Journal Ce que j'ai fait pendant vos vacances

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sept.
2025

Sommaire

Cet été, je suis parti en vacances. Et quand j'étais en vacances, j'ai pu suivre le boulot des collègues à distance. Pas via le VPN de la boîte.

Via France Info.

Et quand je suis rentré, ça a été la merde, genre bien comme il faut.

Rappelons le contexte. Je suis médecin de santé publique, en ARS. Je ne dirai pas de quelle ARS, parce que si j'en dis plus, ça ne sera plus moi qui m'exprimerai mais ça sera une prise de position publique de mon employeur, et je ne suis pas porte-parole, juste médecin.

Il se trouve qu'au sein de cette ARS, je suis référent arboviroses. On est plusieurs référents, mais c'est sur moi que la merde est tombée. Parce qu'en plus d'être référent thématique, je suis aussi référent territorial. Alors quand on a eu un cluster de chikungunya sur mon territoire de référence, tout naturellement, ce n'était plus la merde. C'était ma merde.

Bon, après j'enjolive. Ça a été épuisant, mais ça a aussi été passionnant, je me suis senti stimulé, et par-dessus tout, utile. J'ai aussi épuisé tout le monde : ma chef, son chef, ma femme qui n'en pouvait plus de m'entendre parler de chikungunya à chaque dîner, mon fils de 4 ans qui m'a un jour demandé comment le premier malade avait pu attraper le chikungunya1. Je n'allais pas en plus en faire un journal sur DLFP.

Et puis un jour, un certain Dave, non relativiste, a posté un nourjal sur le sujet. Avec pas mal de commentaires à côté de la plaque, mais aussi pas mal de commentaires en plein dans le mille. Et moi, je lis ça, et je me dis "Ok, je vais répondre ceci à lui, ça à lui, et il faut aussi expliquer à celui-ci, qui semble frappé au coin du bon sens, pourquoi il se plante, et puis… Roh puis merde, autant en faire directement un journal séparé".

Désolé, cher lecteur, tu vas encore te taper ma prose. Après, c'est assez classique de parler de la sexualité des diptères, sur DLFP. C'est juste que d'habitude, on ne le fait pas littéralement.

C'est quoi une arbovirose ?

Une arbovirose est une infection causée par un arbovirus. Un arbovirus, ça n'a aucun rapport avec les arbres, ça vient de Arthropod-borne virus. Virus transmis par les arthropodes. Les arthropodes, c'est la classe des animaux qui comprend les crustacés, mais surtout les insectes et les arachnides. Au sein de cet embranchement, deux sous-catégories nous intéressent particulièrement : les moustiques et les tiques. Il s'agit d'animaux hématophages, c'est-à-dire qu'ils mangent du sang. Pour les tiques, c'est leur principale nourriture, pour les moustiques, c'est uniquement pour avoir des protéines pour faire des œufs (les moustiques sont des nectarivores).

Pour un virus, un animal qui mange du sang, c'est un transmetteur parfait. On parle de vecteur et ça n'a rien à voir avec R ou Inkscape. Il y a juste une petite contrainte : le virus doit réussir à sortir de l'animal, pas juste être avalé. Ça implique une réplication virale dans l'hématophage : un moustique, une tique ne sont pas des seringues sales. Ce sont des animaux malades, et comme tout malade, ils ont une période d'incubation. Le moustique qui pique un malade et qui vous pique dans la demi-heure ne vous rendra pas malade.

Il y a aussi tout plein d'infections à transmission vectorielle non arboviroses : la maladie de Lyme, le paludisme, pour en citer que tout le monde connaît. Ce ne sont pas des arboviroses parce que la maladie de Lyme est bactérienne et le paludisme est dû à un parasite unicellulaire. Je n'en parlerai donc pas parce que les arboviroses, c'est déjà beaucoup. Des arboviroses, chez l'humain, il y en a un paquet. On peut grossièrement les classer en deux catégories : les arboviroses zoonotiques et les arboviroses exclusivement ou principalement humaines.

