squelette retrouvées

Exemple de fiche descriptive d’une couche archéologique
Exemple, parmi tant d’autres, de fiche descriptive vierge d’une couche archéologique

Le début de la numérisation

C’est essentiellement après la phase terrain que les outils numériques ont été apprivoisés par les archéologues.

En post-fouille, la documentation papier est encore souvent une base documentaire fondamentale pour l’analyse du site. L’irruption de l’informatique au milieu des années 80 a conduit les archéologues à transcrire cette donnée sous forme numérique, afin de faciliter son analyse et sa présentation. Bien que les logiciels aient évolué, le processus est pratiquement le même aujourd’hui, avec une numérisation de la documentation sous de nombreux formats.

Les listings peuvent être intégrés à des bases de données (le plus souvent propriétaires tel MS Access, FileMaker ou 4D) ou des tableurs. De nombreuses bases ont été développées en interne, localement, par les archéologues eux-mêmes. Uniquement attributaires, elles se sont progressivement mises en réseau et adaptées au support, permettant d’envisager un usage sur le terrain, sans que ceci ne soit largement déployé.

Base de données
Exemple d’une base de données au tournant des années 2000

Toute la documentation dessinée sur le terrain est amenée à être redessinée au propre sur support numérique, dans des logiciels de dessin vectoriel, très souvent Adobe Illustrator, parfois Inkscape.
Les données en plan, levées par le topographe, sont réalisées sous Autocad et étaient exportés en .dxf ou .dwg avant d’être remis au propre sous Adobe illustrator, ce qui est le cas également des dessins réalisés sur le terrain.
Le mobilier est confié à des spécialistes qui le décrivent, le dessinent, en dressent l’inventaire, le plus souvent dans des tableurs. Leurs dessins sont là encore scannés et remis au propre numériquement.

Avec le recul, nous constatons que les outils numériques sont majoritairement utilisés comme des outils de mise au propre de l’information collectée sur le terrain. Bien des tableurs ne sont ainsi que la stricte transcription des tableaux papier utilisés par les archéologues, auquel on ajoutera quelques totaux, moyennes ou médianes. Les dessins réalisés sur papier, sont décalqués dans des logiciels de vectorisation pour plus de lisibilité et les plus-values scientifique sont finalement assez limitées.

Il en résulte une documentation numérique relativement disparate, avec l’usage de nombreux outils propriétaires, des formats fermés, et une séparation très forte entre l’information spatiale et l’information descriptive (ou attributaire).

L’usage progressif des bases de données a cependant permis d’agglomérer certaines données et de rassembler et mettre en relation l’information. Des travaux universitaires ont également permis d’alimenter la réflexion sur la structuration des données archéologiques et de former de nombreux archéologues, permettant d’adopter des pratiques plus vertueuses.

Le mouvement tout numérique

Jusqu’à présent, passer au tout numérique dans le cadre archéologique semblait relativement utopique. Il a fallu que de nouvelles technologies apparaissent, que des supports portables et simples d’usage se mettent en place, que les réseaux se développent, et que les archéologues s’emparent de ces nouveaux outils.

Le collectif Ramen (Recherches Archéologiques en Modélisation de l’Enregistrement Numérique) est né des échanges et des expériences de divers archéologues de l’Institut National De Recherches Archéologiques Préventives (Inrap) qui se sont regroupés autour de la réalisation de la fouille programmée de la nécropole médiévale de Noisy-Le-Grand, fouille gérée par l’association Archéologie des Nécropoles et confiée à la direction scientifique de Cyrille Le Forestier (Inrap). Cette fouille programmée a permis de lancer une expérimentation sur la complète dématérialisation de la donnée archéologique en se basant sur la photogrammétrie, le SIG, et une base de données spatiale.

