J'avais décidé de ne plus utiliser mon
téléphone et surtout pas mon mobile qui peut fournir
ma position en continu. J'avais banni les cartes de fidélité des supermarchés qui permettaient de collecter les informations sur mes goûts et de les revendre. J'évitais de même les sondages divers commerciaux. Je me disais qu'en payant en liquide (avec un
risque de contrefaçon sur les billets certes) et en n'utilisant pas
de pass dans le métro, je préserverais un peu de ma liberté. Poussant le raisonnement au bout, j'avais décidé d'organiser régulièrement des brèves rencontres avec des inconnus pour mettre dans un pot commun mes billets et mes tickets de métro, les mélanger et repartir ainsi avec des numéros de série anonymisés, par peur
d'être suivi, et puis cela me permettait d'échanger des empreintes
GnuPG.
Bien sûr j'utilisais des
logiciels libres, car pourquoi ferais-je confiance à des logiciels propriétaires boîtes noires, contenant potentiellement
des portes dérobées ou des
espiogiciels. Je ne communiquais qu'en
https, mes courriels étaient tous chiffrés, mes partitions aussi, et de toute façon mes remarques sur la météo et le sexe opposé ne circulaient que dans des images de gnous en utilisant de la
stéganographie. Et je me croyais tranquille.
C'était sans compter sur le déploiement de nouveaux ordinateurs
équipés en standard de TPM (oui l'informatique dite « de confiance »,
TCPA/Palladium,
ayez confiance, tout ça) qui étaient déjà sur le marché. Et les
imprimantes qui se mettaient à bavasser aussi. Sans compter aussi que
certains aimeraient bien collecter toutes les données de trafic internet et téléphonique (le courrier postal n'intéresse personne...), en évoquant des
questions de sécurité, voire créer des
e-milices sur les réseaux (de toute façon on me proposait déjà de confier
mes clés de chiffrement aux forces de police, sachant qu'
ils savaient s'en passer si besoin). Ceci dit les
débats sur la nouvelle carte d'identité électronique en France avaient laissé perplexe (identifiant unique, données biométriques, mélange de l'officiel et du commercial, etc.).
De son côté l'industrie de la musique et du cinéma promettait des mesures techniques de protection pour décider si et quand et combien de fois je pourrais lire le DVD que j'avais acheté, et avec quel matériel et quel logiciel, en arguant des cataclysmes apocalyptiques et tentaculaires causés par des lycéens de 12 ans ; on me promettait même
des identifiants uniques sur chaque disque et un blocage de la copie privée pourtant légale. Finalement on me proposait de bénéficier des puces d'identification par radio-fréquences
RFID aux usages multiples :
traçage des étrangers, contrôle des papiers d'identité, implantation sous-cutanée...
Bah il ne me restait plus qu'à aller poser devant les caméras dans la rue (
Paris,
Londres, etc.), et à reprendre des
pilules. Enfin ça ou essayer d'améliorer les choses.
« Nous avons neuf mois de vie privée avant de naître, ça devrait nous suffire. » (Heathcote Williams)
« Même les
paranoïaques ont des ennemis. » (Albert Einstein)