Les arboviroses zoonotiques

Une zoonose, c'est une maladie principalement animale qui peut occasionnellement contaminer l'humain. Une arbovirose zoonotique, c'est une maladie principalement animale, dont le vecteur peut piquer un humain et lui donner la maladie. Généralement, l'humain est une impasse épidémiologique, c'est-à-dire que sauf cas exceptionnels (don de sang), il ne peut transmettre ni à un autre humain, ni au vecteur. On compte dans ce groupe des maladies peu fréquentes, mais souvent graves :

  • Le West Nile et son cousin Usutu, souvent asymptomatiques, mais responsables de rares encéphalites gravissimes ;
  • L'encéphalite à tique, je vous laisse deviner quel organe elle touche et quel vecteur la transmet. Un malade sur deux aura des symptômes neurologiques prolongés, et on compte en années ;
  • La fièvre jaune, contre laquelle il existe un vaccin, ce vaccin est obligatoire pour poser le pied en Guyane ;
  • Et tout plein d'autres.

Franchement, les arboviroses zoonotiques, c'est un champ d'étude passionnant, à la croisée de la médecine humaine, de la médecine vétérinaire, de l'écologie, on est en plein dans le One Health. Mais je n'en parlerai pas plus avant, parce que je ne les cite qu'à titre de contexte : le vrai sujet du nourjal, ce sont les arboviroses humaines.

Les arboviroses principalement humaines

On en compte 3 qui nous intéressent : le chikungunya, la dengue et le Zika.

Le chikungunya

Le chikungunya est la star de l'été 2025. 570 cas autochtones au dernier bilan de Santé Publique France, c'est le record toutes années et toutes arboviroses confondues.

Un chikungunya, ça tabasse, mais c'est très peu mortel. C'est une fièvre qui vous cloue au lit, et des douleurs aux articulations, particulièrement aux extrémités : poignets, chevilles. Surtout, un quart des malades de chikungunya garderont des douleurs après la maladie. C'est handicapant, et c'est une proportion énorme. Lutter contre le chikungunya, c'est faire de la prévention du handicap. On peut rarement mourir du chikungunya lui-même, mais il peut tout à fait décompenser une pathologie préexistante : Mamie, 97 ans, un cœur un peu fragile, elle ne sera plus capable de se lever après un chik. Ses muscles vont fondre, elle va rester au lit et mourir dans 3 mois d'une complication de la position allongée. C'est un scénario tout à fait classique après une fracture du col du fémur, un chik peut tout à fait faire la même chose. Formellement, elle ne sera pas morte du chikungunya, mais la différence est subtile. Si vous voulez de l'arbovirose directement mortelle, vous avez la dengue.

La dengue

Ou plutôt les dengues.

Une dengue, ça tabasse aussi. C'est une forte fièvre, des maux de crâne intenses, des douleurs derrière les yeux (pas systématique, mais très spécifique des arboviroses et surtout de la dengue), et un effondrement de la quantité de plaquettes, donc de la capacité du sang à coaguler. Une dengue, ça peut donner (rarement) des encéphalites et (moins rarement) des hémorragies. Au global, c'est envirorn 0,4% de mortalité. Pour comparaison, avec la grippe, on est plutôt dans les alentours de 0,1%. La mortalité de la dengue est plus élevée chez les vieux, les immunodéprimés (cancer, greffe) et les personnes qui font leur seconde dengue.
Oui, parce qu'on peut avoir plusieurs fois la dengue. Il y a 4 virus2, qu'on nomme dengue 1, dengue 2, dengue 3 et dengue 4 (personne n'a pensé à les numéroter de 0 à 3, pourtant ça aurait dû être évident). Quand vous avez eu la dengue 1, vous avez des anticorps anti-dengue 1. Vous y êtes immunisé. Mais vous n'êtes pas immunisés aux dengues 2, 3 et 4. Et là ça devient fourbe.

Une partie de vos anticorps est située à la surface de vos cellules immunitaires. Le virus de la dengue est capable d'infecter vos cellules immunitaires. Et si vous avez des anticorps anti-dengue 1, ils accrocheront aussi dengue 2. Sans le neutraliser. Vous avez maintenant un virus parfaitement actif accroché à un anticorps, lui-même accroché à une cellule que le virus est capable d'infecter et tuer alors même que c'est la cellule censée lutter contre le virus. Vous voyez venir le problème ?

Bon ben du coup on a bien plus de dengues graves chez les personnes qui font leur seconde dengue. Autant vous dire que pour faire un vaccin anti-dengue, c'est un poil chaud. Un premier vaccin, Dengvaxia, a été testé puis retiré du marché. On espère avoir moins de problèmes avec Qdenga, plus récent. En théorie il n'a pas ce problème. En pratique, on le réserve aux personnes qui ont déjà eu une première dengue (ou qui sont tellement fragiles que la première dengue sera grave de toute façon).