Principe général

Si le topographe intervient bien toujours pour la prise de points de référence, le relevé détaillé des vestiges est assuré, pour cette expérimentation, par la mise en œuvre de la photogrammétrie de manière systématique. Cette méthode permet, par la réalisation de multiples photos d’un objet ou d’une scène, de réaliser un modèle 3D précis, et donc exploitable à postériori par l’archéologue en post fouille. La photogrammétrie constitue à Noisy l’unique outil de relevé, remplaçant purement et simplement le dessin sur papier. En effet, à partir de ce nuage de points 3D, il est possible d’extraire de multiples supports en 2D et d’ajouter la géométrie ou des informations supplémentaires dans la base de données: contours de la sépulture, représentation du squelette in situ, profils, mesures, altitudes, etc.

Relevé photogrammétrique d’une sépulture
Relevé photogrammétrique d’une sépulture

L’enregistrement des données est assuré par l’utilisation d’une base de données relationnelles et spatiales dont l’interface est accessible dans QGIS, mais également via une interface web directement sur le terrain, sans passer par des inventaires ou listing papier. L’interface web a été réalisée grâce à SQLPage, serveur web qui utilise un langage à base de SQL pour la réalisation de l’interface graphique, sans avoir à passer par les langages de programmation plus complexes classiquement utilisés pour la création d’applications web, tel PHP.

Bien entendu, cette démarche se poursuit également en laboratoire lors de l’étape d’analyse du site.

Logiciels et formats libres

Mais l’abandon du support papier nécessite de nous poser la question de la pérennité des fichiers et des données qu’ils contiennent.

En effet, dans un processus de dématérialisation complet, la mémoire du site n’est plus contenue sur des centaines de fiches manuscrites, mais dans des fichiers numériques dont nous ignorons à priori si nous pourrons les conserver sur le long terme. L’impossibilité d’accéder à cette donnée avec d’autres logiciels que ceux originellement utilisés lors de leur création équivaut à leur destruction. Seuls les formats standards peuvent répondre à cette problématique, et ils sont particulièrement utilisés par les logiciels libres. Pour la photogrammétrie, les formats .ply et .obj, qui sont implémentés dans de nombreux logiciels, libres et propriétaires, ont été choisis. Pour la donnée attributaire et spatiale, elle est enregistrée dans des bases de données relationnelles libres (Spatialite et Postgis), et facilement exportable en .sql, qui est un format standardisé et reconnu par de très nombreuses bases de données.

Malheureusement, le logiciel libre reste peu utilisé dans notre quotidien archéologique, et les logiciels propriétaires sont souvent très bien implantés. Le libre souffre encore aujourd’hui d’a priori et d’une mauvaise image au sein de la communauté archéologique, qui le trouve plus compliqué, moins joli, moins efficace, etc.

Le libre a cependant fait une incursion majeure avec l’arrivée du Système d’Information Géographique (SIG) libre QGIS, qui a permis d’installer un SIG sur tous les postes des agents de l’institut et de l’envisager comme un outil d’analyse à l’échelle d’un site archéologique. Par un accompagnement et la mise en place d’un plan de formation adéquat, de nombreux archéologues ont été formés à l’usage du logiciel au sein de l’Institut.

QGIS a véritablement révolutionné nos pratiques en permettant l’interrogation immédiate de la donnée attributaire par la donnée spatiale (quel est ce vestige que je vois sur le plan ?) ou, à l’inverse, de localiser un vestige par sa donnée attributaire (où se trouve la sépulture 525 ?). Il est cependant très fréquent d’avoir encore d’un côté la donnée attributaire dans des tableurs ou des bases de données propriétaires, et la donnée spatiale dans QGIS, l’interrogation des deux reposant sur des jointures.

Bien entendu, QGIS permet aussi l’analyse des données, la création de plans thématiques ou chronologiques, indispensables supports à nos réflexions. Nous pouvons, à partir de ces éléments, réaliser les très nombreuses figures du rapport d’opération, sans passer par un logiciel de dessin vectoriel, en plan comme en coupe (représentation verticale de la stratigraphie). Il permet de normaliser les figures par l’emploi des styles, et, par l’usage de l’outil Atlas, de réaliser des catalogues complets, pour peu que la donnée soit rigoureusement structurée.

analyse spatiale
Exemple d’analyse dans Qgis de répartition des rejets de céramique sur un site gaulois

Dans le cadre de l’expérimentation sur la nécropole des Mastraits, Si Qgis est bien un des piliers du système, quelques logiciels propriétaires sont encore employés.

Le logiciel de traitement utilisé pour la photogrammétrie est propriétaire. L’objectif à terme est de pouvoir utiliser un logiciel libre, MicMac, développé par l’IGN, étant un possible candidat. Il manque cependant encore d’une interface pleinement intuitive pour que les archéologues puissent s’approprier l’outil de manière autonome.

De même, les enthousiasmantes dernières évolutions du projet Inkscape devraient nous inciter à nous tourner davantage vers ce logiciel et à utiliser de manière systématique le .svg. L’usage de Scribus pour la PAO devrait également être sérieusement envisagée.

Le logiciel libre et ses indéniables avantages prend ainsi doucement place, essentiellement via QGIS, dans la chaîne de production de nos données archéologiques. Nous ne pouvons qu’espérer que cette place grandira. Le chemin paraît encore long, mais la voie libre…

Badass, spatial et attributaire réunis

Le développement de la Base Archéologique de Données Attributaires et SpatialeS a eu comme objectif d’intégrer, au sein d’une seule et même base de données, les informations attributaires renseignées par les archéologues et les informations spatiales recueillies par le topographe. Il s’agit même de rassembler, au sein des tables dédiées, les informations attributaires et spatiales, garantissant ainsi l’intégrité de la donnée.
Son principe s’appuie sur le fonctionnement de la chaine opératoire en archéologie, à savoir l’identification et l’enregistrement par l’archéologue des vestiges mis au jour, auquel succède le relevé tridimentionnel réalisé par le topographe. Ce dernier dispose, dans la base de données, de tables spécifiques dans laquelle il peut verser la géométrie et des données attributaires minimales (numéro, type). Des triggers vont ensuite alimenter les tables renseignées par les archéologues avec la géométrie, selon leur identifiant et leur type.

La base est ainsi l’unique dépositaire de l’information attributaire et spatiale tout au long de l’opération, du terrain à la post fouille.

Le format de la base de données est à l’origine SpatiaLite. Mais la masse documentaire produite par la nécropole des Mastraits nous a conduit à la porter sous PostGIS. Nombre d’opérations archéologiques ne nécessitent cependant qu’une petite base SpatiaLite, qui permet en outre à l’archéologue d’avoir la main sur son fichier de données. Seuls quelques gros chantiers peuvent avoir besoin d’une solution PostgreSQL, par ailleurs utilisée pour le CAtalogue de VIsualisation ARchéologique (Caviar) qui a vocation à accueillir les données spatiales et attributaires produites à l’institut.

Naturellement, Badass a été couplée à un projet QGIS proposant déjà des styles par défaut, mais aussi quelques requêtes ou vues communément utilisées lors d’une étude archéologique. Une extension QGIS a été développée par plusieurs étudiants afin de permettre la génération automatique du projet et de la base de données.

Pour entrer dans Badass : la Bad’Mobil

Il restait la question de la portabilité de ce système. QGIS est un logiciel demandant beaucoup de ressource et dont l’interface est inadaptée aux petits écrans, appréciés pour leur portabilité sur le terrain (téléphones et tablettes).

Choisir d’utiliser une base SpatiaLite ou PostGIS permettait d’envisager dès le départ une interface web, qui pourrait alors être utilisée sur n’importe quel terminal. Il avait d’abord été envisagé de lancer un développement en PHP/HTML/CSS avec un serveur web Apache. Mais ceci nécessitait de disposer d’un serveur web, et de programmer toute une interface. Il restait aussi à répondre à quelques questions d’infrastructure : où l’héberger, quels financements pour cela, et qui pour administrer l’ensemble ?