Le Zika

Dans un souci de complétude, il me faut parler du zika. Pas grand-chose à en dire, des symptômes moins voyants que la dengue ou le chik, une létalité plus faible. Mais une atteinte très spécifique : il peut donner, en cas d'infection chez une femme enceinte, des atteintes cérébrales graves de l'enfant à naître (microcéphalie). Autre particularité : à ma connaissance, c'est la seule arbovirose avec une transmission interhumaine directe, et cette transmission est sexuelle. Elle peut perdurer plusieurs semaines après la guérison.

Évidemment, la caractéristique commune aux arboviroses humaines, c'est leur potentiel épidémique. Elles ont toutes un cycle similaire : après une piqûre de moustique, la période d'incubation va de 3 à 18 jours (pour le chik, ça dépasse rarement 10 jours), puis le virus devient présent dans le sang de façon asymptomatique (on est alors contagieux pour un moustique) pendant 1 à 2 jours avant le début des symptômes. Une fois symptomatique, on reste contagieux pendant environ une semaine. Puis on est immunisé pour longtemps au virus qu'on vient de choper (modulo dengue, tout ça).

Ça, c'est le côté humain. Parce qu'on ne peut pas parler d'arboviroses sans parler de moustiques.

Soit un vecteur en dimension n

Disclaimer : ce que je vais dire ci-dessous est grossièrement simplifié et ferait pouffer un entomologiste. La raison est double : déjà, je ne suis pas entomologiste, et deuxièmement, ce journal est déjà beaucoup trop long.

Il y a beaucoup de moustiques différents. Genre beaucoup. Parmi ces moustiques, certains piquent l'humain. Certains piquent surtout l'humain. Certains adorent l'humain. Aucun n'est exclusif de l'humain, les moustiques savent faire feu de tout bois quand c'est nécessaire.

Ceux qui piquent indifféremment l'humain ou d'autres animaux sont typiquement des vecteurs d'arboviroses zoonotiques. C'est typiquement le cas de Culex pipiens, le moustique le plus commun en France métropolitaine jusqu'à récemment. Culex pipiens est incapable de transmettre la dengue, le chikungunya ou le Zika, mais c'est le principal vecteur du West Nile, une arbovirose qui touche les oiseaux mais peut occasionnellement contaminer l'humain.

Il y a deux moustiques qui piquent principalement l'humain, les deux sont du genre Aedes : Aedes aegypti, et surtout Aedes albopictus.

Aedes aegypti, c'est un moustique issu des forêts tropicales d'Indonésie, qui a été transporté par inadvertance via nos bateaux dans le monde entier, mais qui s'est établi entre les tropiques. Pourquoi là ? Parce que ses larves ont besoin de chaleur pour se développer, et qu'entre les tropiques, il n'y a pas vraiment d'hiver. Aedes aegypti est un vecteur particulièrement efficace pour la dengue, il est très efficace avec certaines souches de chikungunya.

Aedes albopictus, c'est comme Aedes aegypti, mais avec une mutation supplémentaire, acquise lors d'un séjour au Japon (c'est fou ce qu'on trouve là-bas) : la diapause. La diapause, c'est la capacité des œufs, lorsque les jours raccourcissent, à mettre en pause leur développement et à attendre tranquillement l'été prochain. La diapause dépend de la durée du jour, pas de la température, et est donc indépendante du réchauffement climatique. Cette diapause a permis à albopictus de coloniser une quantité considérable de zones tempérées. Albopictus est un très bon vecteur pour certaines souches de chikungunya, il est compétent pour la dengue, mais c'est moins son truc, quoi.

De la sexualité des diptères

Pour beaucoup de gens, on a des moustiques parce qu'on a un plan d'eau. La réalité est un peu plus complexe.

Premièrement, pour pouvoir faire des jolis bébés moustiques, madame moustique va s'accoupler. Ça, c'est assez commun à tous les moustiques. Madame s'accouplera avec un ou plusieurs mâles, mais seul le premier parviendra à transférer ses spermatozoïdes dans la spermathèque. Ensuite, ces spermatozoïdes féconderont tous les œufs pondus par la femelle au cours de sa vie.

Ensuite, il faut les fabriquer, ces œufs ! Les moustiques sont des nectarivores. Le nectar, c'est de l'eau sucrée. C'est bourré de calories, mais ça ne contient pas de protéines. Or, ce n'est pas tout d'avoir de l'énergie pour fonctionner, encore faut-il avoir des briques pour construire les œufs. Et où trouve-t-on des protéines ? Chez les animaux ! Madame va donc prélever du sang chez des animaux, dont les humains. Et là, madame a un problème. Le sang, ce n'est pas fait pour sortir des vaisseaux sanguins. Ça coagule. Et s'il coagule dans madame, il risque de boucher le fin tuyau dont madame se sert pour prélever. Elle va donc injecter un anticoagulant avant de prélever. Et c'est cette injection qui pose tant de problèmes de santé publique. En effet, si un pathogène colonise les glandes salivaires du moustique, il peut en profiter pour se faire injecter. C'est exactement ce que font les arbovirus.

Madame a donc besoin de piquer. Une femelle qui ne pique pas, c'est une femelle qui ne pond pas. D'un point de vue darwinien, c'est exactement comme une femelle morte. Elle va donc prendre des risques insensés pour piquer, y compris le risque de se faire écraser entre deux mains.

Enfin, il faut pondre. Ici, les coutumes divergent.

Madame culex va pondre dans des plans d'eau, type mare, étang… Sa larve est détritivore et coprophage : elle mange le caca des autres animaux. Donc s'il y a d'autres animaux, c'est cool, ça fait du miam. Elle peut aussi manger de petits animaux. Madame culex pond ses œufs directement en surface ou sur des objets flottants.

La larve aedes est une filtreuse : elle va manger les bactéries photosynthétiques en suspension dans l'eau. Ce qui est bien avec les bactéries photosynthétiques, c'est qu'il y en a partout, dès que l'eau est touchée par un peu de lumière. Elle a une seconde contrainte : elle préfère une surface dure et sèche. Elle va pondre sur le bord d'un récipient, et les œufs vont gentiment attendre que l'eau monte à la faveur d'une pluie, d'un arrosage… Comme les larves sont des filtreuses, elles sont capables de se contenter d'un tout petit peu d'eau : un cendrier oublié sous la pluie, un jouet d'enfant, une soucoupe de pots de fleurs, une terrasse sur plots… Mais aussi une réserve d'eau de pluie. Idéalement, c'est mieux s'il n'y a pas de poissons, qui ne sont pas contre manger des larves. Aedes n'aime donc pas les étangs. Une ponte, c'est 300 œufs, et s'il fait chaud (30°C), les adultes sont prêts en 3 jours. Par 20 °C, c'est plutôt une semaine.

Assemblons les pièces du puzzle

Cher lecteur, tu as ici un bref aperçu du background qu'on a donc tous en tête quand on nous signale un cas d'arbovirose. Il te manque quand même un élément : la distinction cas importé/cas autochtone/foyer de transmission.

Les arboviroses importées

Une arbovirose importée, c'est une arbovirose où l'exposition à l'étranger est évidente. On interroge le malade, et on lui demande s'il a voyagé : s'il a voyagé en zone intertropicale au cours de la période d'incubation, le cas est importé. On va agir pour empêcher ce malade d'être piqué et tuer les moustiques qui l'ont déjà piqué, mais on n'a pas de raison de penser qu'il y a une transmission en cours.

De manière générale, toute chaîne de transmission en France métropolitaine démarre par une arbovirose importée, et la plupart des importations proviennent des DROM : Antilles, Guyane, La Réunion. Bien sûr, un territoire où une épidémie est en cours est un bon exportateur d'arboviroses, et qu'est-ce qu'on a eu, à partir de mars 2025 à La Réunion ? Une épidémie de chikungunya ! Noter qu'en 2023-2024, on avait eu une épidémie de dengue aux Antilles.

On se méfie un peu plus des Antilles, parce que même s'il n'est pas très marqué, il y a quand même un été, et qu'il est synchrone avec le nôtre. Donc en cas d'épidémie aux Antilles, on a de nombreuses importations synchrones avec l'activité de nos moustiques. En cas d'épidémie à La Réunion, on a de nombreuses importations dont seulement une partie est synchrone avec l'activité d'aedes albopictus.

Les arboviroses autochtones

Une arbovirose autochtone, c'est donc une arbovirose qui survient chez quelqu'un qui n'a pas voyagé. Ça apporte une information majeure : la transmission est en cours, puisque cette personne a nécessairement été piquée par un moustique du coin. On réagit donc beaucoup plus vigoureusement que face à une arbovirose importée.