C’est ici même, sur LinuxFR, que l’un des membres du collectif a découvert SQLPage. Ce logiciel libre, développée par lovasoa, permet de disposer d’un serveur web très simple, et la réalisation d’une application de type CRUD avec une interface dont le développement ne repose que sur du SQL.

SQLPage repose sur un fichier exécutable, qui, lancé sur un poste informatique, transforme celui-ci en serveur web. Un fichier de configuration permet de définir notamment l’emplacement de la base de données qui sera interrogée. Pour chaque page web de l’interface, on écrit un fichier .sql pour définir les données à aller chercher ou modifier dans la base, et les composants d’interface qui permettront de l’afficher (tableaux, formulaires, graphiques…). L’accès à cette interface se fait dans un navigateur web. Si le poste est en réseau, l’adresse IP du poste permet d’y accéder à distance, avec une adresse comme http://192.168.1.5:8080 par exemple. L’utilisation d’un VPN nous permet d’utiliser le réseau de téléphonie mobile, ce qui nous dispense de toute mise en place d’un réseau local avec routeur, antennes, etc.

principe
Principe de fonctionnement général

Ainsi, l’installation de l’ensemble est très simple et ne repose que sur une arborescence de fichiers à déployer sur le poste serveur : la base de donnée, et un répertoire contenant le binaire SQLPage et les fichiers constituant les pages web.

En nous appuyant sur la documentation (et en posant parfois des questions à l’auteur du logiciel), nous avons pu développer seuls une interface très complète répondant bien à nos besoins sur le terrain. Nommée Bad’Mobil, l’interface web permet d’accéder à l’ensemble des données attributaires renseignées par les archéologues et permet désormais, grâce aux évolutions constantes de développement de SQLPage, de visualiser la donnée spatiale. La documentation produite au cours du chantier peut également être consultée si les fichiers (photos, dessins scannés, etc.) sont placés au bon endroit dans l’arborescence. Les pages se composent principalement de formulaires de création ou de modification, ainsi que de tableaux listant les éléments déjà enregistrés. La visualisation de la géométrie permet de se repérer spatialement sur le terrain, en particulier en cas de chantier complexe, et d’interagir avec la donnée attributaire.

L’interface de BadMobil, avec SQLPage
L’interface de BadMobil, avec SQLPage

Cas d’utilisation et bénéfices concrets

Première expérience aux Mastraits

Le chantier de fouille de la Nécropole des Mastraits a été le chantier test de ces développements. L’importante quantité de données récoltées, mais également son statut de fouille programmée permet de mettre en place ce genre d’expérimentation avec un impact bien moindre que dans une fouille préventive où les délais sont particulièrement contraints.

La mise en place de l’interface SQLPage a permis la dématérialisation complète de l’enregistrement attributaire, et se révèle très performante. Il s’agit d’un changement majeur de nos pratiques et va nous permettre gagner un temps extrêmement important lors du traitement des données.

Ceci permet également de centraliser l’information, de travailler à plusieurs personnes en même temps sans attendre la disponibilité des classeurs d’enregistrement traditionnellement utilisés, et de guider les archéologues au cours du processus d’enregistrement, évitant les oublis et les erreurs. Grâce à une interface simplifiée, la saisie peut se faire de manière très intuitive sans réelle nécessité de formation approfondie.

L’homogénéité de la donnée saisie est ainsi meilleure, et les possibilités d’interrogation bien plus importantes.