En France métropolitaine, on l'a vu, le seul vecteur présent est Aedes albopictus. Ce vecteur est modérément adapté à la dengue, mais il est particulièrement adapté à certaines souches de chikungunya… Dont celle de l'épidémie de 2025 à La Réunion. C'est ce qui a fait toute la contagiosité du chik cet été. En 2024, 4683 dengues importées, 83 dengues autochtones, soit un cas autochtone par 56 importations. En 2025, 993 chiks importés, 570 autochtones (et l'épidémie est encore en cours), soit 1 cas autochtone par 1,7 importations. À peu près autant de dengues importées (939), 24 dengues. Le chik a donc été entre 25 et 30 fois plus contagieux que la dengue.

Les foyers autochtones

Un foyer, c'est tout simplement le nom qu'on donne à plusieurs cas autochtones groupés. Parfois on connaît le cas importé initial, parfois on ne le connaît pas. Parfois, on réussit même à prouver génétiquement que le foyer est secondaire à un autre foyer.

La particularité d'un foyer, c'est qu'on a une charge virale plus élevée. Plein de malades, ça veut dire plein d'occasions pour les moustiques de se contaminer… Et de recontaminer plein de malades. Plus un foyer est gros, plus c'est dur à gérer.

Qu'est-ce qu'on fait face à une arbovirose ?

Il faut distinguer deux actions : la médecine (soigner le patient), et la santé publique (protéger la population contre le virus).

D'un point de vue médical, on va confirmer le diagnostic (on recherche le virus ou les anticorps dans le sang) et surveiller l'absence de gravité. Pour le chikungunya, vu que les chiks mortels sont rarissimes, on va surtout mettre en garde le patient de ne pas tenter des trucs idiots : oui, ça fait mal, oui, c'est handicapant, oui, ça peut perdurer des mois voire des années voire à vie, mais non, c'est une mauvaise idée d'aller prendre tel ou tel remède miracle. À La Réunion, il y a eu des décès par empoisonnement. J'ai moi-même eu un patient au téléphone qui me disait que les corticoïdes à fortes doses lui avaient fait un bien fou . oui, mais ça aurait fini par le tuer bien plus efficacement que le chikungunya.

D'un point de vue santé publique, si on est sur un petit foyer, ou même face à un cas importé, on va aller pulvériser des insecticides. Le but est de tuer tous les moustiques malades. On fait ça de nuit, quand les rues sont vides et les moustiques au repos.

Si on est face à un gros foyer… C'est beaucoup plus compliqué. Déjà, si le foyer est gros, c'est que les conditions sont favorables : nombreux moustiques, habitants mal protégés. On va donc ajouter des préconisations à la population : protégez-vous contre les moustiques. Déjà, parce que vous n'avez pas envie d'être malade. Vraiment. Ensuite, parce que si vous tombez malade, vous serez contagieux. Vous contribuerez à contaminer les autres. Donc protégez-vous avec des vêtements longs, amples, clairs. Utilisez des ventilateurs, le moustique-tigre vole tellement mal que ça suffit à l'empêcher de vous piquer. Restez en intérieur, fenêtres fermées.

Ensuite, empêchez la reproduction des moustiques. Rangez votre jardin, videz ce qui ne peut pas être rangé, couvrez d'une moustiquaire ce qui ne peut être ni vidé ni rangé. Bien sûr, ça ne sera jamais parfait. Mais si c'est moins imparfait, ça réduira déjà la densité vectorielle.

Et surtout, surtout, ne comptez pas sur les autres. Un albopictus, c'est très casanier, ça vivra toute sa vie dans un disque de 150m de diamètre (sauf si vous l'embarquez en voiture, mais c'est rare). Donc le moustique qui vous tourne autour, c'est votre moustique. Il est probablement né dans votre jardin. Ce n'est pas l'État qui va venir ranger les jouets de votre enfant, et s'il le faisait, vous seriez les premiers à le lui reprocher, et à raison. L'État, il fait sa part, il investit des millions d'euros par an et par région pour démoustiquer, il vous informe, mais il ne peut pas faire à votre place.

On fait quoi pour l'avenir ?

On serre les dents

Le moustique-tigre est implanté en métropole et il ne partira pas. Il adore nos jardins, nos coupelles d'eau, nos cimetières, nos pneus, nos replis de bâche. Ce n'est pas le changement climatique qui lui permet de rester : c'est notre mode de vie.