Perspectives d’avenir

À l’issue du développement de Badass et Bad’mobil sur la nécropole des Mastraits, il nous a paru possible d’envisager son déploiement dans le cadre de l’archéologie préventive. Si la question de l’infrastructure réseau nécessaire au fonctionnement de cette solution peut se poser (nécessité de disposer d’une alimentation électrique stable sur des chantiers perdus en pleine campagne, disponibilité des tablettes, couverture réseau…), les bénéfices en termes d’homogénéité des données et de facilité de saisie sont très importants. Quelques chantiers d’archéologie préventive ont ainsi pu tester le système, la plupart du temps sur des sites de petite ampleur, en bénéficiant de l’accompagnement des membres du collectif.

Les développements futurs s’orienteront sans doute vers l’intégration de nouveaux formulaires, ou de nouveaux outils de suivi. Actuellement, Badass permet de recueillir les observations communes à tous les sites archéologiques, ainsi que les observations anthropologiques du fait de son utilisation au sein de la nécropole des Mastraits.
Nous pourrions ainsi envisager d’intégrer les nombreuses spécialités de l’archéologie, mais il est probable que nous obtenions alors une énorme machine dont la maintenance pourrait s’avérer complexe. Nous restons donc prudents à ce sujet.

Conclusion

Petit à petit, l’emploi des outils numériques s’est généralisé dans les métiers de l’archéologie. Après les traitements de texte et tableurs des années 90 (souvent sous mac), les premiers dessins vectoriels numérisés sous Adobe Illustrator, et les bases de données sous Filemaker, Access ou 4D, les outils numériques sont aujourd’hui en mesure d’être utilisés au cours de toute la chaîne d’acquisition de la donnée.

L’apport des logiciels et des formats libres est majeur pour cette nouvelle étape.

QGIS a fondamentalement révolutionné la pratique archéologique en offrant au plus grand nombre l’accès au SIG, permettant de relier et de manipuler les données attributaires et spatiales. Il a ouvert la voie à de nouvelles évolutions, et à l’intégration de technologies jusque-là peu utilisées par l’archéologie (notamment l’utilisation de bases de données relationnelles et spatiales au format SQL).
SQLpage nous a permis d’offrir à l’archéologue une interface complète et simple afin d’accéder à une base de données en réseau. Si son développement nécessite une connaissance certaine du SQL et du fonctionnement d’un site web, son déploiement et sa maintenance sont tout à fait abordables.
SQLPage répond à un réel besoin sur le terrain. Pour les archéologues, il permet de simplifier leur pratique tout en répondant à la complexité grandissante face à la masse documentaire à traiter, et à l’accroissement de l’exigence qualitative des rendus.

L’association de QGIS, des bases de données spatiales et relationnelles et d’une interface web parfaitement adaptée au terrain comblent désormais le manque constaté d’un outil efficace et fiable d’enregistrement archéologique à l’échelle de l’opération. À ce titre, Badass associée à Bad‘Mobil comblent totalement les attentes des archéologues qui les ont expérimentés.

Si les logiciels libres ont, ces dernières années, entamé une timide percée chez de nombreux opérateurs d’archéologie (certains les ont pleinement adoptés), des réticences restent présentes, que ce soit des utilisateurs, mais aussi parfois des DSI des administrations publiques, qui peuvent préférer opter pour un service tout-en-un doté d’un support technique.

Mais la persistance des usages des logiciels propriétaires n’est pas sans poser de réels problèmes quant à la pérennité des données archéologiques et les archéologues commencent juste à découvrir le problème. Leur attachement à leurs données — si elle va parfois à l’encontre du principe de la science ouverte — devrait cependant les inciter à opter pour des formats dont la pérennité apparaît certaine, garantissant par là même l’accès à ces données dans le futur, quel que soit le logiciel ou le système d’exploitation utilisé, s’ils ne veulent pas que leur travail tombe dans l’oubli…

Aller plus loin

  • # Merci pour votre contribution

    Posté par  . Évalué à 10. Dernière modification le 26 juin 2024 à 19:56.

    Merci pour votre contribution et toutes vos explications, c'est passionnant de suivre l'évolution de votre démarche. Merci pour cet enseignement de l'usage des divers outils informatiques et de votre souhait d'utiliser des outils libres
    Rémimage

  • # pérennité des données

    Posté par  . Évalué à 10.

    Mais la persistance des usages des logiciels propriétaires n’est pas sans poser de réels problèmes quant à la pérennité des données archéologiques et les archéologues commencent juste à découvrir le problème

    Salut, c'est un constat qui est fait et refait depuis des décennies où les usages de SI de chantier ou de labo basés sur Hypercard, 4D, Filemaker, Access, etc. (je passe la liste des formats de PAO, DAO, SIG qui ont connu les mêmes situations) et qui ne connaît qu'une lente évolution.

    Le problème de l'usage de logiciels propriétaires n'est cependant qu'un aspect de la situation où les données d'une fouille numérique de 2014 sont moins exploitables qu'une de 1874 et ses petits carnets, vu l'absence globale de normalisation des pratiques d'enregistrements et les nombreux (nombreux) systèmes d'enregistrement où l'archivage pérenne n'est pas prévu.

    • [^] # Re: pérennité des données

      Posté par  . Évalué à 7. Dernière modification le 27 juin 2024 à 21:58.

      C’est une vieille question, c’est vrai. Mais pour l’instant, on parvenait à passer un peu à travers parce qu’il y a les archives papier et le rapport et/ou la publication. Donc la donnée et son interprétation.
      J’ai le sentiment que si on ne s’est pas réellement penché sur ces questions, bien que le constat soit ancien, c'est bien parce qu’on a ces deux supports physiques qu’on sait archiver, et que le reste c’est de la "mise au propre"…

      Je ne suis pas certain que normaliser les systèmes d’enregistrement soit réalisable, et une bonne chose en soi. Notamment parce qu’il faudrait choisir une approche (pourquoi celle là ?), une logique, et que certaines sont parfois plus pertinentes que d’autre selon les contextes, les pratiques, les équipes. Tout ça, ce n’est qu’un outil. On est tout le temps en train de nous adapter à une situation de terrain, il faut que l’enregistrement puisse s’y adapter aussi. Même si, bien entendu, on va avoir des convergences (mais pas toujours…). Mes pratiques de terrain ont beaucoup évolué avec le temps, aussi par la confrontation avec mes collègues et leurs propres pratiques, leur propre expérience. J’en ai pris, et j’en ai jeté.

      Par contre, les services de l'état pourraient exiger qu’un certain nombre de normes minimales soient respectées. Mais il faut bien en définir l’objectif, car les exigences ne sont absolument pas les mêmes s’il s'agit de la gestion des collections de mobilier, ou de la structuration minimale de la donnée issue de l’enregistrement afin de l'archiver de manière pérenne. Car après tout, que cherchons nous à savoir ? Quel est ce vestige, où était-il, contenait-il du mobilier et lequel, comment a-t-il été observé et quelle est la documentation générée à son sujet (relevés, photos, textes) ? Ca me parait bien suffisant comme base de travail pour dans 1000 ans ;-)

      PS : des petits carnets inexploitables, il y en a…

    • [^] # Re: pérennité des données

      Posté par  . Évalué à 6.

      J'allais le dire.
      Et dans le prolongement : le numérique s'échange facilement, les archéologues en viendront peut-être assez vite à vouloir consulter numériquement des données de chantiers étrangers ; dans cette optique sait-on comment font les autres pays? A t-on prévu d'avoir des formats interopérables? Les autres pays notent-ils des infos différentes ou différemment?

      Concernant l'analyse : les données numériques sont aisément falsifiables ;
      y a-t'il une traçabilité prévue ?

      • [^] # Re: pérennité des données

        Posté par  . Évalué à 3.

        il y a une association internationale qui organise chaque année un collogue sur l’usage de l’informatique en archéologie, le CAA. Il faudrait sans doute voir de ce côté les communications.