On se protège contre le moustique et on l'empêche de se reproduire

La meilleure protection est déjà connue : c'est la lutte contre les gîtes larvaires et le port de vêtements longs et amples. La difficulté, c'est de faire passer ce message.

On choisit ses combats

Une piqûre de moustique, c'est chiant, mais on fait avec. Un chikungunya, c'est douloureux, parfois (rarement) mortel, souvent handicapant dans la durée. Une dengue, c'est mortel, plus qu'une grippe saisonnière.

On arrête de croire aux solutions faciles

La pulvérisation massive d'insecticides

Ça marche. Sur les adultes. Or, par 30°C, le développement larvaire c'est 3 jours. Donc 3 jours plus tard, retour à l'état de base. En pire, parce que dans toute population d'être vivants et pour tout biocide, il y a une petite proportion d'individus génétiquement résistants au biocide. Donc si on pulvérise des insecticides tout le temps, on va leur appliquer une sélection darwinienne, ils vont occuper le terrain laissé libre par leurs copains sensibles à l'insecticide, et le jour où on aura une vraie arbovirose, on sera bien embêtés pour démoustiquer.

La technique de l'insecte stérile ou TIS

Sur le papier, c'est génial : vu qu'une femelle n'aura d'enfants que d'un seul mâle, si on largue un grand nombre de mâles stériles, ils féconderont les femelles qui deviendront infertiles. Ça, c'est la théorie. La pratique, c'est qu'il faut, bien sûr, saturer les femelles avec au moins 10 mâles stériles pour un mâle fertile. Faisable quand on a 1000 mâles dans un secteur en début de saison, ingérable quand on a 10 millions de mâles. Or, quand on a 1000 mâles, on n'a pas de foyer. Il faut donc soit avoir une boule de cristal pour prédire où surviendront les foyers, soit larguer des mâles stériles sur toute la France. De plus, il ne faut pas oublier qu'entre mâles, c'est la guerre. Un mâle peut bien s'accoupler, s'il n'est pas le premier, ça ne compte pas. Or, comment stérilise-t-on un mâle ? Généralement par irradiation, sinon on a des mâles stériles à un prix astronomique. Problème : notre mâle irradié, il est certes stérile, mais il est aussi à moitié pété.

En pratique, la TIS fonctionne, mais elle est très chère et nécessite des largages permanents. Il faut compter deux ans sur une zone avant d'obtenir des effets tangibles en milieu de zone et 5 à 6 pour quasi-éradiquer le moustique. Sauf en bord de zone, car il y a alors une recolonisation par les marges.

Les bracelets à ultrasons et autres conneries à lumière bleue

Ça ne marche pas. La seule protection qui marche, c'est la lutte mécanique (vêtements, vent, vidage des gîtes larvaires) et l'utilisation de répulsifs (cutanés, disponibles en pharmacie, ou serpentin à brûler/diffuseur électrique).

Les vaccins

On a vu que le vaccin dengue, c'est compliqué. Pour le chikungunya, on a, mais l'acceptabilité d'un vaccin en population générale pour une maladie qui ne tue presque pas n'est pas évidente. Pour le Zika, on est à poil.

On prêche la bonne parole

Pour les arboviroses, les solutions sont connues. La difficulté est de les appliquer. La difficulté de les appliquer vient de leur méconnaissance par le grand public. C'est facile, pour nous, de rester dans notre tour d'ivoire et de nous désoler du méchant grand public qui ne nous écoute pas, mais c'est avant tout notre faute. Et forcément, connaissant le public de DLFP, c'est pas un SMS qui va le convaincre. Bon courage pour résumer ce nourjal en un SMS, même avec une super IA. C'est aussi à nous de nous adapter au public, et différentes ARS sont passées par différents canaux : SMS, interview dans la presse nationale ou régionale, réunion publique, nourjal sur DLFP…

La difficulté n'est pas technologique, elle est sociale. Savoir, c'est pouvoir, et faire savoir, c'est protéger. N'hésite pas, cher lecteur, à me poser tes questions. Je ne peux pas te garantir que j'aurai le temps d'y répondre. Mais j'essaierai.

PS: désolé, c'est un peu long comme journal. Et pourtant, je t'assure, j'ai fait court.


  1. -Mais s'il a été piqué par un moustique, ce n'est pas le premier malade, moi je veux savoir le malade d'avant ! -Mais tu as 4 ans, bordel ! Finis ta soupe ou je t'explique la phylogénie des virus à la place de l'histoire du soir ! 