        N’étant pas associé à des programmes d’échange internationaux, et n’ayant pas travaillé dans des équipes internationales, je ne peux pas répondre.

        Quant à la falsification, c’est possible bien sûr, mais relativement complexe si on veut bien faire les choses. Tout dépend de comment sont stockées les données numériques et s’il y a une possibilité de les modifier une fois archivées. Le jour où on passe partout au tout numérique, c'est vrai que c'est une question qui devra se poser.

  • # super exposé du travail

    Posté par  . Évalué à 7.

    Merci pour cet exposé de la démarche archéologique. Dans les livres ou puzzles pour enfant et dans les médias, on ne montre que la partie fouille, limitée aux précautionneux coups de pinceaux et au déterrage triomphal d'os de dinosaures ou de trésors gaulois ou égyptiens. Finalement où nous raconte des archéologues "remplisseurs de musée" confondus avec des chasseurs de dinosaures remplisseurs de collections privées. Avant ton exposé, je ne pouvais que pressentir la complexité d'un chantier de fouilles et à peine deviner tout le travail qui le suit.

    • [^] # Re: super exposé du travail

      Posté par  . Évalué à 6.

      Merci de ton commentaire, qui fait vraiment plaisir, car c'était bien aussi le but de la dépêche, qui, comme l'archéologie, a été un travail d'équipe.

      • [^] # Re: super exposé du travail

        Posté par  . Évalué à 5.

        D'ailleurs, la dépêche étant un peu impersonnelle, ce serait intéressant de savoir qui vous êtes, ce que vous faites : programmeur, archéo, etc.

        • [^] # Re: super exposé du travail

          Posté par  . Évalué à 5.

          Bonjour,

          Dans le groupe qui a participé à la rédaction de cette dépêche, on est 6 archeos et lavasoa est développeur.
          Du côté des archeos, on a des compétences assez diverses et complémentaires : j'avais fait un peu de web bénévolement et du développement de bdd (fmp), Sqweird est geomaticienne, TomTom avait developpé également une grosse base de données d'enregistrement archeo (fmp), Rachid a mis en place toute la méthodologie photogrammétrie, Cyrille et Commit ont coordonné et testé tout ça, du début à la fin.

          • [^] # Re: super exposé du travail

            Posté par  . Évalué à 3.

            Et comment lovasoa est rentré en contact avec vous ? il est archeo amateur ?

          • [^] # Re: super exposé du travail

            Posté par  . Évalué à 3.

            J'oubliais : j'adore les noms des logiciels!

            • [^] # Re: super exposé du travail

              Posté par  . Évalué à 7. Dernière modification le 28 juin 2024 à 15:17.

              Non,non, Lovasoa n'est pas du tout archeo amateur.

              TomTom a découvert sqlpage ici, sur linuxfr, suite à une dépêche postée par Lovasoa. Il l'a telechargé et a commencé à "jouer" avec. On a butté sur quelques points et j'ai commencé à poser des questions sur le github de lovasoa. Il a été curieux de voir ce qu'on avait fait et on a organisé une visio avec lui. Puis il a presenté notre travail parmi d'autre lors d'une conférence postgre de décembre dernier. On l'a ensuite invité sur le chantier voir les progres. Et voilà, on en est là ;-).

            • [^] # Re: super exposé du travail

              Posté par  . Évalué à 1.

              Il faut admettre que les noms.marchent très bien ;-)

  • # Merci

    Posté par  . Évalué à 4.

    Merci pour cette dépêche super intéressante, sur un aspect qui m'était inconnu
    C'est peut être un lien inutile, cependant le CNES à Toulouse communique sur ses efforts pour la collection et l'archivage massif de données spatiales. Même l'outillage est parfois similaire vu qu'il y a du SIG, de la photogrammétrie et des données variées dont le stockage peut se faire spatialement mais aussi temporellement ou thématiquement, ou en combinaison

    • [^] # Re: Merci

      Posté par  . Évalué à 4.