  2. Formellement, on parle de sérotypes. C'est-à-dire qu'on a des agents infectieux similaires génétiquement, qui ont un mécanisme infectieux commun et donnent à peu près les mêmes symptômes, mais qui sont juste assez différents pour que l'immunité contre A ne protège pas contre B, ou seulement partiellement. Le virus de la dengue n'est pas le seul à présenter des sérotypes : le méningocoque, une bactérie qui donne notamment des méningites, présente le même phénomène. 

  • # C'est malin...

    Posté par  . Évalué à 5 (+4/-0).

    Un sujet qui n'était pas de prime abord passionnant, un long pavé, aucune chance de lire ça pendant ma réunion importante.
    Et j'ai lu juste l'intro. Et c'est très bien écrit. Et j'ai tout lu.

    Merci !

    ­La faculté de citer est un substitut commode à l'intelligence -- Somerset Maugham

  • # À propos de la maladie de Lyme

    Posté par  . Évalué à 9 (+7/-0).

    Je n'en parlerai donc pas parce que les arboviroses, c'est déjà beaucoup

    Mais c'est un sujet également préoccupant : en rando, des tiques décident souvent de nous accompagner un bout de chemin. Et comme la maladie de Lyme est très chiante, très dure à soigner, et qu'on lit ou entend pas mal de conneries à ce sujet, ton avis m'intéresserait (nous intéresserait ?) énormément.

    Donc, si jour tu as le temps, dans 15 jours, dans un mois, enfin…, ça serait super que tu puisses nous pondre un topo, qui sera sûrement aussi intéressant que celui-ci.

    Sinon, merci pour cet exposé passionnant.

  • # Moustique-tigre

    Posté par  (site web personnel) . Évalué à 4 (+1/-0).

    Il y a beaucoup de moustiques différents. Genre beaucoup. Parmi ces moustiques, certains piquent l'humain. Certains piquent surtout l'humain. Certains adorent l'humain. Aucun n'est exclusif de l'humain, les moustiques savent faire feu de tout bois quand c'est nécessaire.

    Ceux qui piquent indifféremment l'humain ou d'autres animaux sont typiquement des vecteurs d'arboviroses zoonotiques. C'est typiquement le cas de Culex pipiens, le moustique le plus commun en France métropolitaine jusqu'à récemment. Culex pipiens est incapable de transmettre la dengue, le chikungunya ou le Zika, mais c'est le principal vecteur du West Nile, une arbovirose qui touche les oiseaux mais peut occasionnellement contaminer l'humain.

    Il y a deux moustiques qui piquent principalement l'humain, les deux sont du genre Aedes : Aedes aegypti, et surtout Aedes albopictus.

    Aedes aegypti, c'est un moustique issu des forêts tropicales d'Indonésie, qui a été transporté par inadvertance via nos bateaux dans le monde entier, mais qui s'est établi entre les tropiques. Pourquoi là ? Parce que ses larves ont besoin de chaleur pour se développer, et qu'entre les tropiques, il n'y a pas vraiment d'hiver. Aedes aegypti est un vecteur particulièrement efficace pour la dengue, il est très efficace avec certaines souches de chikungunya.

    Aedes albopictus, c'est comme Aedes aegypti, mais avec une mutation supplémentaire, acquise lors d'un séjour au Japon (c'est fou ce qu'on trouve là-bas) : la diapause. La diapause, c'est la capacité des œufs, lorsque les jours raccourcissent, à mettre en pause leur développement et à attendre tranquillement l'été prochain. La diapause dépend de la durée du jour, pas de la température, et est donc indépendante du réchauffement climatique. Cette diapause a permis à albopictus de coloniser une quantité considérable de zones tempérées. Albopictus est un très bon vecteur pour certaines souches de chikungunya, il est compétent pour la dengue, mais c'est moins son truc, quoi.

    Pour info, le moustique-tigre, c'est lui, aedes albopictus. Ça vaudrait la peine de le préciser dans le journal.

  • # Pourquoi pas d'immunité aux répulseurs ?

    Posté par  . Évalué à 3 (+2/-0).

    Si j'ai bien compris, la pulvérisation, on est contre, afin d'éviter l'évolution d'individus résistants. On préfète les répulseurs. Pourquoi n'a-t-on pas peur de sélectionner des moustiques qui ignorent les répulseurs ?

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