      Bonjour,

      Non, non, ça ne me semble pas du tout inutile, bien au contraire.
      Merci

  • # Très sympa !

    Posté par  . Évalué à 3.

    Merci pour votre article, très clair.

    Petit signalement/oubli peut-être au passage : il existe un projet de logiciel libre sur ce créneau là et même un peu + = ISHTAR en AGPL v2, déjà présenté au RMLL en 2011 et en prod un peu partout.

    • [^] # Re: Très sympa !

      Posté par  . Évalué à 1.

      Merci pour ce signalement. Il existe de nombreuses bases données en archéologie et, heureusement, certaines ont été développées avec des formats libres. Sauf erreur de ma part, ISHTAR n'est pas une base de données spatiales.

      • [^] # Re: Très sympa !

        Posté par  . Évalué à 1.

        Au temps pour moi, il semble qu'ISHTAR intègre désormais la géométrie.

    • [^] # Re: Très sympa !

      Posté par  . Évalué à 4. Dernière modification le 01 juillet 2024 à 21:16.

      Oui, vous faites fort bien de le signaler (j'avais totalement perdu son nom…)
      Ishtar est un projet global, très abouti, très complet et vraiment ambitieux. Je regrette juste un déploiement un poil complexe pour un néophyte, ce que sont la plupart des archéologues en informatique.

      Ici, on était loin de cette ambition. D'autant que les seules compétences de développement que nous possédons sont le SQL à peu de choses près. Il nous fallait nous appuyer sur des logiciels dejà existants. Et si sqlpage n'avait pas été là, nous n'aurions sans doute pas pu développer d'interface web, ou alors avec beaucoup plus de difficulté.

      C'est d'ailleurs en cela que je trouve que Qgis est d'un apport absolument considérable, car il nous a en plus permis de nous approprier aussi de nouvelles technologies (pour nous).

      • [^] # Re: Très sympa !

        Posté par  . Évalué à 4.

        Vous avez raison. Ishtar n'est pas vraiment à installer par un utilisateur, c'est typiquement un outil qui s'utilise à l'échelle d'un service/ laboratoire/ collectif d'archéologues au complet (depuis un serveur web/ Debian/Nginx, il y a un paquet de je crois). Il y a eu une version "standalone" pour installation sur poste mais j'ignore si cela a été maintenu.

        AMHA il serait intéressant de travailler sur une interface Badass/ Ishtar.

        • [^] # Re: Très sympa !

          Posté par  . Évalué à 1.

          Il y a un dépôt debian pour Ishtar avec un paquet en effet. Ça devrait passer sur une Mint non ?
          Cette interface Badass/Ishtar permettrait d'utiliser l'une ou l'autre base (une GUI commune?) ou s'agirait-il de créer des compatibilité pour passer les données d'une base à l'autre ?

  • # Donnée archéo

    Posté par  . Évalué à 1. Dernière modification le 14 août 2024 à 12:57.

    Merci pour cet article très clair et au message optimiste et tourné vers l'avenir. Je retiens, entre autres, cette petite phrase " l’ouverture de la donnée est le meilleur moyen de la protéger" !

    • [^] # Re: Donnée archéo

      Posté par  . Évalué à 1.

      Merci Luc pour ton commentaire encourageant !

      • [^] # Re: Donnée archéo

        Posté par  (site web personnel) . Évalué à 2.

        cela devrait être normal que le droit d'auteur ne s'applique pas pour des artefacts de plus de 1000 ans :D

        ça n'a pas empêché Disney de sucer et resucer pas mal de grands mythes /o\
        paye ton fair-use américain là où archive.org en bénéficiait à raison (conservation de la connaissance), bah revendre du Jules Verne c'est un business-model :p

        /me en mode dépité mais optimiste vis-à-vis de ce genre d'initiative qui devrait aller de soi, merci _o/

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